Название: Les aventures de Télémaque suivies des aventures d'Aritonoüs
Автор: François Fénelon
Издательство: Public Domain
Жанр: Историческая литература
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A ces paroles, il s'éleva dans l'air mille cris de joie. Le diadème fut mis par le chef des vieillards, gardes des lois, sur la tête d'Aristodème. On fit des sacrifices à Jupiter et aux autres grands dieux. Aristodème nous fit des présents, non pas avec la magnificence ordinaire aux rois, mais avec une noble simplicité. Il donna à Hazaël les lois de Minos écrites de la main de Minos même; il lui donna aussi un recueil de toute l'histoire de Crète, depuis Saturne et l'âge d'or; il fit mettre dans son vaisseau des fruits de toutes les espèces qui sont bonnes en Crète et inconnues dans la Syrie, et lui offrit tous les secours dont il pourrait avoir besoin.
Comme nous pressions notre départ, il nous fit préparer un vaisseau avec un grand nombre de bons rameurs et d'hommes armés; il y fit mettre des habits pour nous et des provisions. A l'instant même il s'éleva un vent favorable pour aller à Ithaque: ce vent, qui était contraire à Hazaël, le contraignit d'attendre. Il nous vit partir; il nous embrassa comme des amis qu'il ne devait jamais revoir. Les dieux sont justes, disait-il; ils voient une amitié qui n'est fondée que sur la vertu: un jour ils nous réuniront; et ces champs fortunés, où l'on dit que les justes jouissent après la mort d'une paix éternelle, verront nos âmes se rejoindre pour ne se séparer jamais. O si mes cendres pouvaient aussi être recueillies avec les vôtres!.. En prononçant ces mots, il versait des torrents de larmes, et les soupirs étouffaient sa voix. Nous ne pleurions pas moins que lui: et il nous conduisit au vaisseau.
Pour Aristodème, il nous dit: C'est vous qui venez de me faire roi; souvenez-vous des dangers où vous m'avez mis. Demandez aux dieux qu'ils m'inspirent la vraie sagesse, et que je surpasse autant en modération les autres hommes, que je les surpasse en autorité. Pour moi, je les prie de vous conduire heureusement dans votre patrie, d'y confondre l'insolence de vos ennemis, et de vous y faire voir en paix Ulysse régnant avec sa chère Pénélope. Télémaque, je vous donne un bon vaisseau plein de rameurs et d'hommes armés; ils pourront vous servir contre ces hommes injustes qui persécutent votre mère. O Mentor, votre sagesse, qui n'a besoin de rien, ne me laisse rien à désirer pour vous. Allez tous deux, vivez heureux ensemble; souvenez-vous d'Aristodème: et si jamais les Ithaciens ont besoin des Crétois, comptez sur moi jusqu'au dernier soupir de ma vie. Il nous embrassa; et nous ne pûmes, en le remerciant, retenir nos larmes.
Cependant le vent qui enflait nos voiles nous promettait une douce navigation. Déjà le mont Ida n'était plus à nos yeux que comme une colline; tous les rivages disparaissaient; les côtes du Péloponèse27 semblaient s'avancer dans la mer pour venir au-devant de nous. Tout à coup une noire tempête enveloppa le ciel*, et irrita toutes les ondes de la mer. Le jour se changea en nuit, et la mort se présenta à nous*. O Neptune, c'est vous qui excitâtes, par votre superbe trident, toutes les eaux de votre empire! Vénus, pour se venger de ce que nous l'avions méprisée jusque dans son temple de Cythère, alla trouver ce dieu; elle lui parla avec douleur; ses beaux yeux étaient baignés de larmes: du moins, c'est ainsi que Mentor, instruit des choses divines, me l'a assuré. Souffrirez-vous, Neptune, disait-elle, que ces impies se jouent impunément de ma puissance? Les dieux mêmes la sentent; et ces téméraires mortels ont osé condamner tout ce qui se fait dans mon île. Ils se piquent d'une sagesse à toute épreuve, et ils traitent l'amour de folie. Avez-vous oublié que je suis née dans votre empire? Que tardez-vous à ensevelir dans vos profonds abîmes ces deux hommes que je ne puis sentir?
A peine avait-elle parlé, que Neptune souleva les flots jusqu'au ciel: et Vénus rit, croyant notre naufrage inévitable. Notre pilote, troublé, s'écria qu'il ne pouvait plus résister aux vents qui nous poussaient avec violence vers les rochers: un coup de vent rompit notre mât; et, un moment après, nous entendîmes les pointes des rochers qui entr'ouvraient le fond du navire. L'eau entre de tous côtés; le navire s'enfonce; tous nos rameurs poussent de lamentables cris vers le ciel. J'embrasse Mentor, et je lui dis: Voici la mort; il faut la recevoir avec courage. Les dieux ne nous ont délivrés de tant de périls, que pour nous faire périr aujourd'hui. Mourons, Mentor, mourons. C'est une consolation pour moi de mourir avec vous; il serait inutile de disputer notre vie contre la tempête.
