Название: Consuelo
Автор: George Sand
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
isbn:
isbn:
– Ô mon maître, répondit-elle avec douleur, demandez-moi le sacrifice de ma vie, mais non celui de mon amour.
– Je ne le demande pas, je l’exige, répondit le Porpora avec fermeté. Cet amant est maudit. Il fera ton tourment et ta honte si tu ne l’abjures à l’instant même.
– Cher maître, reprit-elle avec un sourire triste et caressant, vous m’avez dit cela bien souvent; mais j’ai vainement essayé de vous obéir. Vous haïssez ce pauvre enfant. Vous ne le connaissez pas, et je suis certaine que vous reviendrez de vos préventions.
– Consuelo, dit le maestro avec plus de force, je t’ai fait jusqu’ici d’assez vaines objections et de très inutiles défenses, je le sais. Je t’ai parlé en artiste, et comme à une artiste; je ne voyais non plus dans ton fiancé que l’artiste. Aujourd’hui, je te parle en homme, et je te parle d’un homme, et je te parle comme à une femme. Cette femme a mal placé son amour, cet homme en est indigne, et l’homme qui te le dit en est certain.
– Ô mon Dieu! Anzoleto indigne de mon amour! Lui, mon seul ami, mon protecteur, mon frère! Ah! vous ne savez pas comme il m’a aidée et comme il m’a respectée depuis que je suis au monde! Il faut que je vous le dise.» Et Consuelo raconta toute l’histoire de sa vie et de son amour, qui était une seule et même histoire.
Le Porpora en fut ému, mais non ébranlé.
Dans tout ceci, dit-il, je ne vois que ton innocence, ta fidélité, ta vertu. Quant à lui, je vois bien le besoin qu’il a eu de ta société et de tes enseignements, auxquels, bien que tu en penses, je sais qu’il doit le peu qu’il sait et le peu qu’il vaut; mais il n’en est pas moins vrai que cet amant si chaste et si pur n’est que le rebut de toutes les femmes perdues de Venise, qu’il apaise l’ardeur des feux que tu lui inspires dans les maisons de débauche, et qu’il ne songe qu’à t’exploiter, tandis qu’il assouvit ailleurs ses honteuses passions.
– Prenez garde à ce que vous dites, répondit Consuelo d’une voix étouffée; j’ai coutume de croire en vous comme en Dieu, ô mon maître! Mais en ce qui concerne Anzoleto, j’ai résolu de vous fermer mes oreilles et mon cœur… Ah! laissez-moi vous quitter, ajouta-t-elle en essayant de détacher son bras de celui du professeur, vous me donnez la mort.
– Je veux donner la mort à ta passion funeste, et par la vérité je veux te rendre à la vie, répondit-il en serrant le bras de l’enfant contre sa poitrine généreuse et indignée. Je sais que je suis rude, Consuelo. Je ne sais pas être autrement, et c’est à cause de cela que j’ai retardé, tant que je l’ai pu, le coup que je vais te porter. J’ai espéré que tu ouvrirais les yeux, que tu comprendrais ce qui se passe autour de toi. Mais au lieu de t’éclairer par l’expérience, tu te lances en aveugle au milieu des abîmes. Je ne veux pas t’y laisser tomber! moi! Tu es le seul être que j’aie estimé depuis dix ans. Il ne faut pas que tu périsses, non, il ne le faut pas.
– Mais, mon ami, je ne suis pas en danger. Croyez-vous que je mente quand je vous jure, par tout ce qu’il y a de sacré, que j’ai respecté le serment fait au lit de mort de ma mère? Anzoleto le respecte aussi. Je ne suis pas encore sa femme, je ne suis donc pas sa maîtresse.
– Mais qu’il dise un mot, et tu seras l’une et l’autre!
– Ma mère elle-même nous l’a fait promettre.
– Et tu venais cependant ce soir trouver cet homme qui ne veut pas et qui ne peut pas être ton mari?
– Qui vous l’a dit?
– La Corilla lui permettrait-elle jamais de…
– La Corilla? Qu’y a-t-il de commun entre lui et la Corilla?
