Salammbô. Gustave Flaubert
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Название: Salammbô

Автор: Gustave Flaubert

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ plaque de cuivre et il l’enfouit dans le sable au seuil de sa tente. Spendius l’entendait gémir et parler tout seul.

      Une nuit il entra.

      Mâtho, nu comme un cadavre, était couché à plat ventre sur une peau de lion, la face dans les deux mains, une lampe suspendue éclairait ses armes, accrochées sur sa tête contre le mât de la tente.

      – «Tu souffres ?» lui dit l’esclave. «Que te faut-il ? réponds-moi ! —» et il le secoua par l’épaule en l’appelant plusieurs fois : «Maître ! maître ! …»

      Enfin Mâtho leva vers lui de grands yeux troubles.

      – «Ecoute !» fit-il à voix basse, avec un doigt sur les lèvres. «C’est une colère des Dieux ! la fille d’Hamilcar me poursuit ! J’en ai peur, Spendius !» Il se serrait contre sa poitrine, comme un enfant épouvanté par un fantôme. ? «Parle-moi ! je suis malade ! je veux guérir ! j’ai tout essayé ! Mais toi, tu sais peut-être des Dieux plus forts ou quelque invocation irrésistible ?»

      – «Pour quoi faire ?» demanda Spendius.

      Il répondit, en se frappant la tête avec ses deux poings :

      – «Pour m’en débarrasser !»

      Puis il se disait, se parlant à lui-même, avec de longs intervalles :

      – «Je suis sans doute la victime de quelque holocauste qu’elle aura promis aux Dieux ? … . Elle me tient attaché par une chaîne que l’on n’aperçoit pas. Si je marche, c’est qu’elle avance ; quand je m’arrête, elle se repose ! Ses yeux me brûlent, j’entends sa voix. Elle m’environne, elle me pénètre. Il me semble qu’elle est devenue mon âme !

      «Et pourtant, il y a entre nous deux comme les flots invisibles d’un océan sans bornes ! Elle est lointaine et tout inaccessible ! La splendeur de sa beauté fait autour d’elle un nuage de lumière ; et je crois, par moments, ne l’avoir jamais vue… qu’elle n’existe pas… et que tout cela est un songe !»

      Mâtho pleurait ainsi dans les ténèbres ; les Barbares dormaient. Spendius, en le regardant, se rappelait les jeunes hommes qui, avec des vases d’or dans les mains, le suppliaient autrefois, quand il promenait par les villes son troupeau de courtisanes ; une pitié l’émut, et il dit :

      – «Sois fort, mon maître ! Appelle ta volonté et n’implore plus les Dieux, car ils ne se détournent pas aux cris des hommes ! Te voilà pleurant comme un lâche ! Tu n’es donc pas humilié qu’une femme te fasse tant souffrir !»

      – «Suis-je un enfant ?» dit Mâtho. «Crois-tu que je m’attendrisse encore à leur visage et à leurs chansons ? Nous en avions à Drépanum pour balayer nos écuries. J’en ai possédé au milieu des assauts, sous les plafonds qui croulaient et quand la catapulte vibrait encore ! … . Mais celle-là, Spendius, celle-là ! …»

      L’esclave l’interrompit :

      – «Si elle n’était pas la fille d’Hamilcar…»

      – «Non !» s’écria Mâtho. «Elle n’a rien d’une autre fille des hommes ! As-tu vu ses grands yeux sous ses grands sourcils, comme des soleils sous des arcs de triomphe ? Rappelle-toi : quand elle a paru, tous les flambeaux ont pâli. Entre les diamants de son collier, des places sur sa poitrine nue resplendissaient ; on sentait derrière elle comme l’odeur d’un temple, et quelque chose s’échappait de tout son être qui était plus suave que le vin et plus terrible que la mort. Elle marchait cependant, et puis elle s’est arrêtée.»

      Il resta béant, la tête basse, les prunelles fixes.

