Contes de bord. Edouard Corbiere
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Название: Contes de bord

Автор: Edouard Corbiere

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ en se serrant cordialement la main. Personne n'estimait plus que le commandant de l'Albanaise son supérieur le commandant de la Bramine, et personne n'aimait plus le commandant de l'Albanaise que le vieux capitaine de la Bramine.

      Quand à la mer le temps était trop mauvais pour que le jeune capitaine pût se rendre au bord de son vieil ami, on sentait qu'il manquait quelque chose à celui-ci: «Chien de métier! s'écriait-il; naviguer si près l'un de l'autre, et ne pouvoir pas mettre une embarcation à l'eau pour communiquer! Ce diable-là est peut-être malade; mais il ne m'en dit rien de peur de m'alarmer....» Et aussitôt le vieux commandant appelait l'officier chargé des signaux, pour lui dire: «Monsieur, ordonnez à l'Albanaise de passer a poupe; j'ai un ordre à lui donner.»

      Le signal était fait. On voyait alors l'Albanaise manoeuvrer pour ranger l'arrière de la Bramine; et, dès qu'elle était à portée de voix, le vieux commandant lui criait dans son gueulard:[5]

      «Oh! de l'Albanaise, oh!…

      – Holà! commandant, répondait le capitaine de cette dernière frégate.

      – Comment vous portez-vous, mon bon ami?

      – A merveille, mon commandant; et vous?

      – Très-bien, très-bien; mais j'aurais envie de vous voir: j'ai quelque chose à vous dire.

      – Cela suffit, commandant; si dans la nuit la mer devient moins grosse, comme il y a toute apparence, j'aurai l'honneur de me rendre à vos ordres.»

      Les deux frégates, qui s'étaient mises en panne pendant ce petit entretien, reprenaient leur route, et le vieux capitaine se sentait plus content: il avait parlé à son ami.

      Pour peu que le temps le permît, on pense bien que le jeune capitaine ne manquait pas de se rendre aux ordres de son supérieur; et, quand ils se revoyaient, il arrivait qu'aucun d'eux n'avait plus rien à dire à l'autre. Mais ils se promenaient ensemble, ils discutaient, dînaient, fumaient un peu, et le temps passait plus vite.

      Un jour cependant il se fit que le commandant de la Bramine eut quelque chose à confier à son collègue.

      Il lui dit, avec toute la naïve brusquerie de son caractère et de son langage:

      «Vous savez, mon cher ami, que l'on m'a donné les principaux passagers et les plus belles passagères qu'il a plu au ministre de nous faire transporter dans l'Inde. Eh bien! au nombre de ces passagers, il en est un qui me taquine singulièrement par son ton dédaigneux et ses manières fanfaronnes.

      – C'est, j'en suis sûr, cet ambassadeur qu'on envoie traiter avec les Malais et les Malabars. On devine ces gens-là en leur regardant seulement la coiffure.

      – Précisément, c'est lui. Voyez comme il vous a sauté aux yeux de suite.... Tenez, il se promène avec un bonnet grec sur l'oreille, et son fusil armé pour tuer quelques méchans goëlans, afin, dit-il, de faire la guerre à quelque chose.... C'est un ambassadeur très-extraordinaire, je vous assure, que l'on envoie là aux Indiens.

      – Mais que ne le laissez-vous tout entier dans sa fatuité! On boit, on mange avec ces hommes-là, et on ne leur parle pas.

      – Tout cela est bien facile à dire; mais quand un fanfaron de cette espèce vient vous répéter à chaque instant: «Je croyais le métier de marin plus difficile et la mer plus terrible! Mais ce n'est rien que tout cela. Quel dommage que je n'aie pas navigué en temps de guerre! je serais devenu amiral.» Que voulez-vous qu'on lui réponde, ou plutôt qu'on ne lui réponde pas?

      – On lui tourne le dos, et tout est dit.

