Название: L'île de sable
Автор: Emile Chevalier
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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– J'ai sauvé mon père et mon frère. Seigneur, que votre nom soit sanctifié dans ce monde comme dans l'autre!
II. L'EMBARQUEMENT
Aux premières lueurs de l'aurore, la diane résonna et bientôt les prisonniers furent alignés sur deux rangs, dans la cour du monastère, pour être passés en revue.
Cette réunion d'individus, appartenant à toutes les nationalités européennes et portant chacun son accoutrement indigène, ou la partie la plus caractéristique, formait un spectacle étrange et pittoresque.
Ici se carrait un volumineux Allemand, à la figure blondasse, flanqué à droite d'un Espagnol grêle, sec, au teint d'olive, à gauche d'un Anglais gigantesque, riche de maigreur, de rousseur et couvert d'une casaque rouge. Là, on distinguait un Suisse, armé de toutes pièces, coudoyant un Languedocien à l'air fanfaron et un hallebardier limousin. Plus loin, l'oeil rencontrait le chapeau empanaché d'un Italien, la toque verte d'un montagnard, le pourpoint bariolé d'un Tyrolien, le museau futé d'un Normand, la face rubiconde et joviale d'un Bourguignon, l'équipement broché de lambeaux de similor d'un bâtard portugais. Enfin c'était un pêle-mêle de contrastes, un amalgame d'hétérogénéités, une profusion d'antithèses humaines, une variété de portraits dont nul tableau ne pourrait donner l'idée exacte. Un seul point de similitude rapprochait la majorité de ces hommes— l'audace gravée sur leurs visages en traits indélébiles. Hormis cela, les routiers différaient autant au moral qu'au physique.
Un officier subalterne fit l'appel, personne ne manquait; et comme l'officier terminait son rapport, Guillaume de la Roche, accompagné de Jean de Ganay, d'un marin, et d'une nombreuse suite, entra dans la cour du couvent.
Ce marin marquait quarante années. Ses traits étaient d'une hardiesse telle, qu'à son aspect on oubliait la taille lilliputienne que la nature lui avait accordée comme à regret. De son oeil gris jaillissaient des éclairs et son front fuyant, son menton déjeté, sa lèvre supérieure proéminente, son nez en bec de corbin lui prêtaient le mascaron d'un oiseau de proie.
Il était vêtu avec une mesquinerie sordide, d'un chapeau de toile goudronnée, d'une jaquette amoureuse des solutions de continuité, d'une broeck étriquée. Ses chaussures consistaient en une paire de bottes molles rapiécées sur toutes les coutures. La rapacité coulée dans le moule de l'avarice avait dû servir à la conformation de cet homme, que, nonobstant sa physionomie repoussante, le fier marquis, Guillaume de la Roche-Gommard, traitait avec une déférence toute particulière. On peut en juger par le dialogue suivant:
– Que dites-vous de ces lurons, maître locman?
– Hum! répliqua le marin en faisant claquer sa langue contre son palais, triste fumier pour féconder la terre!
– Pensez-vous qu'ils s'acclimateront?
– Hum! s'acclimater! ce bétail-là s'acclimate partout, quand on le frictionne avec des étrivières.
– Vous n'êtes pas satisfait de la cargaison que le hasard m'a confiée?
– Hum! à vrai dire, j'aurais préféré une vingtaine de rustres bretons à cette séquelle de va-nu-pieds, dont les chevelures ébouriffées ne sont bonnes qu'à décorer les temples des Algonquins.
– Vous désapprouvez donc mon choix?
– Je ne désapprouve rien. Vous m'interrogez, je réponds.
De la Roche, blessé par le ton de cette impertinence, fit un haut-le-corps en arrière. Mais son interlocuteur ne prit pas garde à son geste.
– Hum! dit-il en se pinçant le nez, mouvement qui indiquait chez lui la contrariété, je crois que le vent vire du sud-est au nord-est. Il serait urgent de nous presser, si nous voulons profiter de la brise pour appareiller.
– Alors, qu'on fasse distribuer les costumes à ces gens, dit le marquis à voix haute.
Aussitôt des caisses remplies de vêtements furent apportées dans la cour, et un sous-officier remit à chacun des condamnés un uniforme complet.
Cet uniforme se composait d'un bonnet, d'un sarrau et d'un pantalon, le tout en laine brune et marque d'un chiffre grossièrement brodé.
En perdant leur liberté les transportés perdaient aussi leur nom; ils devenaient simplement le numéro un tel.
Ils dépouillèrent leur défroque pour endosser l'habillement commun, en plaisantant sur les avantages que leur procurait la toilette coloniale.
– Par la barbe du bourgmestre, dit un épais Flamand, en se coiffant de sa tuque, avec un attifet de cette forme gracieuse et agréable, j'aurais séduit les onze mille vierges de la légende.
– Zé té crois bien, mon cer Tronchard, zézaia un Marseillais. Bagasse! nous sommes gréés comme pour un jour dé nocé.
– Mais reluque donc ce blanc-bec, continua le Flamand, désignant du doigt un des captifs qui cherchait à se cacher derrière des décombres pour s'habiller; ne se figure-t-il pas que nous sommes épris de ses charmes? ohé! beau damoiseau, as-tu peur qu'on te violente comme fit madame Putiphar à monsieur Joseph!
– Troun de l'air! riposta le Marseillais, zè regrette de n'avoir pas une couronné dé fleurs d'oranger à offrir à ce cérubin. Il la mérité mieux que plus d'une jouvencelle quèz è sais.
– Der Teuffel! je vais aller t'aider à ôter tes braies, mon bijou, ajouta un Wurtembergeois, en se dirigeant vers celui qui, par sa modestie, s'attirait ces quolibets.
Mais sa bravade lui coûta cher, car, avant qu'il eût franchi le monceau de décombres, deux éloquents coups de poing dans l'estomac l'envoyaient mesurer la surface plane.
Comme il arrive toujours en pareille circonstance, les railleurs se tournèrent du côté du vainqueur et un immense éclat de rire accueillit la chute du Germain.
– Sacrament! maugréa-t-il en se relevant pour s'élancer sur son adversaire.
– Kss! kss! kss! siffla le Marseillais, comme s'il excitait des chiens au combat.
– Silence, mille sabords, tas de marsouins! cria en ce moment la voix aigre et perçante du locman.
– Cap dé dious! riposta le Provençal, en approchant sa main à demi fermée de son oeil droit pour lorgner le pilote; cap de dious! quel est cè griffon qui pépie là-bas?
– Gare qu'il ne te pose la patte sur l'épaule! dit un Breton.
– Bast! zè lui poserai la mienne autour du col…
– Silence! répéta le locman; si j'entends encore un mot, quarante coups de garcette à toute la bande.
Cette menace rétablit instantanément l'ordre troublé. Ensuite les routiers furent attachés deux à deux; et Guillaume de la Roche et son escorte s'étant mis à leur tête, les exilés commencèrent à sortir du couvent.
Il était environ six heures du matin.
Une foule bruyante, animée, encombrait déjà les rues de Saint-Malo, avide d'assister à l'embarquement des aventuriers. Aux balcons, aux fenêtres et jusque sur les toits des maisons se massaient des grappes СКАЧАТЬ