      – «Mais je la veux ! il me la faut ! j’en meurs ! A l’idée de l’étreindre dans mes bras, une fureur de joie m’emporte, et cependant je la hais, Spendius ! je voudrais la battre ! Que faire ? J’ai envie de me vendre pour devenir son esclave. Tu l’as été, toi ! Tu pouvais l’apercevoir : parle-moi d’elle ! Toutes les nuits, n’est-ce pas, elle monte sur la terrasse de son palais ? Ah ! les pierres doivent frémir sous ses sandales et les étoiles se pencher pour la voir !»

      Il retomba tout en fureur, et râlant comme un taureau blessé.

      Puis Mâtho chanta : «Il poursuivait dans la forêt le monstre femelle dont la queue ondulait sur les feuilles mortes, comme un ruisseau d’argent.» Et en traînant la voix, il imitait la voix de Salammbô, tandis que ses mains étendues faisaient comme deux mains légères sur les cordes d’une lyre.

      A toutes les consolations de Spendius, il lui répétait les mêmes discours ; leurs nuits se passaient dans ces gémissements et ces exhortations.

      Mâtho voulut s’étourdir avec du vin. Après ses ivresses il était plus triste encore. Il essaya de se distraire aux osselets, et il perdit une à une les plaques d’or de son collier. Il se laissa conduire chez les servantes de la Déesse ; mais il descendit la colline en sanglotant, comme ceux qui s’en reviennent des funérailles.

      Spendius, au contraire, devenait plus hardi et plus gai. On le voyait, dans les cabarets de feuillages, discourant au milieu des soldats. Il raccommodait les vieilles cuirasses. Il jonglait avec des poignards, il allait pour les malades cueillir des herbes dans les champs. Il était facétieux, subtil, plein d’inventions et de paroles ; les Barbares s’accoutumaient à ses services ; il s’en faisait aimer.

      Cependant ils attendaient un ambassadeur de Carthage qui leur apporterait, sur des mulets, des corbeilles chargées d’or ; et toujours recommençant le même calcul, ils dessinaient avec leurs doigts des chiffres sur le sable. Chacun, d’avance, arrangeait sa vie ; ils auraient des concubines, des esclaves, des terres ; d’autres voulaient enfouir leur trésor ou le risquer sur un vaisseau. Mais dans ce désoeuvrement les caractères s’irritaient ; il y avait de continuelles disputes entre les cavaliers et les fantassins, les Barbares et les Grecs, et l’on était sans cesse étourdi par la voix aigre des femmes.

      Tous les jours, il survenait des troupeaux d’hommes presque nus, avec des herbes sur la tête pour se garantir du soleil ; c’étaient les débiteurs des riches Carthaginois, contraints de labourer leurs terres, et qui s’étaient échappés. Des Libyens affluaient, des paysans ruinés par les impôts, des bannis, des malfaiteurs. Puis la horde des marchands, tous les vendeurs de vin et d’huile, furieux de n’être pas payés, s’en prenaient à la République ; Spendius déclamait contre elle. Bientôt les vivres diminuèrent. On parlait de se porter en masse sur Carthage et d’appeler les Romains.

      Un soir, à l’heure du souper, on entendit des sons lourds et fêlés qui se rapprochaient, et, au loin, quelque chose de rouge apparut dans les ondulations du terrain.

      C’était une grande litière de pourpre, ornée aux angles par des bouquets de plumes d’autruche. Des chaînes de cristal, avec des guirlandes de perles, battaient sur sa tenture fermée. Des chameaux la suivaient en faisant sonner la grosse cloche suspendue à leur poitrail, et l’on apercevait autour d’eux des cavaliers ayant une armure en écailles d’or depuis les talons jusqu’aux épaules.

      Ils s’arrêtèrent à trois cents pas du camp, pour retirer des étuis qu’ils portaient en croupe, leur bouclier rond, leur large glaive et leur casque à la béotienne. Quelques-uns restèrent avec les chameaux ; les autres se remirent en marche. Enfin les enseignes de la République parurent, c’est-à-dire des bâtons de bois bleu, terminés par des têtes de cheval ou des pommes de pins. Les Barbares se levèrent tous, en applaudissant ; les femmes se précipitaient vers les gardes de la Légion et leur baisaient les pieds.

      La СКАЧАТЬ