L'inutile beauté. Guy de Maupassant
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Название: L'inutile beauté

Автор: Guy de Maupassant

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ de notre tête, toute impuissante, ignorante et confuse qu’elle est et qu’elle demeurera toujours, fait de nous tous, les intellectuels, d’éternels et misérables exilés sur cette terre.

      Contemple-la, cette terre, telle que Dieu l’a donnée à ceux qui l’habitent. N’est-elle pas visiblement et uniquement disposée, plantée et boisée pour des animaux. Qu’y a-t-il pour nous? Rien. Et pour eux, tout: les cavernes, les arbres, les feuillages, les sources, le gîte, la nourriture et la boisson. Aussi les gens difficiles comme moi n’arrivent-ils jamais à s’y trouver bien. Ceux-là seuls qui se rapprochent de la brute sont contents et satisfaits. Mais les autres, les poètes, les délicats, les rêveurs, les chercheurs, les inquiets. Ah! les pauvres gens!

      Je mange des choux et des carottes, sacrebleu, des oignons, des navets et des radis, parce que nous avons été contraints de nous y accoutumer, même d’y prendre goût, et parce qu’il ne pousse pas autre chose, mais c’est là une nourriture de lapins et de chèvres, comme l’herbe et le trèfle sont des nourritures de cheval et de vache. Quand je regarde les épis d’un champ de blé mur, je ne doute pas que cela n’ait germé dans le sol pour des becs de moineaux ou d’alouettes, mais non point pour ma bouche. En mastiquant du pain, je vole donc les oiseaux, comme je vole la belette et le renard en mangeant des poules. La caille, le pigeon et la perdrix ne sont-ils pas les proies naturelles de l’épervier; le mouton, le chevreuil et le boeuf, celles des grands carnassiers, plutôt que des viandes engraissées pour nous être servies rôties avec des truffes qui auraient été déterrées spécialement pour nous, par les cochons.

      Mais, mon cher, les animaux n’ont rien à faire pour vivre ici-bas. Ils sont chez eux, logés et nourris, ils n’ont qu’à brouter ou à chasser et à s’entre-manger selon leurs instincts, car Dieu n’a jamais prévu la douceur et les moeurs pacifiques; il n’a prévu que la mort des êtres acharnés à se détruire et à se dévorer.

      Quant à nous! Ah! ah! il nous en a fallu du travail, de l’effort, de la patience, de l’invention, de l’imagination, de l’industrie, du talent et du génie pour rendre à peu près logeable ce sol de racines et de pierres. Mais songe à ce que nous avons fait, malgré la nature, contre la nature, pour nous installer d’une façon médiocre, à peine propre, à peine confortable, à peine élégante, pas digne de nous.

      Et plus nous sommes civilisés, intelligents, raffinés, plus nous devons vaincre et dompter l’instinct animal qui représente en nous la volonté de Dieu.

      Songe qu’il nous a fallu inventer la civilisation, toute la civilisation, qui comprend tant de choses, tant, tant, de toutes sortes, depuis les chaussettes jusqu’au téléphone. Songe à tout ce que tu vois tous les jours, à tout ce qui nous sert de toutes les façons.

      Pour adoucir notre sort de brutes, nous avons découvert et fabriqué de tout, à commencer par des maisons, puis des nourritures exquises, des sauces, des bonbons, des pâtisseries, des boissons, des liqueurs, des étoffes, des vêtements, des parures, des lits, des sommiers, des voitures, des chemins de fer, des machines innombrables; nous avons, de plus, trouvé les sciences et les arts, l’écriture et les vers. Oui, nous avons créé les arts, la poésie, la musique, la peinture. Tout l’idéal vient de nous, et aussi toute la coquetterie de la vie, la toilette des femmes et le talent des hommes qui ont fini par un peu parer à nos yeux, par rendre moins nue, moins monotone et moins dure l’existence de simples reproducteurs pour laquelle la divine Providence nous avait uniquement animés.

