Valvèdre. Жорж Санд
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Название: Valvèdre

Автор: Жорж Санд

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ avoir employé les premières heures de la journée à écrire à mes parents, je descendis dans la salle commune pour déjeuner, et je m'y trouvai en tête-à-tête avec un inconnu d'environ trente-cinq ans, d'une assez belle figure, et qu'à première vue je reconnus pour un israélite. Cet homme me parut tenir le milieu entre l'extrême distinction et la repoussante vulgarité qui caractérisent chez les juifs deux races ou deux types si tranchés. Celui-ci appartenait à un type intermédiaire ou mélangé. Il parlait assez purement le français, avec un accent allemand désagréable, et montrait tour à tour de la pesanteur et de la vivacité dans l'esprit. Au premier abord, il me fut antipathique. Peu à peu il me parut assez amusant. Son originalité consistait dans une indolence physique et dans une activité d'idées extraordinaires. Mou et gras, il se faisait servir comme un prince; curieux et commère, il s'enquérait de tout et ne laissait pas tomber la conversation un seul instant.

      Comme il me fit, dès le premier moment, l'honneur d'être très-communicatif, je sus bien vite qu'il se nommait Moserwald, qu'il était assez riche pour se reposer un peu des affaires, et qu'il voyageait en ce moment pour son plaisir. Il venait de Venise, où il s'était plus occupé de jolies femmes et de beaux-arts que du soin de sa fortune; il se rendait à Chamonix. Il voulait voir le mont Blanc, et il passait par le mont Rose, dont il avait souhaité se faire une idée. Je lui demandai s'il était tenté d'en faire l'escalade.

      – Non pas! répondit-il. C'est trop dangereux, et pour voir quoi, je vous le demande? Des glaçons les uns sur les autres! Personne n'a encore atteint la cime de cette montagne, et il n'est pas dit que la caravane partie cette nuit en reviendra au complet. Au reste, je n'ai pas fait beaucoup de voeux pour elle. Arrivé à dix heures hier au soir et à peine endormi, j'ai été réveillé par tous les gros souliers ferrés du pays, qui n'ont fait, deux heures durant, que monter et descendre les escaliers de bois de cette maison à jour. Tous les animaux de la création ont beuglé, patoisé, henni, juré ou braillé sous la fenêtre, et, quand je croyais en être quitte, on est revenu pour chercher je ne sais quel instrument oublié, un baromètre et un télégraphe! Si j'avais eu une potence à mon service, je l'aurais envoyée à ce M. de Valvèdre, que Dieu bénisse! Le connaissez-vous?

      – Pas encore. Et vous?

      – Je ne le connais que de réputation; on parle beaucoup de lui à Genève, où je réside, et on parle de sa femme encore davantage. La connaissez-vous, sa femme? Non? Ah! mon cher, qu'elle est jolie! Des yeux longs comme ça (il me montrait la lame de son couteau) et plus brillants que ça! ajouta-t-il en montrant un magnifique saphir entouré de brillants qu'il portait à son petit doigt.

      – Alors ce sont des yeux étincelants, car vous avez là une belle bague.

      – La souhaitez-vous? Je vous la cède pour ce qu'elle m'a coûté.

      – Merci, je n'en saurais que faire.

      – Ce serait pourtant un joli cadeau pour votre maîtresse, hein?

      – Ma maîtresse? Je n'en ai pas!

      – Ah bah! vraiment? Vous avez tort.

      – Je me corrigerai.

      – Je n'en doute pas; mais cette bague-là peut hâter l'heureux moment.

      Voyons, la voulez-vous? C'est une bagatelle de douze mille francs.

      – Mais, encore une fois, je n'ai pas de fortune.

      – Ah! vous avez encore plus tort; mais cela peut se corriger aussi.

      Voulez-vous faire des affaires? Je peux vous lancer, moi.

      – Vous êtes bijoutier?

      – Non, je suis riche.

      – C'est un joli état; mais j'en ai un autre.

