Salammbô. Gustave Flaubert
Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу Salammbô - Gustave Flaubert страница 9

Название: Salammbô

Автор: Gustave Flaubert

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

Серия:

isbn:

isbn:

СКАЧАТЬ ; alors les porteurs s’arrêtaient, puis ils prenaient une autre route à travers le camp.

      Mais les courtines de pourpre se relevèrent ; et l’on découvrit sur un large oreiller une tête humaine tout impassible et boursouflée ; les sourcils formaient comme deux arcs d’ébène se rejoignant par les pointes ; des paillettes d’or étincelaient dans les cheveux crépus, et la face était si blême qu’elle semblait saupoudrée avec de la râpure de marbre. Le reste du corps disparaissait sous les toisons qui emplissaient la litière.

      Les soldats reconnurent dans cet homme ainsi couché le Suffète Hannon, celui qui avait contribué par sa lenteur à faire perdre la bataille des îles Aegates ; et, quant à sa victoire d’Hécatompyle sur les Libyens, s’il s’était conduit avec clémence, c’était par cupidité, pensaient les Barbares, car il avait vendu à son compte tous les captifs, bien qu’il eût déclaré leur mort à la République.

      Lorsqu’il eut, pendant quelque temps, cherché une place commode pour haranguer les soldats, il fit un signe : la litière s’arrêta, et Hannon, soutenu par deux esclaves, posa ses pieds par terre, en chancelant.

      Il avait des bottines en feutre noir, semées de lunes d’argent. Des bandelettes, comme autour d’une momie, s’enroulaient à ses jambes, et la chair passait entre les linges croisés. Son ventre débordait sur la jaquette écarlate qui lui couvrait les cuisses ; les plis de son cou retombaient jusqu’à sa poitrine comme des fanons de boeuf, sa tunique, où des fleurs étaient peintes, craquait aux aisselles ; il portait une écharpe, une ceinture et un large manteau noir à doubles manches lacées. L’abondance de ses vêtements, son grand collier de pierres bleues, ses agrafes d’or et ses lourds pendants d’oreilles ne rendaient que plus hideuse sa difformité. On aurait dit quelque grosse idole ébauchée dans un bloc de pierre ; car une lèpre pâle, étendue sur tout son corps, lui donnait l’apparence d’une chose inerte. Cependant son nez, crochu comme un bec de vautour, se dilatait violemment, afin d’aspirer l’air, et ses petits yeux, aux cils collés, brillaient d’un éclat dur et métallique. Il tenait à la main une spatule d’aloès, pour se gratter la peau.

      Enfin deux hérauts sonnèrent dans leurs cornes d’argent ; le tumulte s’apaisa, et Hannon se mit à parler.

      Il commença par faire l’éloge des Dieux et de la République ; les Barbares devaient se féliciter de l’avoir servie. Mais il fallait se montrer plus raisonnables, les temps étaient durs, «– et si un maître n’a que trois olives, n’est-il pas juste qu’il en garde deux pour lui ?»

      Ainsi le vieux Suffète entremêlait son discours de proverbes et d’apologues, tout en faisant des signes de tête pour solliciter quelque approbation.

      Il parlait punique et ceux qui l’entouraient (les plus alertes accourus sans leurs armes) étaient des Campaniens, des Gaulois et des Grecs, si bien que personne dans cette foule ne le comprenait. Hannon s’en aperçut, il s’arrêta, et il se balançait lourdement, d’une jambe sur l’autre, en réfléchissant.

      L’idée lui vint de convoquer les capitaines ; alors ses hérauts crièrent cet ordre en grec, – langage qui, depuis Xantippe, servait aux commandements dans les armées carthaginoises.

      Les gardes, à coups de fouet, écartèrent la tourbe des soldats ; et bientôt les capitaines des phalanges à la spartiate et les chefs des cohortes barbares arrivèrent, avec les insignes de leur grade et l’armure de leur nation. La nuit était tombée, une grande rumeur circulait par la plaine ; çà et là des feux brûlaient ; on allait de l’un à l’autre, on se demandait : «Qu’y a-t-il ?» et pourquoi le Suffète ne distribuait pas l’argent ?

