La Main Gauche. Guy de Maupassant
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Название: La Main Gauche

Автор: Guy de Maupassant

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ ne parut pas savoir ou remarquer qu'elle était là, et il avait sa gravité ordinaire, la même allure, le même visage. Mais la lumière, le mouvement, le léger bruit des pieds nus de l'homme, la sensation de l'air pur sur la peau et dans les poumons tirèrent Allouma de son engourdissement. Elle allongea les bras, se retourna, ouvrit les yeux, me regarda, regarda Mohammed avec la même indifférence et s'assit. Puis elle murmura.

      – J'ai faim, aujourd'hui.

      – Que veux-tu manger? demandai-je.

      – Kahoua.

      – Du café et du pain avec du beurre?

      – Oui.

      Mohammed, debout près de notre couche, mes vêtements sur les bras, attendait les ordres.

      – Apporte à déjeuner pour Allouma et pour moi, lui dis-je.

      Et il sortit sans que sa figure révélât le moindre étonnement ou le moindre ennui.

      Quand il fut parti, je demandai à la jeune Arabe:

      – Veux-tu habiter dans ma maison?

      – Oui, je le veux bien.

      – Je te donnerai un appartement pour toi seule et une femme pour te servir.

      – Tu es généreux, et je te suis reconnaissante.

      – Mais si ta conduite n'est pas bonne, je te chasserai d'ici.

      – Je ferai ce que tu exigeras de moi.

      Elle prit ma main et la baisa, en signe de soumission.

      Mohammed rentrait, portant un plateau avec le déjeuner. Je lui dis:

      – Allouma va demeurer dans la maison. Tu étaleras des tapis dans la chambre, au bout du couloir, et tu feras venir ici pour la servir la femme d'Abd-el-Kader-el-Hadara.

      – Oui, moussié.

      Ce fut tout.

      Une heure plus tard, ma belle Arabe était installée dans une grande chambre claire; et comme je venais m'assurer que tout allait bien, elle me demanda, d'un ton suppliant, de lui faire cadeau d'une armoire à glace. Je promis, puis je la laissai accroupie sur un tapis du Djebel-Amour, une cigarette à la bouche, et bavardant avec la vieille Arabe que j'avais envoyé chercher, comme si elles se connaissaient depuis des années.

II

      Pendant un mois, je fus très heureux avec elle et je m'attachai d'une façon bizarre à cette créature d'une autre race, qui me semblait presque d'une autre espèce, née sur une planète voisine.

      Je ne l'aimais pas – non – on n'aime point les filles de ce continent primitif. Entre elles et nous, même entre elles et leurs mâles naturels, les Arabes, jamais n'éclôt la petite fleur bleue des pays du Nord. Elles sont trop près de l'animalité humaine, elles ont un coeur trop rudimentaire, une sensibilité trop peu affinée, pour éveiller dans nos âmes l'exaltation sentimentale qui est la poésie de l'amour. Rien d'intellectuel, aucune ivresse de la pensée ne se mêle à l'ivresse sensuelle que provoquent en nous ces êtres charmants et nuls.

      Elles nous tiennent pourtant, elles nous prennent, comme les autres, mais d'une façon différente, moins tenace, moins cruelle, moins douloureuse.

      Ce que j'éprouvai pour celle-ci, je ne saurais encore l'expliquer d'une façon précise. Je vous disais tout à l'heure que ce pays, cette Afrique nue, sans arts, vide de toutes les joies intelligentes, fait peu à peu la conquête de notre chair par un charme inconnaissable et sûr, par la caresse de l'air, par la douceur constante des aurores et des soirs, par sa lumière délicieuse, par le bien-être discret dont elle baigne tous nos organes! Eh bien! Allouma me prit de la même façon, par mille attraits cachés, captivants et physiques, par la séduction pénétrante non point de ses embrassements, car elle était d'une nonchalance toute orientale, mais de ses doux abandons.

