Pastels: dix portraits de femmes. Paul Bourget
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Название: Pastels: dix portraits de femmes

Автор: Paul Bourget

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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isbn: http://www.gutenberg.org/ebooks/37468

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СКАЧАТЬ haut que le second. L'ingénuité de cette sottise me divertissait dans l'entre-deux de nos explications latines, au point que je ne me décidai pas à perdre de vue un sujet aussi bien doué pour devenir un Snob de la grande espèce. Étudiant en droit, Louis tint les promesses de son adolescence. Il fut un des premiers à importer dans les brasseries du quartier Latin les costumes et les attitudes des gommeux, – c'était le nom à la mode en ces temps lointains, – qu'il avait pu remarquer au théâtre ou aux courses. Le hasard le favorisa. Son père, dont il rougissait, mourut subitement; et d'accord avec sa mère, aussi vaniteuse que lui, le fils vendit la maison. Il vit avec ivresse disparaître, sur les vitrages des portes et sur l'enseigne, ce nom de Servin, qu'il projetait déjà de modifier en y joignant celui de Figon. Ainsi s'appelait l'aïeule maternelle. Il partit pour l'Italie sur ces entrefaites, en compagnie d'une certaine Pauline Marlv qui avait été, à une époque, l'objet des faveurs d'un assez grand personnage. Il en revint après quelques mois avec des cartes de visite sur lesquelles se lisaient en toutes lettres ces syllabes magiques: Servin de Figon, et je fus invité à dîner par sa mère, qui signa son billet: Thérèse Servin de Figon, elle aussi! Ce fut pour Louis le signal d'une nouvelle vie qu'il inaugura par une rupture absolue avec toutes ses anciennes connaissances, exception faite pour ceux qu'il savait, comme moi, un peu attachés à tous les mondes. Ce fut la période des «Premières,» du Boulevard, et des soupirs nostalgiques vers le grand cercle. Dans quel bar à la mode connut-il le beau marquis de Vardes, et à la suite de combien de cock-tails bus ensemble ce véritable élégant s'intéressa-t-il aux efforts de ce jeune bourgeois en train de se déserviniser? Toujours est-il que, pendant des années, Servin de Figon, devenu S. de Figon, suivant la formule, s'attacha au marquis comme les Scapins de l'ancienne comédie s'attachaient aux Léandres, avec une de ces persistances de flatterie qui supportent toutes les rebuffades, acceptent toutes les servilités et triomphent de toutes les répugnances. Philippe de Vardes, chez qui l'abus des succès faciles n'a pas détruit la bonhomie native, alla jusqu'à donner à son admirateur des leçons de toilette et aussi quelques sages conseils sur la conduite de ses relations. «C'est encore jeune,» disait-il, quand on le questionnait sur S. de Figon, «mais dans deux ou trois ans il sera fait…» Il en parlait comme de son bordeaux. Cependant, l'influence de cet aimable protecteur n'allait pas jusqu'à forcer en faveur du protégé les portes du paradis de la rue Royale. Le Servin était encore trop près, et surtout Louis avait voulu aller trop vite. Quelques dîners trop réussis offerts à de nobles décavés lui avaient attiré de sourdes envies. Un dernier reste de sens pratique, héritage du père Servin, lui fit comprendre cette faute, d'autres encore, et il prit la résolution, désormais, d'obéir aveuglément à Vardes. Deux séjours en Angleterre, à la suite de cet indulgent protecteur, lui avaient ouvert une vue sur le monde cosmopolite, et maintenant sa mère, morte à son tour, devait se retourner de joie dans sa tombe. Il ne fréquentait plus que des gens titrés ou millionnaires, – et le prince de Galles savait son nom!

      Si intéressant qu'un pareil échantillon de la vanité bourgeoise puisse paraître à un auteur, il est vite connu, classé, défini, étiqueté. Et pourtant, lorsque mon vieux domestique Ferdinand, par un soir du mois de juillet, voici deux ans, m'apporta une carte anglaise sur laquelle il y avait un simple Louis de Figon, je ne répondis point par un énergique: «dites que je n'y suis pas…» Au contraire, je me frottai les mains et je le priai d'introduire mon visiteur inattendu avec la plus joyeuse impatience. Il est vrai d'ajouter que j'avais fortement travaillé tout le jour, et quand un écrivain a dix heures d'allègre copie dans le cerveau et dans les doigts, sa béatitude intellectuelle est si complète qu'elle le rend indulgent aux pires raseurs. Mais le faux de Figon n'est pas seulement un raseur, il est aussi un catoblépas. C'est un mot que je demande au lecteur de vouloir bien me pardonner. Je l'ai emprunté à la Tentation de saint Antoine par Flaubert, où il est parlé de cet animal, si parfaitement bête qu'il s'est une fois dévoré les pattes sans s'en apercevoir. «Sa stupidité m'attire…» dit l'ermite. Il se rencontre ainsi, de par le monde, des fantoches d'un sérieux si profond dans la niaiserie, d'une sincérité si entière dans le ridicule, qu'une espèce d'incompréhensible fascination émane de leur sottise, comme du catoblépas de la Tentation. La littérature en a créé un certain nombre, dont le plus remarquable est Joseph Prudhomme. Le catoblépas n'est pas simplement le personnage comique, il faut que ce caractère de comique s'accompagne chez lui d'une déformation de la nature humaine si absolument constitutionnelle qu'il équivaille dans l'ordre moral aux nains monstrueux dont raffolaient les princes d'autrefois. Il doit correspondre en nous à ce goût singulier de la laideur dont l'art de l'Extrême-Orient atteste la prédominance définitive chez certaines races. En suis-je moi-même pénétré? Toujours est-il que la visite de mon ancien élève, par le soir d'été dont je parle, me causa un réel plaisir et que je donnai l'ordre de le recevoir, avec une soif de le retrouver pareil à lui-même dans son ridicule, qui ne fut pas déçue quand il entra dans mon cabinet de travail. Amené par quel motif? Je ne pensai pas à me le demander.