      – C'est bien aussi ce que je fais; mais j'enrage, corbleu! en revirant de bord. Tenez, le voyez-vous encore se pavaner au milieu de ces passagères, en leur répétant que notre métier est une vétille, et que nous ne sommes que des charlatans qui singeons le courage au milieu de périls imaginaires.... Oh! que ne vient-il donc un bon coup de vent pour faire descendre ce crâne-là à fond de cale.... Pourquoi ne sommes-nous pas en temps de guerre, comme il dit qu'il le souhaite! Je crois, le diable m'emporte, que j'irais attaquer toute une escadre, rien que pour faire peur à ce fat.»

      En ce moment même le plénipotentiaire passager aborda nos deux commandans:

      «Eh bien! graves et soucieux confidens d'Eole, que dites-vous de ce temps qui, quoique beau, nous contrarie dans notre route? Aurons-nous un coup de vent bientôt, ou voguerons-nous à pleines voiles vers notre destination, conduits et protégés par une brise légère?

      – Quel fat! dit à part, à son collègue, le commandant de la Bramine.

      – Quel sot plutôt! lui répond le commandant de l'Albanaise.

      – En vérité, reprend le plénipotentiaire, je vous admire du plus profond de mon âme, Messieurs les marins. Il faut que vous ayez une grande vertu pour exercer votre profession.

      – A la fin, monsieur l'envoyé du gouvernement, vous nous rendez donc justice. Vous convenez qu'il faut être doué de quelques qualités pour faire un bon marin.

      – Mais, commandant, ai-je jamais refusé à ceux qui font le premier métier du monde la justice qui leur est due si légitimement? Personne plus que moi ne rend hommage au mérite dont il faut que l'homme de mer soit doué! et, comme je me suis fait l'honneur de vous le dire à l'instant même, j'admire en vous une vertu que l'on chercherait vainement dans ceux qui exercent une autre profession que la vôtre.

      – Et quelle est donc cette vertu que vous admirez tant! Le courage?

      – Oh! non: tout le monde en a.

      – La franchise de notre caractère et de nos manières?

      – Pas davantage; car, malgré les éloges que vous méritez sous ce rapport-là, la franchise n'est pas exclusivement le partage des marins.

      – Mais quelle peut être enfin cette vertu que vous trouvez en nous seuls?

      – La patience! Ne faut-il pas en effet que vous soyez cuirassés d'une angélique longanimité, pour vous résigner à supporter l'ennui d'une longue traversée, les contrariétés que vous font éprouver des mois entiers de calme ou de mauvais temps? Si encore, dans votre ennuyeuse carrière, quelques incidens inattendus, quelques espérances de gloire, venaient varier la monotonie de votre existence! Mais non, rien, rien que des tempêtes en temps de paix, et Dieu sait ce que c'est qu'une tempête! c'est toujours la même chose: de grands coups de roulis et quelques grosses lames qui viennent tomber à bord!

      – Et vous appelez cela rien?

      – Sans doute. M'avez-vous vu, par exemple, frémir le moins du monde, pendant la première bourrasque que nous avons essuyée en sortant du Détroit? Voyons, rendez-moi justice; ai-je sourcillé en face du coup de vent qui menaçait de nous démâter? Pendant que vous étiez dans l'anxiété en attendant l'événement, je riais avec nos jolies passagères, presqu'aussi résignées que moi. Et cependant, avant de m'embarquer, on m'avait fait redouter la mer et ses fureurs, le naufrage et ses angoisses. Tenez, mon cher commandant, cela soit dit sans vouloir diminuer votre mérite; votre mer ressemble un peu à ces bâtons flottans du Bonhomme:

      De loin c'est quelque chose, et de près ce n'est rien.

      – Ouf, dit le commandant à ce dernier trait d'ironie, je voudrais, pour deux des doigts de ma main droite, être en temps de guerre, СКАЧАТЬ