Pastels: dix portraits de femmes. Paul Bourget
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Название: Pastels: dix portraits de femmes

Автор: Paul Bourget

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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isbn: http://www.gutenberg.org/ebooks/37468

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СКАЧАТЬ moines sur un tapis de fleurs surnaturelles. J'avais suivi les pavés au hasard de mes pas, considéré le Saint Georges d'Or' San Michele, l'Andromède de la place de la Seigneurie. Dans tout mon être circulait ce je ne sais quoi de léger, d'impondérable, que procure la vision prolongée de la beauté. Je goûtais jusqu'au délice le plaisir d'avoir dépouillé mon moi, —ce moi habillé à la moderne, ayant un état civil, un passé, un avenir, – pour m'en aller tout entier dans les images dont mes yeux venaient de se repaître. Je suivais le trottoir de la rue Tornabuoni. Un orage de printemps qui menaçait depuis le matin éclate presque tout d'un coup. Sans parapluie et à dix minutes de mon hôtel, j'entre au cabinet de lecture de Vieusseux pour éviter l'eau, tandis que les marchands de fleurs roulent en hâte leurs petites charrettes, garnies de narcisses, de violettes et de roses, sous les portes cochères. Je comptais demeurer là cinq minutes. La pluie se prolonge. Pour tuer le temps je me laisse choir sur un des divans de la salle de lecture, et je ramasse machinalement un journal français qui traînait enroulé sur sa hampe de bois. Depuis combien de jours, dans mon étrange indifférence pour tout ce qui n'est pas la sensation de l'heure présente, n'avais-je pas fait une semblable lecture? Et voici qu'entre la mention d'un bal élégant et l'annonce d'un roman nouveau, mon regard tombe sur le compte rendu de l'enterrement du comte Adolphe Bressuire… Trente-sept ans, le petit-fils de l'ancien ministre de l'Empereur, marié depuis quatorze mois, c'est bien celui que j'ai connu. Ève-Rose est veuve! C'en est assez pour que mon pouls batte la fièvre en ce moment, moi qui croyais si bien l'avoir oubliée. Je fus bouleversé par cette simple idée au point de rechercher la confirmation de la nouvelle dans un second journal, puis dans un troisième, enfantinement. La pluie avait cessé. Je sortis, et, tout en regardant le flot de l'Arno couler, lent et brouillé, cette seconde pensée surgit en moi: «Si cependant elle m'aimait encore! Si elle m'aimait?.. Et m'a-t-elle jamais aimé?.. Qu'ai-je bien su du cœur de cette inexplicable enfant?..» Et les troubles anciens ont recommencé, – si intenses que, pour les tromper, j'ai dû recourir au vieux remède, à cet inutile griffonnage sur le memorandum de ma vie morte, puisque c'est seulement la plume à la main que je me soulage du malaise intime. Anomalie singulière et qui fait de moi un demi-écrivain, comme tout a contribué à faire de ma pauvre personne un demi-quelqu'un ou quelque chose: – une moitié de femme, car j'ai les nerfs malades de ma mère; – une moitié d'homme d'action, car j'ai commencé ma jeunesse dans une carrière politique; – une moitié d'aristocrate, car, avec mon nom plébéien et ma modeste fortune, j'ai toujours flotté sur le bord de la haute vie; – voire une moitié d'homme heureux, car, au demeurant, mon lot sentimental n'a pas été trop misérable, et j'ai connu des demi-bonheurs. – J'ai tellement cru, il y a trois ans, lorsque j'ai commencé d'aimer Ève-Rose, que, pour une fois, je tenais un bonheur entier!

