Название: Lettres à Mademoiselle de Volland
Автор: Dénis Diderot
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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Ce que je pense de cette épître71? que c'est un tissu d'atrocités écrites avec facilité. À la place de Voltaire, vous en sentiriez toute la platitude; mais vous en seriez mortifiée. Il y a par-ci et par-là des reproches qu'on n'entend pas de sang-froid. Au reste ne craignez aucune suite fâcheuse de ces papiers-là. Qui est-ce qui les lit? et puis l'idole est si décriée! Les enfants lui crachent au visage.
M. Gaschon envoya samedi savoir ce que je faisais; je ne l'ai point vu et je me le reproche; c'est un très-galant homme qui se jette beaucoup en avant, mais qui ne recule jamais.
Vous l'aurez incessamment, votre boîte; mais que je sache à qui je l'adresserai.
Mon amie, ne me louez pas trop votre sœur, je vous en prie, cela me fait du mal; je ne sais pas pourquoi, mais cela est.
J'ai passé la journée du samedi à mettre un peu d'ordre dans mon coffret. J'ai emporté ici la Religieuse, que j'avancerai, si j'en ai le temps. J'y trouverai le Joueur, qu'ils m'exhortent tous à ajuster à nos mœurs. C'est une grande affaire. M. Grimm l'a lu enfin, et il en est transporté.
Nous avons eu mercredi M. de Saint-Lambert et Mme d'Houdetot. M. de Saint-Lambert est un homme d'un sens exquis; on n'a ni plus de finesse ni plus de sensibilité que Mme d'Houdetot. Ces heures-là se sont échappées. Mme d'Houdetot me disait, à propos d'une tête de Platon que j'ai donnée pour une tête de Sapho, que j'étais bien vieux et qu'à dix-huit ans je n'aurais pas fait cet échange-là.
Ma sœur garde le silence avec moi; elle est honteuse ou fâchée. Est-ce contre elle ou contre moi qu'elle boude? Mme Diderot en reçoit de temps en temps des lettres qu'elle serre. On crie tous les jours aux oreilles de l'abbé convalescent que, sans les soins de sa sœur, il ne serait plus; il faut espérer qu'il rougira d'en user mal avec elle, du moins jusqu'à ce que les services rendus soient assez éloignés pour que l'humeur puisse se montrer sans l'ingratitude.
Mes collègues72 me font sécher; ils ne me rendent rien, et je ne travaille point. Mais dites-moi donc, M. Gaschon vous a-t-il écrit? Ira-t-il, n'ira-t-il pas à Isle? Est-ce que vous n'avez pas encore vu l'abbé Dumoncet? Le général et le procureur de son ordre viennent de perdre, contre un simple religieux, un procès qui les déshonore. J'aurais une infinité de choses à vous dire de Grimm, de Mme d'Épinay, de Saurin, du Baron, de Damilaville, de M. de Saint-Gény, de Voltaire; mais je n'en ai ni le temps ni la place. Ce dernier vient de publier le Recueil des satires du jour, revu, corrigé et augmenté73; je vous l'enverrai aussitôt que nous l'aurons. Je n'ai point encore vu Mlle Boileau. Je rencontrai hier dans nos jardins M. l'échevin, qui me dit qu'elle avait toujours été à la campagne. Mais si je continue, je finirai sans avoir dit que je vous aime. Le détail que je vous fais de mes instants prouve bien que je sens tout l'intérêt que vous prenez à moi; mais il ne montre pas autant celui que je prends à vous. Chère amie, supposez-le tel qu'il vous plaira, et craignez encore de demeurer au-dessous de ce qu'il est. Adieu.
XXXVI
C'était hier la fête de la Chevrette. Je crains la cohue. J'avais résolu d'aller à Paris passer la journée; mais M. Grimm et Mme d'Épinay m'arrêtèrent. Lorsque je vois les yeux de mes amis se couvrir et leurs visages s'allonger, il n'y a répugnance qui tienne et l'on fait de moi ce qu'on veut.
Dès le samedi au soir, les marchands forains s'étaient établis dans l'avenue, sous de grandes toiles tendues d'arbre en arbre. Le matin, les habitants des environs s'y étaient rassemblés; on entendait des violons; l'après-midi on jouait, on buvait, on chantait, on dansait, c'était une foule mêlée de jeunes paysannes proprement accoutrées, et de grandes dames de la ville avec du rouge et des mouches, la canne de roseau à la main, le chapeau de paille sur la tête et l'écuyer sous le bras. Sur les dix heures les hommes du château étaient montes en calèche, et s'en étaient allés dans la plaine. À midi, M. de Villeneuve74 arriva.
