Название: Voyage musical en Allemagne et en Italie, II
Автор: Hector Berlioz
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
isbn: http://www.gutenberg.org/ebooks/37567
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J'étais d'ailleurs, ce jour-là, d'humeur très-peu embrassante; je crois même n'avoir pas éprouvé de plus horrible colère dans toute ma vie. Voici pourquoi: la cantate qu'on nous avait donnée à mettre en musique finissait au moment où Sardanapale vaincu appelle ses plus belles esclaves, et monte avec elles sur le bûcher. L'idée me vint d'écrire une sorte de symphonie descriptive de l'incendie, des cris de ces femmes mal résignées, des fiers accents de ce brave voluptueux, défiant la mort au milieu des progrès de la flamme et du fracas de l'écroulement du palais. Mais en songeant aux moyens que j'allais avoir à employer pour rendre sensibles, par l'orchestre seul les principaux traits d'un tableau de cette nature, je m'arrêtai. La section de musique de l'Académie eût condamné, sans aucun doute, toute ma partition, à la seule inspection de ce final instrumental; d'ailleurs, rien ne pouvant être plus inintelligible, réduit à l'exécution du piano, il devenait au moins inutile de l'écrire. J'attendis donc. Quand ensuite le prix m'eut été accordé, sûr alors de ne pouvoir plus le perdre, et d'être en outre exécuté à grand orchestre, j'écrivis mon incendie. Ce morceau, à la répétition générale, produisit un tel effet, que plusieurs de MM. les Académiciens, pris au dépourvu, vinrent eux-mêmes m'en faire compliment, sans arrière pensée et sans rancune pour le piège où je venais de prendre leur religion musicale.
La salle des séances publiques de l'Institut était pleine d'artistes et d'amateurs, curieux d'entendre cette cantate dont l'auteur avait alors déjà une fière réputation d'extravagance. La plupart en sortant, se récriaient sur l'étonnement que leur avait causé l'Incendie, et par le récit qu'ils firent de l'étrangeté de cet effet symphonique, la curiosité et l'attention des auditeurs du lendemain, qui n'avaient point assisté à la répétition, furent naturellement excitées à un degré peu ordinaire.
A l'ouverture de la séance, me méfiant un peu de l'habileté de Grasset, l'ex-chef d'orchestre du théâtre Italien, qui dirigeait alors, j'allai me placer à côté de lui, mon manuscrit à la main. La pauvre Malibran, attirée aussi par la rumeur de la veille, et qui n'avait pas pu trouver place dans la salle, était assise sur un tabouret, auprès de moi, entre deux contre-basses. Je la vis ce jour-là pour la dernière fois.
Mon decrescendo commence:
(La cantate débutant par ce vers: Déjà la nuit a voilé la nature, j'avais dû faire un Coucher du soleil, au lieu du Lever de l'Aurore consacré. Il semble que je sois condamné à ne jamais agir comme tout le monde, à prendre la vie et l'Académie à contre-poil!)
La cantate se déroule sans accident; Sardanapale apprend sa défaite, se résout à mourir, appelle ses femmes; l'incendie s'allume, on écoute, les initiés de la répétition disent à leurs voisins:
«Vous allez entendre cet écroulement, c'est étrange, c'est prodigieux!
Cinq cent mille malédictions sur les musiciens qui ne comptent pas leurs pauses!!! une partie de cor donnait dans ma partition la réplique aux timbales, les timbales la donnaient aux cymbales, celles-ci à la grosse caisse, et le premier coup de la grosse caisse amenait l'explosion finale! Mon damné cor ne fait pas sa note, les timbales ne l'entendant pas n'ont garde de partir, par suite, les cymbales et la grosse caisse se taisent aussi; rien ne part! rien!!.. les violons et les basses continuent seuls leur impuissant tremolo; point d'écroulement! un incendie qui s'éteint sans avoir éclaté; un effet ridicule au lieu de l'éruption tant annoncée! Ridiculus mus!.. Il n'y a qu'un compositeur, déjà soumis à une pareille épreuve, qui puisse concevoir la fureur dont je fus alors bouleversé. Un cri d'horreur s'échappa de ma poitrine haletante, je lançai ma partition à travers l'orchestre, je renversai deux pupitres; madame Malibran fit un bond en arrière, comme si une mine venait soudain d'éclater à ses pieds; tout fut en rumeur, et l'orchestre, et les Académiciens scandalisés, et les auditeurs mystifiés, et les amis de l'auteur indignés. Ce fut une vraie catastrophe musicale. Sérieusement, je tremble encore en y songeant.
Il fallut pourtant bien en prendre mon parti, et quelques semaines après, maudissant l'Académie de Paris, qui, cette fois, n'en pouvait mais, m'acheminer vers l'Académie de Rome, où je devais avoir tout loisir d'oublier la musique et les musiciens.
Cette institution, fondée en 1666, eut sans doute, dans le principe, un but d'utilité pour l'art et les artistes. Il ne m'appartient pas de juger jusqu'à quel point les intentions du fondateur ont été remplies à l'égard des peintres, sculpteurs, graveurs et architectes; quant aux musiciens, je le répète, le voyage d'Italie, favorable au développement de leur imagination par le trésor de poésie que la nature, l'art et les souvenirs, étalent à l'envi sous leurs pas, est au moins inutile sous le rapport des études spéciales qu'ils y peuvent faire. Mais le fait ressortira plus évident du tableau fidèle de la vie que mènent à Rome les artistes français. Avant de s'y rendre, les cinq ou six nouveaux lauréats se réunissent pour combiner ensemble les arrangements du grand voyage qui se fait d'ordinaire en commun. Un voiturin se charge, moyennant une somme assez modique, de faire parvenir en Italie sa cargaison de grands hommes, en les entassant dans une lourde cariole, ni plus ni moins que des bourgeois du Marais. Comme il ne change jamais de chevaux, il lui faut beaucoup de temps pour traverser la France, passer les Alpes, et parvenir dans les États-Romains; mais ce voyage à petites journées doit être fécond en incidents pour une demi-douzaine de jeunes voyageurs dont l'esprit, à cette époque, est fort loin d'être tourné à la mélancolie. Si j'en parle sous la forme dubitative, c'est que je ne l'ai pas fait ainsi moi-même; diverses circonstances me retinrent à Paris, après la cérémonie auguste de mon couronnement, jusqu'au milieu de janvier, et je fis la traversée tout seul et assez triste.
IV
LE DÉPART
La saison était trop mauvaise pour que le passage des Alpes pût offrir quelque agrément; je me déterminai donc à les tourner, et me rendis à Marseille. C'était ma première entrevue avec la mer. Je cherchai assez longtemps un vaisseau un peu propre qui fît voile СКАЧАТЬ