L'ensorcelée. Barbey d'Aurevilly
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Название: L'ensorcelée

Автор: Barbey d'Aurevilly

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ de blonde, aux joues comme son tablier d’incarnat des dimanches, morte à l’âge des noces. Elle n’avait pas dix-huit ans quand Dieu la prit. Pauvre jeunesse ! De ce moment-là, la chance a tourné pour les Giguet. Le père n’a plus eu le cœur à l’ouvrage. Il était toujours si hargagne, qu’on disait partout qu’il avait une maladie noire. Pour noyer son chagrin, il s’adonna à l’eau-de-vie, et il a été promptement tourné. Quant à la mère, elle sécha sur pied comme un arbre frappé aux racines. Elle n’avait pas de garçon, et saigner des bœufs et en laver les courées n’est pas un métier qui convienne aux ciseaux ni aux mains d’une femme. Aussi bien ferma-t-elle son étal et s’en vint-elle s’établir à vendre du cidre au Tauret rouge. De sorte – ajouta-t-il avec un gros rire – qu’elle aura passé la moitié de sa vie à nourrir le monde, et l’autre moitié à l’abreuver. Pour ce qui est des gens qui hantent sa maison, Monsieur, ils ressemblent à ceux qui fréquentent les cabarets et les auberges. Ils ne sont ni mieux ni pis ; c’est comme partout : cinq mauvaises figures pour une bonne ! Quand on a un bouchon sur sa porte, ce n’est pas pour la fermer. Et d’ailleurs, quand il est gagné honnêtement, le sou du coquin n’a pas plus de vert-de-gris que celui de l’honnête homme, n’est-il pas vrai, Monsieur ?… »

      C’est ainsi que nous allions en devisant. Il y avait à peu près une heure que nous chevauchions dans la lande, et le brouillard avait fini par nous envelopper complètement de son réseau diaphane. La lune filtrait dans la vapeur une lumière pâle et incertaine. Tout en trottant, maître Louis Tainnebouy avait détaché les longes de cuir qui retenaient son manteau sur la croupe de son cheval et l’avait étendu de toute sa vaste ampleur autant sur sa monture que sur lui, si bien qu’on eût dit, dans cette brume, que le cavalier et le cheval ne faisaient plus qu’un seul être, bizarre et monstrueux. Moi-même, j’avais resserré le mien autour de mon corps pour l’opposer à l’humidité qui pénétrait. Si nous avions gardé le silence, nous eussions ressemblé à deux ombres comme le Dante en dut voir errer dans les limbes de son Purgatoire. Les pas de nos chevaux s’entendaient à peine sur cette lande qui en amortissait le bruit. Nous allions, et plus nous allions, plus nous devenions communicatifs, plus aussi j’avais occasion de remarquer combien sur toutes les questions mon compagnon l’herbager montrait de justesse et d’information, comme disent les Anglais… L’intelligence de cet homme fruste était aussi saine que son corps. Ses connaissances étaient bornées, mais exactes. Ce qui s’était établi dans cette excellente judiciaire y était entré sans l’aide des écoles, par les yeux, par la main, par l’expérience. Si donc il y avait parfois en lui de ces originelles manières de sentir qu’on appelle arriérées dans ce pauvre siècle de mouvement perpétuel et de gesticulation cérébrale, il ne les avait point, comme on eût pu le croire, en raison de son infériorité relative de paysan. Sur tous les terrains de la vie réelle, il aurait battu les plus madrés, quand même on eût extrêmement élevé le terrain. Mélange de Normand et de Celte, car le voisinage de la Bretagne et de la Normandie a souvent versé des familles d’une province dans l’autre, il était le type le plus expressif que j’eusse vu de sa double race. À travers les formes un peu agrestes – qu’on me passe le mot : « un peu brunes » – de son langage, il transperçait de sagacité fine et il éclatait de bon sens. Et puis, ce qui lui allait surtout, c’est qu’il était et restait toujours à sa place, qu’il faisait corps avec sa vie ; c’est qu’il s’ajustait, comme un gant à la main, à sa destinée. Toute chose doit sentir son fruit, disait Henri IV. Lui sentait le sien à pleines narines ; il se conformait sans le savoir aux préceptes de l’ami de Michaud. Ce n’était qu’un morceau de pain d’orge, mais il était bon.

      Tout à coup, à un de ces replis de terrain que nous nous étions signalés, la jument de maître Louis Tainnebouy trébucha, et peut-être serait-elle tombée s’il ne l’eût soutenue de sa main vigoureuse et d’une bride épaisse. Mais quand elle se releva elle boitait.

