Lettres à Mademoiselle de Volland. Dénis Diderot
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Читать онлайн книгу Lettres à Mademoiselle de Volland - Dénis Diderot страница 29

Название: Lettres à Mademoiselle de Volland

Автор: Dénis Diderot

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ Cependant si j'avais été à Paris, une lettre de mon amie, que Damilaville m'aurait remise et que j'attends encore, m'aurait fait plus de plaisir mille fois. Il faut espérer que quelqu'un me l'apportera dans le jour; ou qu'au pis-aller M. Grimm, qui part, me l'enverra ce soir.

      Où êtes-vous? Est-ce à Châlons? M'oubliez-vous là dans le tumulte des fêtes et dans les bras de votre sœur? Madame, ménagez un peu sa santé, et songez que le plaisir a aussi sa fatigue.

      Combien de temps resterez-vous encore à Châlons? Si par hasard cette lettre ne vous y trouvait plus, que deviendrait-elle?

      Eh bien, ils se sont vus? Que se sont-ils dit? De quoi sont-ils convenus? Je vous avais priée d'excuser mon silence auprès de lui; y aurez-vous pensé?

      Si vous trouvez un moment favorable, saisissez-le pour offrir tout mon dévouement et tout mon respect à madame votre mère. Ne m'oubliez pas auprès de M. Le Gendre.

      J'ai demandé à M de Villeneuve des nouvelles de M. de S… et il m'a répondu qu'il se portait à merveille et qu'il attendait madame sur la fin d'octobre. Je lui disais de Mm B… «Il faut convenir que ces maris-là sont de gros butors. Aller faire un enfant à cette petite femme qui n'a qu'un souffle de vie! cette aventure ne lui serait jamais arrivée avec un amant.» Cependant il me regardait avec attention; mais j'étais du sérieux le plus ferme et le plus bête. Je suis sûr qu'il s'y est trompé, et qu'il en a ri.

      Le Baron dut arriver hier soir à Paris; et nous pourrions l'avoir à dîner aujourd'hui. S'il nous restait jusqu'à mercredi, je m'en retournerais avec lui, et nous passerions la grande ville sans mettre pied à terre. Au reste, les mesures sont prises, et vos lettres, toujours adressées à Damilaville, me parviendront sûrement au Grandval.

      J'ai vu toute la famille d'Épinay. Avec quelques différences dans les caractères, ils ont plusieurs excellentes qualités communes. M. d'Épinay est l'affabilité même. Ce sera un jour bien triste pour Grimm et pour son amie que celui qui m'en séparera. Pour moi, je ne distingue plus ni les lieux, ni les temps, ni les circonstances; votre absence a tout mis de niveau; je porte partout sur la poitrine un poids qui me presse sans cesse et qui m'étouffe quelquefois. Ô mon amie! si vous souffriez seulement la moitié de mon ennui, vous n'y résisteriez pas. Si c'est votre retour qui me doit soulager, quand donc revenez-vous? Lorsque Daphnis revit sa Chloé, après un long et cruel hiver qui les avait séparés, la première fois sa vue se troubla, ses genoux se dérobèrent sous lui, il chancelait, il allait tomber, si Chloé ne lui avait tendu les bras pour le soutenir. Mon amie, si par quelque enchantement je vous retrouvais tout à coup à côté de moi, il y a des moments où j'en pourrais mourir de joie. Il est sûr que je ne connais ni bienséance, ni respect qui puisse m'arrêter. Je me précipiterais sur vous, je vous embrasserais de toute ma force, et je demeurerais le visage attaché sur le vôtre, jusqu'à ce que le battement fût revenu à mon cœur, et que j'eusse recouvré la force de m'éloigner pour vous regarder. Je vous regarderais longtemps avant que de pouvoir vous parler: je ne sais quand je retrouverais la voix, et quand je prendrais une de vos mains et que je la pourrais porter à ma bouche, à mes yeux, à mon cœur. J'éprouve, à vous entretenir de ce moment et à l'imaginer, un frissonnement dans toutes les parties de mon corps, et presque la défaillance. Ah! chère amie, combien je vous aime, et combien vous le verrez lorsque nous serons rendus l'un à l'autre!

      N'êtes-vous pas une cruelle femme? Si j'étais à côté de vous, je crois… – Eh bien! que feriez-vous? – Je devrais vous gronder, et je vous baiserais… Imaginez que ma dernière est à Châlons contre-signée Courteilles (c'est encore un paquet), et que celle-ci y allait aussi et que de quinze jours vous n'auriez entendu parler de moi, si M. Grimm n'avait été arrêté par l'envie d'entendre encore notre petite clavecinière; d'où il est arrivé qu'il est parti tard, que j'ai reçu votre douzième, que je lui ai recommandé la mienne, et que la voilà qui, changeant d'enveloppe et d'adresse, s'en va chez M. Gillet. Ne faites plus de ces fautes-là, je vous en prie. Eh bien! vous ne me dites rien, ni du Discours sur la Satire des philosophes, ni de la tragédie de Tancrède. Bonsoir, mon amie, bonsoir.