– Nous sommes à deux pas de la demeure de cette fille… Tu cherchais ton fiancé… allons l’y trouver. T’en sens-tu le courage?
– Non! non! mille fois non! répondit Consuelo en fléchissant dans sa marche et en s’appuyant contre la muraille. Laissez-moi la vie, mon maître; ne me tuez pas avant que j’aie vécu. Je vous dis que vous me faites mourir.
– Il faut que tu boives ce calice, reprit l’inexorable vieillard; je fais ici le rôle du destin. N’ayant jamais fait que des ingrats et par conséquent des malheureux par ma tendresse et ma mansuétude, il faut que je dise la vérité à ceux que j’aime. C’est le seul bien que puisse opérer un cœur desséché par le malheur et pétrifié par la souffrance. Je te plains, ma pauvre fille, de n’avoir pas un ami plus doux et plus humain pour te soutenir dans cette crise fatale. Mais tel que l’on m’a fait, il faut que j’agisse sur les autres et que j’éclaire par le rayonnement de la foudre, ne pouvant vivifier par la chaleur du soleil. Ainsi donc, Consuelo, pas de faiblesse entre nous. Viens à ce palais. Je veux que tu surprennes ton amant dans les bras de l’impure Corilla. Si tu ne peux marcher, je te traînerai! Si tu tombes je te porterai! Ah! le vieux Porpora est robuste encore, quand le feu de la colère divine brûle dans ses entrailles!
– Grâce! grâce! s’écria Consuelo plus pâle que la mort. Laissez-moi douter encore… Donnez-moi encore un jour, un seul jour pour croire en lui; je ne suis pas préparée à ce supplice…
– Non, pas un jour, pas une heure, répondit-il d’un ton inflexible; car cette heure qui s’écoule, je ne la retrouverai pas pour te mettre la vérité sous les yeux; et ce jour que tu demandes, l’infâme en profiterait pour te remettre sous le joug du mensonge. Tu viendras avec moi; je te l’ordonne, je le veux.
– Eh bien, oui! j’irai, dit Consuelo en reprenant sa force par une violente réaction de l’amour. J’irai avec vous pour constater votre injustice et la foi de mon amant; car vous vous trompez indignement, et vous voulez que je me trompe avec vous! Allez donc, bourreau que vous êtes! Je vous suis, et je ne vous crains pas.»
Le Porpora la prit au mot; et, saisissant son bras dans sa main nerveuse, forte comme une pince de fer, il la conduisit dans la maison qu’il habitait, où, après lui avoir fait parcourir tous les corridors et monter tous les escaliers, il lui fit atteindre une terrasse supérieure, d’où l’on distinguait, au-dessus d’une maison plus basse, complètement inhabitée, le palais de la Corilla, sombre du bas en haut, à l’exception d’une seule fenêtre qui était éclairée et ouverte sur la façade noire et silencieuse de la maison déserte. Il semblait, de cette fenêtre, qu’on ne put être aperçu de nulle part; car un balcon avancé empêchait que d’en bas on pût rien distinguer. De niveau, il n’y avait rien, et au-dessus seulement les combles de la maison qu’habitait le Porpora, et qui n’était pas tournée de façon à pouvoir plonger dans le palais de la cantatrice. Mais la Corilla ignorait qu’à l’angle de ces combles il y avait un rebord festonné de plomb, une sorte de niche en plein air, où, derrière un large tuyau de cheminée, le maestro, par un caprice d’artiste, venait chaque soir regarder les étoiles, fuir ses semblables, et rêver à ses sujets sacrés ou dramatiques. Le hasard lui avait fait ainsi découvrir le mystère des amours d’Anzoleto, et Consuelo n’eut qu’à regarder dans la direction qu’il lui donnait, pour voir son amant auprès de sa rivale dans un voluptueux tête-à-tête. Elle se détourna aussitôt; et le Porpora qui, dans la crainte de quelque vertige de désespoir, la tenait avec une force surhumaine, la ramena à l’étage inférieur et la fit entrer dans son cabinet, dont il ferma la porte et la fenêtre pour ensevelir dans le mystère l’explosion qu’il prévoyait.
XX. Mais il n’y eut point d’explosion…
СКАЧАТЬ