Mademoiselle La Quintinie. Жорж Санд
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Название: Mademoiselle La Quintinie

Автор: Жорж Санд

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ est bien établie. On me jugeait incapable de me plaindre en cas d'échec, et on avait raison. La situation a donc été dessinée ainsi, et jusqu'à présent elle n'a pas été modifiée par le fait de M. de Turdy ni par le mien; mais nous avions compté sans des obstacles que tu apprécieras, et qu'aujourd'hui je juge invincibles. Je reprends mon récit.

      La journée de la cascade de Coux fut charmante. On fit une légère collation sur l'herbe. Lucie fut gaie comme je ne l'avais pas encore vue, et il ne tint qu'à moi de croire qu'elle était heureuse ou remplie d'espérances de bonheur. La gaieté de Lucie n'est pas une pétulance d'enfant qui s'étourdit, c'est une grâce de femme qui cherche à épanouir les autres; on y sent la tendresse d'une bonne et sainte fille qui a cherché toute sa vie à dérider le front de vieillards aimés, et qui a trouvé le rayonnement de sa propre jeunesse dans cette préoccupation touchante. Le vieux Turdy n'est pas gai par lui-même, et Lucie a fait de leur vie à deux un éternel sourire. Madame Marsanne, qui me l'avait dépeinte si sérieuse, fut étonnée de l'abondance et de la tenue de son enjouement, et moi, dont le cœur ému était plutôt prêt à éclater dans les larmes que dans le rire, je me sentis emporté sans résistance dans un monde d'idées fraîches et jeunes, dans un paradis de fleurs et d'oiseaux enivrés de soleil.

      Lucie est particulièrement et l'on pourrait dire spécialement aimable. Je n'avais jamais compris toute l'extension de ce mot-là, trop prodigué dans le monde, où presque tous les individus sont frottés d'un certain vernis d'aménité banale. Bien différente est cette aménité que le cœur échauffe et que l'esprit colore. Lucie n'est pas ainsi avec tout le monde. Elle a besoin de la véritable intimité pour s'abandonner, et jusqu'à ce jour elle n'avait dit le secret de son charme ni à Henri ni à moi. Elle ne songea plus à s'observer dans ce dîner sur l'herbe, et son expansion fut éblouissante. Elle ne cherche pas l'esprit, et elle en a beaucoup quand elle s'anime. Sa plaisanterie du moment fut un jeu avec Élise, jeu où Élise brilla et fut vaincue. Élise, avec son dédain pour les idées sérieuses et les sentiments vifs, met volontiers sa coquetterie à railler; devant Henri, ce qu'elle appelle mes vertus et ce qu'elle traite de science théologique dans la piété de Lucie. Elle m'appelle Grandisson, elle appelle Lucie son vieux bénédictin. Je me laisse railler: Élise n'est jamais méchante et ne me fâche point; mais Lucie a une manière enjouée de se défendre. Elle abonde dans le sens de sa compagne, et joue, à mourir de rire, le rôle de vieux docteur. Elle l'interpelle en termes de catéchisme sur les modes, sur la forme des éventails, sur la couleur des rubans; puis elle lui fait d'une voix grave, et avec des intonations de prédicateur très-comiques, des sermons en trois points sur ses hérésies en fait de goût et de parure. Elle lui cite, avec des arrangements apocryphes, les Pères de l'Église à propos de son ombrelle ou de ses gants, et en somme elle lui démontre qu'elle entend mieux qu'elle ces graves questions de la toilette des femmes.

      À ce jeu en succéda, un du même genre, où elle me prit à partie sur mes opinions politiques. Comme je lui reprochais d'être légitimiste, elle se mit à contrefaire certains vieux personnages encroûtés qu'elle voit chez sa tante; que son grand-père reconnut et nomma, en riant jusqu'aux larmes. Évidemment, Lucie en s'égayant dans cette mimique très-réussie et dans cette caricature d'un langage arriéré de formes et d'idées, faisait gracieusement la cour à son grand-père, j'osais alors dire à moi aussi. Elle-nous abandonnait l'exagération, les travers et les ridicules du milieu où nous la supposions rivée. Elle semblait même trahir la cause du passé et nous suivre dans les élans de la vie. Moi, du moins, je voulais voir tout cela dans sa gaieté conciliante, et je revins de cette promenade ébloui, charmé, prêt à me croire préféré à tout ce que Lucie avait respecté, accepté ou subi jusque-là.