Mentor me répondit: Le vrai courage trouve toujours quelque ressource. Ce n'est pas assez d'être prêt à recevoir tranquillement la mort; il faut, sans la craindre, faire tous ses efforts pour la repousser. Prenons, vous et moi, un de ces grands bancs de rameurs. Tandis que cette multitude d'hommes timides et troublés regrette la vie sans chercher les moyens de la conserver, ne perdons pas un moment pour sauver la nôtre. Aussitôt il prend une hache, il achève de couper le mât qui était déjà rompu, et qui, penchant dans la mer, avait mis le vaisseau sur le côté; il jette le mât hors du vaisseau, et s'élance dessus au milieu des ondes furieuses; il m'appelle par mon nom, et m'encourage pour le suivre. Tel qu'un grand arbre que tous les vents conjurés attaquent, et qui demeure immobile sur ses profondes racines, en sorte que la tempête ne fait qu'agiter ses feuilles*; de même Mentor, non-seulement ferme et courageux, mais doux et tranquille, semblait commander aux vents et à la mer. Je le suis: et qui aurait pu ne pas le suivre, étant encouragé par lui?
Nous nous conduisions nous-mêmes sur ce mât flottant. C'était un grand secours pour nous, car nous pouvions nous asseoir dessus; et, s'il eût fallu nager sans relâche, nos forces eussent été bientôt épuisées. Mais souvent la tempête faisait tourner cette grande pièce de bois, et nous nous trouvions enfoncés dans la mer: alors nous buvions l'onde amère, qui coulait de notre bouche, de nos narines, et de nos oreilles: nous étions contraints de disputer contre les flots, pour rattraper le dessus de ce mât. Quelquefois aussi une vague haute comme une montagne venait passer sur nous; et nous nous tenions fermes, de peur que, dans cette violente secousse, le mât, qui était notre unique espérance, ne nous échappât.
Pendant que nous étions dans cet état affreux, Mentor, aussi paisible qu'il l'est maintenant sur ce siège de gazon, me disait: Croyez-vous, Télémaque, que votre vie soit abandonnée aux vents et aux flots? Croyez-vous qu'ils puissent vous faire périr sans l'ordre des dieux? Non, non; les dieux décident de tout. C'est donc les dieux, et non pas la mer, qu'il faut craindre. Fussiez-vous au fond des abîmes, la main de Jupiter pourrait vous en tirer. Fussiez-vous dans l'Olympe, voyant les astres sous vos pieds, Jupiter pourrait vous plonger au fond de l'abîme, ou vous précipiter dans les flammes du noir Tartare. J'écoutais et j'admirais ce discours, qui me consolait un peu; mais je n'avais pas l'esprit assez libre pour lui répondre. Il ne me voyait point: je ne pouvais le voir. Nous passâmes toute la nuit, tremblants de froid et demi-morts, sans savoir où la tempête nous jetait. Enfin les vents commencèrent à s'apaiser; et la mer mugissante ressemblait à une personne qui, ayant été longtemps irritée, n'a plus qu'un reste de trouble et d'émotion, étant lasse de se mettre en fureur; elle grondait sourdement, et ses flots n'étaient presque plus que comme les sillons qu'on trouve dans un champ labouré.
Cependant, l'Aurore vint ouvrir au Soleil les portes du ciel et nous annonça un beau jour. L'orient était tout en feu; et les étoiles, qui avaient été si longtemps cachées, reparurent, et s'enfuirent à l'arrivée de Phébus. Nous aperçûmes de loin la terre, et le vent nous en approchait: alors je sentis l'espérance renaître dans mon cœur. Mais nous n'aperçûmes aucun de nos compagnons: selon les apparences, ils perdirent courage, et la tempête les submergea tous avec le vaisseau. Quand nous fûmes auprès de la terre, la mer nous poussait contre des pointes de rochers qui nous eussent brisés; mais nous tâchions de leur présenter le bout de notre mât: et Mentor faisait de ce mât ce qu'un sage pilote fait du meilleur gouvernail. Ainsi nous évitâmes ces rochers affreux, et nous trouvâmes enfin une côte douce et unie où, nageant sans peine, nous abordâmes sur le sable. C'est là que vous nous vîtes, ô grande déesse qui habitez cette île; c'est là que vous daignâtes nous recevoir.
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