      Regarde ce théâtre. N’y a-t-il pas là-dedans un monde humain créé par nous, imprévu par les Destins éternels, ignoré d’Eux, compréhensible seulement par nos esprits, une distraction coquette, sensuelle, intelligente, inventée uniquement pour et par la petite bête mécontente et agitée que nous sommes.

      Regarde cette femme, Mme de Mascaret. Dieu l’avait faite pour vivre dans une grotte, nue, ou enveloppée de peaux de bêtes. N’est-elle pas mieux ainsi? Mais, à ce propos, sait-on pourquoi et comment sa brute de mari, ayant près de lui une compagne pareille et, surtout après avoir été assez rustre pour la rendre sept fois mère, l’a lâchée tout à coup pour courir les gueuses.

      Grandin répondit.

      – Eh! mon cher, c’est probablement là l’unique raison. Il a fini par trouver que cela lui coûtait trop cher, de coucher toujours chez lui. Il est arrivé, par économie domestique, aux mêmes principes que tu poses en philosophe.

      On frappait les trois coups pour le dernier acte. Les deux amis se retournèrent, ôtèrent leur chapeau et s’assirent.

      IV. Dans le coupé qui les ramenait chez eux après la représentation de l’Opéra…

      Dans le coupé qui les ramenait chez eux après la représentation de l’Opéra, le comte et la comtesse de Mascaret, assis côte à côte, se taisaient. Mais voilà que le mari, tout à coup, dit à sa femme:

      – Gabrielle!

      – Que me voulez-vous?

      – Ne trouvez-vous pas que ça a assez duré!

      – Quoi donc?

      – L’abominable supplice auquel, depuis six ans, vous me condamnez.

      – Que voulez-vous, je n’y puis rien.

      – Dites-moi lequel, enfin?

      – Jamais.

      – Songez que je ne puis plus voir mes enfants, les sentir autour de moi, sans avoir le coeur broyé par ce doute. Dites-moi lequel, et je vous jure que je pardonnerai, que je le traiterai comme les autres.

      – Je n’en ai pas le droit.

      – Vous ne voyez donc pas que je ne peux plus supporter cette vie, cette pensée qui me ronge, et cette question que je me pose sans cesse, cette question qui me torture chaque fois que je les regarde. J’en deviens fou.

      Elle demanda:

      – Vous avez donc beaucoup souffert?

      – Affreusement. Est-ce que j’aurais accepté, sans cela, l’horreur de vivre à votre côté, et l’horreur, plus grande encore, de sentir, de savoir parmi eux qu’il y en a un, que je ne puis connaître, et qui m’empêche d’aimer les autres.

      Elle répéta:

      – Alors, vous avez vraiment souffert beaucoup?

      Il répondit d’une voix contenue et douloureuse:

      – Mais, puisque je vous répète tous les jours que c’est pour moi un intolérable supplice. Sans cela, serais-je revenu? serais-je demeuré dans cette maison, près de vous et près d’eux, si je ne les aimais pas, eux. Ah! vous vous êtes conduite avec moi d’une façon abominable. J’ai pour mes enfants la seule tendresse de mon coeur; vous le savez bien. Je suis pour eux un père des anciens temps, comme j’ai été pour vous le mari des anciennes familles, car je reste, moi, un homme d’instinct, un homme de la nature, un homme d’autrefois. Oui, je l’avoue, vous m’avez rendu jaloux atrocement, parce que vous êtes une femme d’une autre race, d’une autre âme, avec d’autres besoins. Ah! les choses que vous m’avez dites, je ne les oublierai jamais. À partir de ce jour, d’ailleurs, je ne me suis plus soucié de vous. Je ne vous ai pas tuée parce que je n’aurais plus gardé un moyen sur la terre de découvrir jamais lequel de nos… de vos enfants n’est pas à moi. J’ai attendu, mais j’ai souffert plus que vous ne sauriez croire, car je n’ose plus les aimer, sauf les deux aînés peut-être; СКАЧАТЬ