      Mon erreur était complète, l'orgueil m'aveuglait. Lucie est, je le crois, une âme inébranlable, qui fait la part de ce qu'on peut appeler l'écume des opinions, mais qui reste fidèle à de certains principes et tranquille comme ces grandes profondeurs de l'Océan qui ne s'aperçoivent pas des caprices du vent à la surface du flot. Sa gaieté, sa douceur, son humeur égale et facile, auraient dû être pour moi la révélation d'un parti pris, d'un pli à jamais formé dans le livre de sa destinée. Que ce soit à telle ou telle page de son code intérieur, cette page résume sa force, établit sa résistance; elle n'ira pas au delà.

      Je revis Lucie le lendemain à Aix, chez madame Marsanne, qui était un peu souffrante. Elle prolongea sa visite pour lui tenir compagnie. Élise était allée avec sa belle-sœur voir la Grande-Chartreuse, et Henri avait obtenu la permission de les accompagner: Je me trouvai donc comme en tête-à-tête avec Lucie; car madame Marsanne nous mit en train de causerie, et se borna ensuite à nous écouter, plaçant de temps en temps un mot pour nous aider à développer ou à résumer nos idées. Tu ne l'ignores pas; c'est le talent bienveillant et assez intelligent de notre amie.

      Lucie me parut avoir sur le cœur l'épithète de légitimiste que je lui avais adressée en riant la veille!

      «Le mot n'est pas une injure en lui-même, dit-elle; mais vous y avez mis une intention hostile: confessez-vous!»

      Et, comme je l'avouais, car je ne veux rien nier, rien dissimuler avec elle:

      «Je veux, reprit-elle, vous dire les opinions politiques que je me permets d'avoir. Née d'un père français et d'une mère savoisienne, j'ai été élevée en Savoie, c'est-à-dire en Italie, puisque nous sommes Français d'hier. Je suis donc Italienne à demi, et je n'admets pas que l'annexion ait pu nous dénationaliser si vite. Étant bonne Italienne et patriote, je m'en pique, je ne puis aimer l'Autriche, et je ne puis pas approuver la résistance politique, du saint-siège à l'unité de l'Italie.

      – En vérité! s'écria madame Marsanne, votre orthodoxie s'arrête au pouvoir spirituel!

      – Absolument, répondit Lucie; je n'ai jamais eu d'autre manière de voir, et je suis orthodoxe quand même, car le pouvoir temporel n'est pas un article de foi. J'irai plus loin, j'avouerai que j'aime Garibaldi, et que je cesserais d'aimer Victor-Emmanuel le jour où il cesserait de protester pour l'indépendance de l'Italie. Voilà ma profession de foi. Est-ce le légitimisme comme vous l'entendez en France?

      – Non certes, répondis-je, et je crois que nous sommes bien près de nous entendre.

      – Alors restons-en là, dit-elle, et parlons d'autre chose; car la similitude parfaite des idées n'est pas si nécessaire d'ans ce monde. Peut-être même est-il bon que chacun garde une certaine nuance qui le caractérise, pour faire acte de liberté dans la limite admissible.»

      Il me sembla qu'elle abandonnait encore une partie de son lest pour s'enlever plus haut dans la région du vrai, et je lui en marquai ma reconnaissance par le soin que je pris de ne plus rien contredire. Elle parla de la France avec un peu d'amertume, et de l'indifférence politique et religieuse des Français avec tristesse; puis elle parla de son grand-père avec adoration et des douceurs de leur intimité. Je ne sais ce qu'elle dit encore: elle fut si bonne ce jour-là, que je t'écrivis le soir une longue lettre que je devais terminer et t'envoyer le lendemain. Je ne te l'envoyai pas: le lendemain, j'avais la mort dans l'âme.

      Le lendemain, je rendis visite à M. de Turdy. Je ne sais par quelle fatalité il lui vint à l'esprit de me demander si j'avais été aux Charmettes, et, comme je répondais négativement:

      «Voilà, dit-il en riant, un pèlerinage que ma petite-fille ne fera pas avec vous!»

      J'interrogeai les yeux de Lucie, qui affectait de regarder le paysage, comme si elle n'eût entendu ni la question ni la réponse. Je ne sais quelle curiosité chagrine me fit insister. Elle prit alors son parti et répondit nettement:

      «Ce n'est pas là une promenade pour une jeune fille! Vous pensez bien que je n'ai rien lu de M. Rousseau; mais je sais, par la tradition du pays, tout ce qui concerne cette existence des Charmettes, et le nom de madame de Warens me répugne, permettez-moi de СКАЧАТЬ