L'inutile beauté. Guy de Maupassant
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Название: L'inutile beauté

Автор: Guy de Maupassant

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ frappés à la porte.

      – Entrez.

      Le maître d’hôtel parut, et dit:

      – Madame la comtesse est servie.

      – Le comte est rentré?

      – Oui, madame la comtesse. M. le comte est dans la salle à manger.

      Elle eut, pendant quelques secondes, la pensée de s’armer d’un petit revolver qu’elle avait acheté quelque temps auparavant, en prévision du drame qui se préparait dans son coeur. Mais elle songea que tous les enfants seraient là; et elle ne prit rien, qu’un flacon de sels.

      Lorsqu’elle entra dans la salle, son mari, debout près de son siège, attendait. Ils échangèrent un léger salut, et s’assirent. Alors, les enfants, à leur tour, prirent place. Les trois fils, avec leur précepteur, l’abbé Marin, étaient à la droite de la mère; les trois filles, avec la gouvernante anglaise, Mlle Smith, étaient à gauche. Le dernier enfant, âgé de trois mois, restait seul à la chambre avec sa nourrice.

      Les trois filles, toutes blondes, dont l’aînée avait dix ans, vêtues de toilettes bleues, ornées de petites dentelles blanches, ressemblaient à d’exquises poupées. La plus jeune n’avait pas trois ans. Toutes, jolies déjà, promettaient de devenir belles comme leur mère.

      Les trois fils, deux châtains, et l’aîné, âgé de neuf ans, déjà brun, semblaient annoncer des hommes vigoureux, de grande taille, aux larges épaules. La famille entière semblait bien du même sang, fort et vivace.

      L’abbé prononça le bénédicité selon l’usage, lorsque personne n’était invité, car, en présence des étrangers, les enfants ne venaient point à la table. Puis on se mit à dîner.

      La comtesse, étreinte d’une émotion qu’elle n’avait point prévue, demeurait les yeux baissés, tandis que le comte examinait tantôt les trois garçons et tantôt les trois filles, avec des yeux incertains qui allaient d’une tête à l’autre, troublés d’angoisses. Tout à coup, en reposant devant lui son verre à pied, il le cassa, et l’eau rougie se répandit sur la nappe. Au léger bruit que fit ce léger accident la comtesse eut un soubresaut qui la souleva sur sa chaise. Pour la première fois ils se regardèrent. Alors, de moment en moment, malgré eux, malgré la crispation de leur chair et de leur coeur, dont les bouleversait chaque rencontre de leurs prunelles, ils ne cessaient plus de les croiser comme des canons de pistolet.

      L’abbé, sentant qu’une gêne existait dont il ne devinait pas la cause, essaya de semer une conversation. Il égrenait des sujets sans que ses inutiles tentatives fissent éclore une idée, fissent naître une parole.

      La comtesse, par tact féminin, obéissant à ses instincts de femme du monde, essaya deux ou trois fois de lui répondre: mais en vain. Elle ne trouvait point ses mots dans la déroute de son esprit; et sa voix lui faisait presque peur dans le silence de la grande pièce où sonnaient seulement les petits heurts de l’argenterie et des assiettes.

      Soudain son mari, se penchant en avant, lui dit:

      – En ce lieu, au milieu de vos enfants, me jurez-vous la sincérité de ce que vous m’avez affirmé tantôt.

      La haine fermentée dans ses veines la souleva soudain, et répondant à cette demande avec la même énergie qu’elle répondait à son regard, elle leva ses deux mains, la droite vers les fronts de ses fils, la gauche vers les fronts de ses filles, et d’un accent ferme, résolu, sans défaillance:

      – Sur la tête de mes enfants, je jure que je vous ai dit la vérité.

      Il se leva, et, avec un geste exaspéré ayant lancé sa serviette sur la table, il se retourna en jetant sa chaise contre le mur, puis sortit sans ajouter un mot.

      Mais elle, alors, poussant un grand soupir, comme après une première victoire, reprit d’une voix calmée:

      – Ne faites pas attention, mes chéris, votre papa a éprouvé un gros chagrin tantôt. Et il a encore beaucoup de peine. Dans quelques jours il n’y paraîtra plus.

      Alors elle causa avec l’abbé; elle causa avec Mlle Smith; elle eut pour tous ses enfants des paroles tendres, des gentillesses, de ces douces gâteries de mère qui dilatent les petits coeurs.

      Quand le dîner fut fini, elle passa au salon avec toute sa maisonnée. Elle fit bavarder les aînés, conta des histoires aux derniers, et, lorsque fut venue l’heure du coucher général, elle les baisa très longuement puis, les ayant envoyés dormir, elle rentra seule dans sa chambre.

      Elle attendit, car elle ne doutait pas qu’il viendrait. Alors, ses enfants étant loin d’elle, elle se décida à défendre sa peau d’être humain comme elle avait défendu sa vie de femme du monde; et elle cacha, dans la poche de sa robe, le petit revolver chargé qu’elle avait acheté quelques jours plus tôt.

      Les heures passaient, les heures sonnaient. Tous les bruits de l’hôtel s’éteignirent. Seuls les fiacres continuèrent dans les rues leur roulement vague, doux et lointain à travers les tentures des murs.

      Elle attendait, énergique et nerveuse, sans peur de lui maintenant, prête à tout et presque triomphante, car elle avait trouvé pour lui un supplice de tous les instants et de toute la vie.

      Mais les premières lueurs du jour glissèrent entre les franges du bas de ses rideaux, sans qu’il fût entré chez elle. Alors elle comprit, stupéfaite, qu’il ne viendrait pas. Ayant fermé sa porte à clef et poussé le verrou de sûreté qu’elle y avait fait appliquer, elle se mit au lit enfin et y demeura, les yeux ouverts, méditant, ne comprenant plus, ne devinant pas ce qu’il allait faire.

      Sa femme de chambre, en lui apportant le thé, lui remit une lettre de son mari. Il lui annonçait qu’il entreprendrait un voyage assez long, et la prévenait, en post-scriptum, que son notaire lui fournirait les sommes nécessaires à toutes ses dépenses.

      III. C’était à l’Opéra, pendant un entracte de Robert le Diable…

      C’était à l’Opéra, pendant un entracte de Robert le Diable. Dans l’orchestre, les hommes debout, le chapeau sur la tête, le gilet largement ouvert sur la chemise blanche où brillaient l’or et les pierres des boutons, regardaient les loges pleines de femmes décolletées, diamantées, emperlées, épanouies dans cette serre illuminée où la beauté des visages et l’éclat des épaules semblent fleurir pour les regards au milieu de la musique et des voix humaines.

      Deux amis, le dos tourné à l’orchestre, lorgnaient, en causant, toute cette galerie d’élégance, toute cette exposition de grâce vraie ou fausse, de bijoux, de luxe et de prétention qui s’étalait en cercle autour du grand-théâtre.

      Un d’eux, Roger de Salins, dit à son compagnon Bernard Grandin:

      – Regarde donc la comtesse de Mascaret comme elle est toujours belle.

      L’autre, à son tour, lorgna, dans une loge de face, une grande femme qui paraissait encore très jeune, et dont l’éclatante beauté semblait appeler les yeux de tous les coins de la salle. Son teint pâle, aux reflets d’ivoire, lui donnait un air de statue, tandis qu’en ses cheveux noirs comme une nuit, un mince diadème en arc-en-ciel, poudré de diamants, brillait ainsi qu’une voie lactée.

      Quand il l’eut regardée quelque temps, Bernard Grandin répondit avec un accent badin de conviction sincère:

      – Je СКАЧАТЬ