      XXXVII

17 septembre 1760.

      Je vous écris à la hâte; un de nos peintres s'en retourne dans un quart d'heure, et il faut qu'il se charge de ce billet pour l'hôtel de Clermont-Tonnerre. J'y renferme un mot de grimoire. Je ne vous demande plus rien sur l'arrangement qui s'est fait entre le philosophe et notre chère sœur. J'avais ployé toutes vos lettres sur mon bureau, j'allais répondre à ce que je pouvais avoir laissé en arrière; mais depuis cinq ou six jours cette maison est si tumultueuse que la nuit est fort avancée lorsqu'on pourrait disposer d'un moment.

      Il vient de m'arriver un petit accident. J'étais allé me promener autour d'une grande pièce d'eau sur laquelle il y a des cygnes. Ces oiseaux sont si jaloux de leur domaine, qu'aussitôt qu'on en approche ils viennent à vous à grand vol. Je m'amusais à les exercer, et quand ils étaient arrivés à un des bouts de leur empire, aussitôt je leur apparaissais à l'autre. Pour cet effet il fallait que je courusse de toute ma vitesse; ainsi faisais-je, lorsque je rencontrai devant un de mes pieds une barre de fer qui servait de clef à ces ouvertures qu'on pratique dans le voisinage des eaux renfermées et que l'on appelle des regards. Le choc a été si violent que l'angle de la barre a coupé en deux, ou peu s'en faut, la boucle de mon souliers; j'ai eu le cou-de-pied entamé et presque tout meurtri. Cela ne m'a pas empêché de plaisanter sur ma chute qui me tient en pantoufle, la jambe étendue sur un tabouret. On a pris ce moment de prison et de repos pour me peindre; on refait de moi un portrait admirable. Je suis représenté la tête nue, en robe de chambre, assis dans un fauteuil, le bras droit soutenant le gauche, et celui-ci servant d'appui à la tête, le cou débraillé, et jetant mes regards au loin, comme quelqu'un qui médite. Je médite en effet sur cette toile; j'y vis, j'y respire, j'y suis animé; la pensée paraît à travers le front. On peint Mme d'Épinay en regard avec moi; c'est vous dire en un mot à qui les deux tableaux sont destinés. Elle est appuyée sur une table, les bras croisés mollement l'un sur l'autre, la tête un peu tournée, comme si elle regardait de côté; ses longs cheveux noirs relevés d'un ruban qui lui ceint le front; quelques boucles se sont échappées de dessous ce ruban. Les unes tombent sur sa gorge; les autres se répandent sur ses épaules, et en relèvent la blancheur. Son vêtement est simple et négligé. Je comptais retourner ce soir à Paris; mais mon accident et ces portraits me retiendront ici jusqu'à dimanche. Dimanche nous partirons tous. M. Grimm ira le mardi à Versailles; Mme d'Épinay, le lundi au Grandval; moi je resterai à Paris. Je suis arrivé à la Chevrette au moment où Saurin en partait pour aller à Montigny chez M. Trudaine; nous en avons reçu deux ou trois lettres charmantes, moitié vers et moitié prose. Il y en a une, la dernière, où, sous prétexte de me donner des conseils sur le danger qu'il y a à regarder de trop près de grands yeux noirs, il y fait une déclaration très-fine à Mme d'Épinay. Cela l'a rendue d'abord un peu soucieuse. Son souci a fait le sujet d'une de nos conversations, ou de plusieurs excellents propos qu'elle m'a tenus, je n'en ai retenu qu'un que je vous prie de rendre à votre sœur. Je lui disais, comme m'avait dit cette sœur au Palais-Royal, un jour que je lui conseillais d'arrêter tout de suite celui qu'on ne voulait point engager, qu'on s'exposait à un ridicule quand on refusait des avances qu'on pouvait nier et qui n'avaient point été faites; elle me répondit qu'il valait mieux s'exposer à un ridicule que de compromettre le bonheur d'un honnête homme. Voilà une phrase bien entortillée, mais vous l'entendrez. Adieu, ma tendre amie, je vous embrasse de tout mon cœur. Mes sentiments les plus tendres sont pour vous; mes sentiments les plus respectueux pour Mme Le Gendre.

      P. S. On m'obsède, et je ne sais ce que j'écris. Je ne perdrai aucune occasion de vous donner de mes nouvelles. Je vous demande, dans quelques-unes de mes lettres que vous n'avez point encore reçues, l'explication d'un si suivi de plusieurs points; vous me direz aussi ce qui a pu déranger votre voyage à Châlons. Je vois, par la lettre en grimoire, que Mme Le Gendre est ou sera incessamment avec vous. Je suis devenu si extravagant, si injuste, si jaloux; vous m'en dites tant СКАЧАТЬ