Название: La chasse aux lions
Автор: Alfred Assollant
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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– Malgré les panthères et les lions ? dit Pitou… ça demande réflexion !»
Mais, comme il réfléchissait, nous entendîmes tout à coup des cris épouvantables et nous vîmes plus de trois cents Arabes ou moricauds de toute espèce, hommes, femmes et enfants, qui venaient en courant de toutes leurs forces dans la rue et criant :
«Le lion ! voici le lion !»
II. Ibrahim
De tous côtés on se sauvait, – le caïd en tête et le chaouch en queue. On fermait les portes des boutiques, on invoquait Allah, on se cachait comme on pouvait. Les hommes hurlaient, les femmes pleuraient, les chiens aboyaient, tout le monde avait l’air sens dessus dessous.
La veuve Mouilletrou elle-même prit la parole et dit :
«Mes enfants, c’est pas tout ça. Le lion va venir. Vous ne comptez pas sans doute que je vais laisser ma boutique ouverte pour lui offrir un mêlé-cass ?… Allez-vous-en tout à fait ou rentrez ! Je vais fermer la porte.»
Pitou répondit :
«Madame Mouilletrou, c’est bien parlé. Je rentre, et nous allons fermer.»
Mais moi, ça m’humilia. Je dis à mon tour :
«Pitou, tu peux rester. Moi, je vais voir comme c’est fait, un lion.
– Pas possible !» cria Pitou étonné.
Je répliquai :
«Si possible, Pitou, que c’est vrai.»
Il me dit encore :
«Tu me lâches donc ?
– Ce n’est pas moi qui te lâche, Pitou, c’est toi qui me lâches ; et l’on dira dans tout l’univers, quand on saura ce qui s’est passé : “Ce n’est pas Dumanet qui a lâché Pitou, en face du lion, c’est Pitou qui a lâché Dumanet.”»
Pitou serra les poings.
«Alors, ça serait donc pour dire que je suis un lâche, Dumanet ! Ah ! vrai ! je n’aurais jamais cru ça de toi.
– Mais non, Pitou, tu ne seras pas un lâche, mais un lâcheur ; c’est bien différent.»
Il se jeta dans mes bras.
«Ah ! tiens, Dumanet, c’est toi qui n’as pas de cœur, de dire de pareilles choses à un ami !
– Alors tu viens avec moi ?
– Pardi !»
À ce moment, un bruit qui ressemblait à celui du tonnerre se fit entendre dans la vallée, du côté de la montagne. La veuve Mouilletrou, toujours pressée de fermer sa porte, nous dit :
«Ah çà, voyons, entrez-vous ou sortez-vous, paire de blancs-becs ? Vous n’entendez donc pas le rugissement du lion ?»
En effet, c’était bien ça.
«Pour lors, dit Pitou, rentrons.»
Mais il était trop tard. La mère Mouilletrou avait fermé sa cambuse et ne l’aurait pas rouverte pour trente sacs de pommes de terre.
Alors je dis :
«Pitou, le gueux va descendre. Allons chercher nos fusils à la caserne.»
Il me suivit. Nous chargeâmes nos fusils et nous remontâmes jusqu’au bout du village. On n’entendait plus rien, rien de rien, oh ! mais ! ce qui s’appelle rien. Le gueux, qui avait fait peur à tout le monde, ne disait plus rien. Quant aux hommes, aux femmes et aux autres bêtes, ils ne remuaient pas plus que des marmottes en hiver.
Alors Pitou me dit :
«La nuit va venir, Dumanet… Rentrons !»
Je répondis :
«Pitou, le sergent nous a vus charger nos fusils pour tuer le lion. Si nous rentrons sans l’avoir tué, on dira : “Ce Pitou, ce Dumanet, ça fait de l’embarras ; ça veut tuer les lions comme des lapins, et ça revient au bout d’un quart d’heure ; ça se donne pour des guerriers de fort calibre, et c’est tout bonnement des farceurs, des propres à rien, des rien du tout, des rossards, quoi !” Et nous serons déshonorés.»
Pitou soufflait comme un phoque, mais il ne disait rien.
Je l’entrepris encore :
«Pitou, ça ne te ferait donc rien d’être déshonoré ?
– Ah ! tiens, ne me parle pas de ça, Dumanet ! Ça me fait monter le sang aux yeux. Déshonorés, moi Pitou et toi Dumanet ! Et la mère Pitou, tu ne la connais pas, mais je la connais, moi ! Et c’est une brave femme, va ! La mère Pitou, qui m’a nourri de son lait quand je ne lui étais de rien, – car ma mère est morte le jour de ma naissance, et mon père, qui s’appelait Pitou, n’était qu’un cousin germain, et il est mort trois mois auparavant en coupant un arbre qui lui tomba sur la tête et le tua raide, – la mère Pitou dirait : “Il s’est déshonoré, mon Pitou, mon petit Pitou que j’aimais tant, que j’avais élevé avec les miens, que je voulais donner en mariage à ma petite Jeanne, quand il serait revenu d’Alger et qu’il aurait pris Abd-el-Kader !” Ah ! tiens, Dumanet, ce n’est pas beau ce que tu dis là, et si ce n’était pas toi, oh ! si ce n’était pas toi !…»
Il serrait les poings et il avait envie de pleurer.
Je lui dis :
«Tu vois bien, Pitou, tu ne pourrais pas vivre si tu étais déshonoré !
– Eh bien, qu’est-ce qu’il faut faire pour ne pas être… ce que tu dis !»
Je répliquai :
«Pitou, le lion nous attend, c’est certain. La preuve, c’est qu’il ne dit plus rien.
– Eh bien, dit Pitou, s’il veut nous attendre, qu’il attende ! Est-ce que nous sommes à ses ordres ?
– Pitou, mon petit Pitou, encore cinq cents pas hors du village !
– Cinq cents ? Pas un de plus ?
– Je t’en donne ma parole, foi de Dumanet !
– Puisque c’est comme ça, marchons !»
Et, de fait, nous marchâmes comme des braves que nous étions : car il ne faut pas croire que Pitou, parce qu’il s’arrêtait de temps en temps pour réfléchir, ne fût pas aussi brave qu’un autre. Ah non ! au contraire !… Seulement, comme disait le capitaine Chambard, il n’était pas téméraire. Que voulez-vous ? tout le monde ne peut pas être téméraire ; et si tout le monde était téméraire, la terre ne serait plus habitable, et la lune non plus, parce que les téméraires qu’il y aurait de trop sur la terre voudraient monter dans la lune.
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