      Je la laissais absolument libre d'aller et de venir à sa guise et elle passait au moins une après-midi sur deux dans le campement voisin, au milieu des femmes de mes agriculteurs indigènes. Souvent aussi, elle demeurait durant une journée presque entière, à se mirer dans l'armoire à glace en acajou que j'avais fait venir de Miliana. Elle s'admirait en toute conscience, debout, devant la grande porte de verre où elle suivait ses mouvements avec une attention profonde et grave. Elle marchait la tête un peu penchée en arrière, pour juger ses hanches et ses reins, tournait, s'éloignait, se rapprochait, puis, fatiguée enfin de se mouvoir, elle s'asseyait sur un coussin et demeurait en face d'elle-même, les yeux dans ses yeux, le visage sévère, l'âme noyée dans cette contemplation.

      Bientôt, je m'aperçus qu'elle sortait presque chaque jour après le déjeuner, et qu'elle disparaissait complètement jusqu'au soir.

      Un peu inquiet, je demandai à Mohammed s'il savait ce qu'elle pouvait faire pendant ces longues heures d'absence. Il répondit avec tranquillité:

      – Ne te tourmente pas, c'est bientôt le Ramadan. Elle doit aller à ses dévotions.

      Lui aussi semblait ravi de la présence d'Allouma dans la maison; mais pas une fois je ne surpris entre eux le moindre signe un peu suspect, pas une fois, ils n'eurent l'air de se cacher de moi, de s'entendre, de me dissimuler quelque chose.

      J'acceptais donc la situation telle quelle sans la comprendre, laissant agir le temps, le hasard et la vie.

      Souvent, après l'inspection de mes terres, de mes vignes, de mes défrichements, je faisais à pied de grandes promenades. Vous connaissez les superbes forêts de cette partie de l'Algérie, ces ravins presque impénétrables où les sapins abattus barrent les torrents, et ces petits vallons de lauriers-roses qui, du haut des montagnes, semblent des tapis d'Orient étendus le long des cours d'eau. Vous savez qu'à tout moment, dans ces bois et sur ces côtes, où on croirait que personne jamais n'a pénétré, on rencontre tout à coup le dôme de neige d'une koubba renfermant les os d'un humble marabout, d'un marabout isolé, à peine visité de temps en temps par quelques fidèles obstinés, venus du douar voisin avec une bougie dans leur poche pour l'allumer sur le tombeau du saint.

      Or, un soir, comme je rentrais, je passai auprès d'une de ces chapelles mahométanes, et ayant jeté un regard par la porte toujours ouverte, je vis qu'une femme priait devant la relique. C'était un tableau charmant, cette Arabe assise par terre, dans cette chambre délabrée, où le vent entrait à son gré et amassait dans les coins, en tas jaunes, les fines aiguilles sèches tombées des pins. Je m'approchai pour mieux regarder, et je reconnus Allouma. Elle ne me vit pas, ne m'entendit point, absorbée tout entière par le souci du saint; et elle parlait, à mi-voix, elle lui parlait, se croyant bien seule avec lui, racontant au serviteur de Dieu toutes ses préoccupations. Parfois elle se taisait un peu pour méditer, pour chercher ce qu'elle avait encore à dire, pour ne rien oublier de sa provision de confidences; et parfois aussi elle s'animait comme s'il lui eût répondu, comme s'il lui eût conseillé une chose qu'elle ne voulait point faire et qu'elle combattait avec des raisonnements.

      Je m'éloignai, sans bruit, ainsi que j'étais venu, et je rentrai pour dîner.

      Le soir, je la fis venir et je la vis entrer avec un air soucieux qu'elle n'avait point d'ordinaire.

      – Assieds-toi là, lui dis-je en lui montrant sa place sur le divan, à mon côté.

      Elle s'assit et comme je me penchais vers elle pour l'embrasser elle éloigna sa tête avec vivacité.

      Je СКАЧАТЬ