      « Sacre…  ! – dit-il, et le juron que je n’ose écrire, il le lâcha tout au long avec une rondeur d’intonation qui ressembla à un coup de grosse caisse, – voilà la Blanche qui boite, maintenant ! Que le diable emporte la damnée lande ! À quoi a-t-elle pu se blesser sur ce sol uni sans cailloux ? Il faut que je voie à cela, et tout à l’heure ! Bien des excuses, Monsieur ! – ajouta-t-il en dégringolant plus qu’il ne descendit de son cheval. – Je méprise l’homme qui n’a pas soin de sa monture. Qu’est-ce que je deviendrais sans la Blanche, la meilleure jument de la presqu’île, sur laquelle je crève depuis sept ans tous les bouillons du Cotentin ?… »

      Je m’étais arrêté le voyant s’arrêter. Mais quand je le vis vider l’étrier d’une jambe si leste, je crus que l’amour de la Blanche lui tournait complètement la tête. En effet, quoique la nuit ne fût pas noire et que la lune noyât sa blafarde clarté dans le brouillard, il aurait fallu pourtant être plus nyctalope que tous les chats qui aient jamais miaulé à la porte d’une ferme à minuit pour distinguer ce qui se trouvait sous le sabot d’un cheval à une pareille heure. Mais, comme il avait causé mon étonnement, il le dissipa aussi vite qu’il l’avait fait naître. Je le vis battre le briquet une seconde et tirer de la poche de son manteau à manches une petite lanterne d’écurie qu’il alluma. Aidé de la lueur de cette lanterne, il souleva, l’un après l’autre, les pieds de son cheval, et il s’écria que le pied de devant était déferré !

      « Et peut-être depuis longtemps, – ajouta-t-il en répétant l’observation qu’il avait déjà faite ; – car sur ce sol poussiéreux on perdrait les quatre fers de son cheval qu’on ne s’en apercevrait pas ! Il est probable que c’est de ce pied-là que la bête se sera piquée. Seulement, – fit-il inquiet, – je ne vois rien. »

      Et il approchait sa lanterne, et il regardait la corne du cheval, comme un maréchal-ferrant l’aurait fait :

      « Je ne vois rien, ni sang, ni enflure, et cependant la pauvre bête pose à peine le pied à terre et paraît diantrement souffrir ! »

      Il la prit au défaut du mors et la fit marcher en l’attirant à lui. Mais la jument, si fringante il n’y avait qu’un moment, boitait d’une façon lamentable, et vraiment il y avait raison de craindre qu’elle ne pût continuer son chemin.

      « Nous voilà bien ! – dit-il encore, mais avec l’accent d’une contrariété que je comprenais, et que même je commençais à partager, – nous voilà bien, à mittan de la lande, avec un cheval qui boite, et sans âme qui vive, ni maison, ni rien, à deux lieues à la ronde, et un fier bout de route à faire encore ! La première forge que nous trouverons est à un quart de lieue de la Haie-du-Puits. C’est amusant ! Qu’allons-nous devenir ? Le diable m’emporte si je le sais ! Je n’ai pas d’envie de mettre la Blanche sur la litière pour une quinzaine, car c’est le Ier du mois prochain la Toussaint, à Bayeux, une fameuse foire qui dure trois jours et qui n’a pas sa pareille d’ici la Chandeleur ! »

      Et, toujours armé de sa lanterne, il tira à lui la jument, objet de ses plaintes ; mais la bête éclopée pouvait à peine se traîner.

      « Ma fingue ! Monsieur, – finit-il par me dire, comme un homme qui prend une résolution, – m’est avis qu’à présent nos caravanes sont terminées et qu’il serait sage à vous de me quitter et de vous en aller tout seul, car le temps n’est pas beau et la nuit est froide, comme si l’air était plein d’aiguilles. Vous êtes p’t-être pressé d’arriver… Chacun a ses affaires. Vous ne devez pas souffrir du retardement des miennes. Moi, j’ai mis dans ma tête d’aller à pied jusqu’à la Haie-du-Puits. J’arriverai, Dieu sait quand, c’est vrai… , demain matin. Mais je suis accoutumé à la peine. J’en ai vu de grises dans ma vie. J’ai passé souvent la nuit sous Garnetot ou sous Aureville, enfoncé dans la vase du marais jusqu’à la ceinture, pour avoir le plaisir de tuer les canards sauvages et les sarcelles. Ce n’est donc pas une ou deux lieues dans le buhan СКАЧАТЬ