      – Il n'y a point de joli état, si vous êtes pauvre.

      – Pardonnez-moi, je suis libre!

      – Alors vous avez de l'aisance, car, avec la misère, il n'y a qu'esclavage. J'ai passé par là, moi qui vous parle, et j'ai manqué d'éducation; mais je me suis un peu refait à mesure que j'ai surmonté le mauvais sort. Donc, vous ne connaissez pas les Valvèdre? C'est un singulier couple, à ce qu'on dit. Une femme ravissante, une vraie femme du monde sacrifiée à un original qui vit dans les glaciers! Vous jugez…

      Ici, le juif fit quelques plaisanteries d'assez mauvais goût, mais dont je ne me scandalisai point, les personnes dont il parlait ne m'étant pas directement connues. Il ajouta que, du reste, avec un tel mari, madame de Valvèdre était dans son droit, si elle avait eu les aventures que lui prêtait la chronique génevoise. J'appris par lui que cette dame paraissait de temps en temps à Genève, mais de moins en moins, parce que son mari lui avait acheté, vers le lac Majeur, une villa d'où il exigeait qu'elle ne sortît point sans sa permission.

      – Vous comprenez bien, ajouta-t-il, qu'elle se ménage quelques échappées quand il n'est pas là… et il n'y est jamais: mais il lui a donné pour surveillante une vieille soeur à lui, qui, sous prétexte de soigner les enfants, – il y en a quatre ou cinq, – fait en conscience son métier de geôlière.

      – Je vois que vous plaignez beaucoup l'intéressante captive. Peut-être la connaissez-vous plus que vous ne voulez le dire à table d'hôte?

      – Non, parole d'honneur! Je ne la connais que de vue, je ne lui ai jamais parlé, et pourtant ce n'est pas l'envie qui m'a manqué; mais patience! l'occasion viendra un jour ou l'autre, à moins que ce jeune homme qui voyage avec le mari… Je l'ai aperçu hier au soir, M. Obernay, je crois, le fils d'un professeur…

      – C'est mon ami.

      – Je ne demande pas mieux; mais je dis qu'il est beau garçon et qu'on n'est jamais trahi que par les siens. Un apprenti, ça console toujours la femme du patron, c'est dans l'ordre!

      – Vous êtes un esprit fort, très-sceptique.

      – Pas fort du tout, mais méfiant en diable; sans quoi, la vie ne serait pas tenable. On prendrait la vertu au sérieux, et ce serait triste, quand on n'est pas vertueux soi-même! Est-ce que vous avez la prétention?..

      – Je n'en ai aucune.

      – Eh bien, restez ainsi, croyez-moi. Allez-y franchement, contentez vos passions et n'en abusez pas. Vous voyez, je vous donne de sages conseils, moi!

      – Vous êtes bien bon.

      – Oui, oui, vous vous moquez; mais ça m'est égal. Vos sourires n'ôteront pas un sou de ma poche ni un cheveu de ma tête, tandis que votre déférence ne remettrait pas dans ma vie une seule des heures que j'ai perdues ou mal employées.

      – Vous êtes philosophe!

      – Excessivement, mais un peu trop tard. J'ai vécu beaucoup depuis que je puis me passer mes fantaisies, et j'en suis puni par la diminution du sens fantaisiste. Oui, vrai, je me blase déjà. J'ai des jours où je ne sais plus que faire pour m'amuser. Voulez-vous venir dehors fumer un cigare? Nous regarderons ce fameux mont Rose; on dit que c'est si joli! Je l'ai regardé hier tout le long du voyage; je l'ai trouvé pareil à toutes les montagnes un peu élevées de la chaîne des Alpes; mais peut-être que vous me le ferez trouver différent. Voyons, qu'est-ce qu'il y a de différent et qu'est-ce qu'il y a de beau selon vous? Je ne demande qu'à admirer, moi; je n'ai été élevé ni en poëte, ni en artiste; mais j'aime le beau, et j'ai des yeux comme un autre.

      Il СКАЧАТЬ