      Le physique est excellent. Servin de Figon est grand et mince, avec un visage au nez allongé, un front petit, et comme une inexprimable suffisance répandue autour de sa bouche et de ses joues. Invinciblement, en sa présence on pense au proverbe «vaniteux comme un paon,» et l'on constate une extraordinaire identité de physionomie entre cet oiseau et cette figure. De chaque côté de ce visage tout en pointe partent deux oreilles trop détachées. Une raie tracée au milieu de la tête divise les cheveux noirs en deux plaques luisantes et cosmétiquées savamment. La moustache est d'une autre couleur que les cheveux, presque rousse, et sa tournure atteste le coup de fer quotidien. Mais ce qui achève de donner à Louis la plus étonnante expression de vanité heureuse, c'est une certaine façon de porter la tête en arrière dans un abaissement dédaigneux des paupières qui se déploient ensuite avec lenteur, tandis que la bouche parle et sourit de ses propres paroles. C'est sur des airs pareils que le premier venu dirait de ce jeune homme: «quel poseur!..» sans même prendre garde à sa mise plus qu'affectée. Louis copie Philippe de Vardes, son maître, avec une fidélité si gênante qu'il faut toute la bonne humeur du marquis pour ne pas détester cette caricature. Philippe est athlétique et sanguin. Il porte des redingotes et des jaquettes ajustées qui font valoir ses muscles. Ces mêmes redingotes et ces mêmes jaquettes, mises sur le grand long corps de Louis, en exagèrent encore la maigreur. Philippe, avec son teint presque trop coloré, peut supporter les couleurs claires qui donnent au visage en papier mâché de Louis des nuances verdâtres de précoce cadavre. Le léger accent britannique du marquis s'explique par ce fait que sa mère était Écossaise et qu'il a lui-même vécu à Londres autant qu'à Paris, au lieu que le fils du patron du Bon drap n'a jamais su de la langue anglaise que les termes de courses qu'il prononce mal. Et puis, ce sont des tics du maître apparus dans la bouche de l'élève comme un certain «ça est…» qui revient sans cesse.

      – «Mais ça est gentil chez vous,» me dit-il en entrant, comme tout étonné de ne pas trouver son ancien répétiteur dans le pire des galetas; et tirant de sa poche un étui à cigarettes en argent où la couronne de comte commence à se dessiner: «Vous n'en prenez pas? D'excellentes cigarettes d'Égypte… Philippe et moi nous les faisons venir du Caire directement… C'est lord *** (ici un des plus beaux noms du Peerage) qui nous a donné l'adresse… Vous ne le connaissez pas? Ah! charmant, mon cher, charmant, et un chic!.. Nous faisions la fête ensemble, l'autre jour, chez Philippe… Un seul vin à dîner, du château-margaux 75… Enfin, Bob était parti… (ses paupières se déplièrent tandis qu'il appelait ainsi ce grand seigneur, qui n'aurait pas voulu du père Servin pour habiller sa maison). Il y avait là Viollas, le cousin de la petite Dutacq, cette jolie blonde qui ressemble à lady *** (ici un autre souvenir du Peerage). Voilà que Bob demande tout haut, avec son grand air et son accent: – «La petite Dutacq, délicieuse… Qui est son amant? – Monsieur, interrompt Viollas, Mme Dutacq est ma cousine…» Et savez-vous ce que Bob a répondu: – «Je ne vous demande pas cela, monsieur, je vous demande si elle a un amant…» Est-ce assez ancien régime, ce mot-là?.. Ce que nous avons ri!..»

      Comment traduire la mimique dont s'accompagnait ce discours et le respect profond avec lequel la voix se faisait familière pour dire Philippe et Bob, puis le lancer dédaigneux des noms plébéiens: СКАЧАТЬ