      Elle est présente devant moi et vivante, comme un être, l'heure exacte où ce sentiment a pris naissance. Je pourrais, en cherchant un peu, nommer la date et dire le jour, dire surtout la couleur du jour. Je revois la nuance du ciel, – d'un bleu pâle et froid, – qu'il faisait sur la rue de Berry, par cette après-midi de décembre. C'était un lundi, jour de réception de celle que j'avais connue la belle Mme Nieul, – quand nous avions tous deux vingt-cinq ans. Combien de fois avais-je traversé la cour de cet hôtel numéroté 25 bis, – combien de fois donné mon pardessus au valet de pied dans l'antichambre et franchi le grand salon pour arriver jusqu'à la maîtresse du logis, qui se tenait d'habitude dans une sorte de vaste salon-serre séparé du premier par une grille en fer forgé tout enguirlandée de feuilles d'or? Le compte est aisé. J'ai connu les Nieul en 1865. J'ai dîné chez eux depuis lors environ quatre fois par saison. Mettons que je leur ai rendu le double de visites. Et puis combien de fois ai-je rencontré Mme Nieul ailleurs? Je la voyais chez les de Jardes, chez les Durand-Bailleul, chez les Schœrbeck, chez les Gourdiège, chez les Le Bugue. Que de soirées, vouées au néant, s'évoquent à ma mémoire rien qu'à écrire les syllabes de ces noms! Que d'après-midi consacrées, comme cette après-midi de décembre 1876, à l'insipide corvée des visites! Et sur tout cela, combien de fois avais-je aperçu Ève-Rose Nieul, sans la remarquer autrement que pour la singularité de son nom, qui m'avait paru un comble de prétention? Si cette jeune fille avait éveillé une émotion en moi, ç'avait été celle de la pitié, quoiqu'elle vécût dans une atmosphère d'opulence raffinée. Oui, je l'avais plainte d'être conduite, si jeune, dans le monde, et avec cette outrance que Mme Nieul apportait à se conformer aux rites usuels de la vie élégante. Son veuvage n'avait rien diminué de cette ardeur. Rendre des visites et en recevoir, siéger à des dîners d'apparat chez elle et chez les autres, ne manquer ni un bal, ni une exposition, ni une pièce en vogue, en un mot, être en représentation toujours, c'était encore, il y a quatre ans, l'unique affaire de cette femme à figure de déesse. C'est qu'avec ses grands yeux bruns, si larges et si calmes, avec sa haute taille, avec ses épaules et ses bras magnifiques, avec sa tournure restée si jeune, chaque sortie était une occasion de triomphe pour elle, même aux approches de la quarantaine. Irréprochable d'ailleurs, comment ne l'aurait-elle pas été avec cette splendeur impassible de son visage qui déconcertait le désir? Est-ce qu'on imagine une Junon mettant une voilette sur une autre et se glissant dans un fiacre pour courir à un rendez-vous clandestin? Avec cela, dépensière comme une actrice qu'elle aurait pu être, car elle chantait divinement. Oui, cette femme avait toutes les raisons possibles d'aimer le monde, et elle l'aimait, comme un poète aime les vers, un chimiste son laboratoire et un jockey son cheval. C'était pour elle la forme première et dernière du bonheur, et, bien naïvement, elle avait élevé sa fille selon ses goûts. Toute petite, j'avais vu Ève-Rose danser dans chacun des bals d'enfants sur lesquels j'étais venu jeter un coup d'œil. Je l'avais rencontrée au Bois, ses cheveux blonds épars sous le petit chapeau de feutre et joliment assise sur sa ponette, aussitôt qu'elle avait pu se tenir en selle. Aujourd'hui, avant sa vingtième année, son nom était cité dans les articles des journaux de la haute vie. On commençait d'écrire, dans les comptes rendus de soirée, «la toute charmante Mademoiselle Nieul,» d'une manière courante. Deux peintres à la mode avaient déjà exposé son portrait. Quoi d'étonnant que je n'eusse jamais pensé à elle que pour dire «la pauvre fille!» Et je l'avais classée, une fois pour toutes, dans le groupe des créatures que je hais le plus, – après les enfants mondains, – je veux parler de ces jeunes personnes dont l'âme s'est fanée au feu desséchant des conversations de salon avant d'être éclose, de ces vierges de fait qui ont deviné tous les compromis de conscience, avec une figure d'ange, – de ces froides calculatrices au sourire ingénu qui se marient pour avoir deux chevaux de plus dans leur écurie que l'amie mariée de la veille… En vieillissant, je deviens terriblement jeune, moi-même, et d'une naïveté de chérubin romantique. Me voici loin de mon entrée dans le salon de la rue de Berry. Qu'allais-je y faire, puisque ni Ève-Rose ni sa mère n'étaient selon mon cœur, et quelle sotte manie de ne pas vivre à sa guise quand on a l'indépendance de la fortune et qu'on souffre cruellement du caractère d'autrui?

      Oui, mais pour vivre à sa guise, il faut n'avoir jamais dépendu d'une femme, et, pendant quatre longues années, je venais d'être l'humble serviteur d'une maîtresse, assez étourdiment prise aux eaux de Carlsbad et conservée à Paris, de cette jolie et folle… – ma foi, je n'ai pas le droit d'écrire son nom, même ici; – et comme elle était des amies de Mme Nieul, j'avais dû me résigner à venir très souvent rue de Berry. Puis, comme nous avions rompu depuis six mois, je lui devais, à elle, d'être plus exact que jamais aux devoirs du monde qui avaient jadis été les occasions heureuses de notre liaison. – Heureuses? Après tous les chagrins que cette femme m'a fait connaître, comment puis-je écrire ce mot à propos d'elle? J'étais son premier amour. Du moins je le crus en ces temps-là, et cette persuasion rivait davantage encore ma chaîne. Il me semblait que je lui devais plus qu'à une autre, et j'attribuais ce sentiment à une délicatesse de conscience, bien que je lui fusse attaché sans doute par cette vilaine vanité du sexe qui est le plus clair de tous nos amours. Je me laissais tyranniser, et je menais à la lettre l'existence d'un forçat de club; car elle joignait à une jalousie extrême un effréné désir de divertissement, si bien qu'il fallait toujours être où elle était, et elle était toujours dans le monde. Oui, une chaîne, et meurtrissante, et cependant imbrisable, car cette frêle créature aux yeux noirs trop grands, aux cheveux ondulés, à la bouche fine СКАЧАТЬ