      Il exposait aux capitaines les charges infinies de la République. Son trésor était vide. Le tribut des Romains l’accablait. «Nous ne savons plus que faire ! … Elle est bien à plaindre !»

      De temps à autre, il se frottait les membres avec sa spatule d’aloès, ou bien il s’interrompait pour boire dans une coupe d’argent, que lui tendait un esclave, une tisane faite avec de la cendre de belette et des asperges bouillies dans du vinaigre ; puis il s’essuyait les lèvres à une serviette d’écarlate, et reprenait :

      – «Ce qui valait un sicle d’argent vaut aujourd’hui trois shekels d’or, et les cultures abandonnées pendant la guerre ne rapportent rien ! Nos pêcheries de pourpre sont à peu près perdues, les perles mêmes deviennent exorbitantes ; à peine si nous avons assez d’onguents pour le service des Dieux ! Quant aux choses de la table, je n’en parle pas, c’est une calamité ! Faute de galères, nous manquons d’épices, et l’on a bien du mal à se fournir de silphium, à cause des rébellions sur la frontière de Cyrène. La Sicile, où l’on trouvait tant d’esclaves, nous est maintenant fermée ! Hier encore, pour un baigneur et quatre valets de cuisine, j’ai donné plus d’argent qu’autrefois pour une paire d’éléphants !»

      Il déroula un long morceau de papyrus ; et il lut, sans passer un seul chiffre, toutes les dépenses que le Gouvernement avait faites ; tant pour les réparations des temples, pour le dallage des rues, pour la construction des vaisseaux, pour les pêcheries de corail, pour l’agrandissement des Syssites, et pour des engins dans les mines, au pays des Cantabres.

      Mais les capitaines, pas plus que les soldats, n’entendaient le punique, bien que les Mercenaires se saluassent en cette langue. On plaçait ordinairement dans les armées des Barbares quelques officiers carthaginois pour servir d’interprètes ; après la guerre ils s’étaient cachés de peur des vengeances, et Hannon n’avait pas songé à les prendre avec lui ; d’ailleurs sa voix trop sourde se perdait au vent.

      Les Grecs, sanglés dans leur ceinturon de fer, tendaient l’oreille, en s’efforçant à deviner ses paroles, tandis que des montagnards, couverts de fourrures comme des ours, le regardaient avec défiance ou bâillaient, appuyés sur leur massue à clous d’airain. Les Gaulois inattentifs secouaient en ricanant leur haute chevelure, et les hommes du désert écoutaient immobiles, tout encapuchonnés dans leurs vêtements de laine grise : d’autres arrivaient par-derrière ; les gardes, que la cohue poussait, chancelaient sur leurs chevaux, les Nègres tenaient au bout de leurs bras des branches de sapin enflammées et le gros Carthaginois continuait sa harangue, monté sur un tertre de gazon.

      Cependant les Barbares s’impatientaient, des murmures s’élevèrent, chacun l’apostropha. Hannon gesticulait avec sa spatule ; ceux qui voulaient faire taire les autres, criant plus fort, ajoutaient au tapage. Tout à coup, un homme d’apparence chétive bondit aux pieds d’Hannon, arracha la trompette d’un héraut, souffla dedans, et Spendius (car c’était lui) annonça qu’il allait dire quelque chose d’important. A cette déclaration, rapidement débitée en cinq langues diverses, grec, latin, gaulois, Lybique et baléare, les capitaines, moitié riant, moitié surpris, répondirent :

      – «Parle ! parle !»

      Spendius hésita ; il tremblait ; enfin s’adressant aux Libyens, qui étaient les plus nombreux, il leur dit :

      – «Vous avez tous entendu les horribles menaces de cet homme ?»

      Hannon ne se récria pas, donc il ne comprenait point le Lybique ; et, pour continuer l’expérience, Spendius répéta la même phrase dans les autres idiomes des Barbares.

      Ils se regardèrent étonnés ; puis tous, comme d’un accord tacite, croyant peut-être avoir compris, ils baissèrent la tête en signe d’assentiment.

      Alors Spendius commença d’une voix véhémente :

      – «Il a d’abord dit que tous les Dieux des autres peuples n’étaient que des songes près des Dieux de Carthage ! il vous a appelés lâches, СКАЧАТЬ