Nous étions alors dans le triste et magnifique salon, et nous y formions, diversement occupés, un tableau très-agréable.
Vers la fenêtre qui donne sur les jardins, M. Grimm se faisait peindre et Mme d'Épinay était appuyée sur le dos de la chaise de la personne qui le peignait.
Un dessinateur assis plus bas, sur un placet75, faisait son profil au crayon. Il est charmant, ce profil; il n'y a point de femme qui ne fût tentée de voir s'il ressemble76.
M. de Saint-Lambert lisait dans un coin la dernière brochure que je vous ai envoyée.
Je jouais aux échecs avec Mme d'Houdetot.
La vieille et bonne Mme d'Esclavelles, mère de Mme d'Épinay, avait autour d'elle tous ses enfants, et causait avec eux et avec leur gouverneur.
Deux sœurs de la personne qui peignait mon ami brodaient, l'une à la main, l'autre au tambour.
Et une troisième essayait au clavecin une pièce de Scarlatti.
M. de Villeneuve fit son compliment à la maîtresse de la maison et vint se placer à côté de moi. Nous nous dîmes un mot. Mme d'Houdetot et lui se reconnaissaient. Sur quelques propos jetés lestement, j'ai même conçu qu'il avait quelque tort avec elle.
L'heure du dîner vint. Au milieu de la table était d'un côté Mme d'Épinay et de l'autre M. de Villeneuve; ils prirent toute la peine et de la meilleure grâce du monde. Nous dînâmes splendidement, gaiement et longtemps. Des glaces; ah! mes amies, quelles glaces! c'est là qu'il fallait être pour en prendre de bonnes, vous qui les aimez.
Après dîner, on fit un peu de musique. La personne dont je vous ai déjà parlé qui touche si légèrement et si savamment du clavecin nous étonna tous, eux par la rareté de son talent, moi par le charme de sa jeunesse, de sa douceur, de sa modestie, de ses grâces et de son innocence. Sans exagérer, c'était Émilie à quinze ans. Les applaudissements qui s'élevèrent autour d'elle lui faisaient monter au visage une rougeur, et lui causaient un embarras charmant. On la fit chanter; et elle chanta une chanson qui disait à peu près:
Je cède au penchant qui m'entraîne;
Je ne puis conserver mon cœur.
Mais je veux mourir, si elle entendait rien à cela. Je la regardais, et je pensais au fond de mon cœur que c'était un ange, et qu'il faudrait être plus méchant que Satan pour en approcher avec une pensée déshonnête. Je disais à M. de Villeneuve: Qui est-ce qui oserait changer quelque chose à cet ouvrage-là? Il est si bien. Mais nous n'avons pas, M. de Villeneuve et moi, les mêmes principes. S'il rencontrait des innocentes, lui, il aimerait assez à les instruire; il dit que c'est un autre genre de beauté.
Il était assis à côté de moi, nous parlâmes de vous, de Mme votre mère, de Mme Le Gendre. Il m'apprit qu'il avait passé trois mois à la campagne où vous êtes. «Trois mois, c'est bien plus de temps qu'il n'en faut pour devenir fou de Mme Le Gendre.– Il est vrai, mais elle se communique si peu! —Je ne connais guère de femmes qui se respectent autant qu'elle.– Elle a raison. —Mme Volland… est une femme d'un mérite rare.– Et sa fille aînée… —Elle a de l'esprit comme un démon.– Elle a beaucoup d'esprit; mais c'est sa franchise surtout qui me plaît. Je gagerais presque qu'elle n'a pas fait un mensonge volontaire depuis qu'elle a l'âge de raison.»
Nos СКАЧАТЬ
71
L'Épître du Diable à M. de V… dont il est question dans la lettre XXXII.
72
De l'
73
74
M. Vallet de Villeneuve, qui épousa, en 1769, la fille de Dupin de Francueil, ami de Mme d'Épinay et grand'père de George Sand.
75
Petit siège qui n'a ni bras ni dossier (Littré).
76
Le portrait de Grimm fut peint par la jeune fille qui fit aussi celui de Diderot, dont il est question dans la lettre XXXVIII. C'est probablement celui qu'une demoiselle Lechevalier exposa, en 1761, le jour de la Fête-Dieu, à la place Dauphine. Le «dessinateur assis plus bas» était Garand, qui peignit quelques jours après un portrait de Diderot, pour faire pendant à celui de Mme d'Épinay; «c'est vous dire en un mot à qui ils sont destinés,» ajoute Diderot. «Un certain barbouilleur de la place Dauphine, nommé Garand, a fait