Consuelo. George Sand
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Название: Consuelo

Автор: George Sand

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ réveiller aussi la jalousie que lui avait inspirée le comte Zustiniani. Mille sentiments contraires se partageaient son âme. D’abord cette autre jalousie que la Corilla avait éveillée en lui pour le génie et le succès de Consuelo. Celle-là s’enfonçait plus avant dans son sein, à mesure qu’il comparait le triomphe de sa fiancée à ce que, dans son ambition trompée, il appelait sa propre chute. Ensuite l’humiliation d’être supplanté peut-être dans la réalité, comme il l’était déjà dans l’opinion, auprès de cette femme désormais célèbre et toute-puissante dont il était si flatté la veille d’être l’unique et souverain amour. Ces deux jalousies se disputaient dans sa pensée, et il ne savait à laquelle se livrer pour éteindre l’autre. Il avait à choisir entre deux partis: ou d’éloigner Consuelo du comte et de Venise, et de chercher avec elle fortune ailleurs, ou de l’abandonner à son rival, et d’aller au loin tenter seul les chances d’un succès qu’elle ne viendrait plus contrebalancer. Dans cette incertitude de plus en plus poignante, au lieu d’aller reprendre du calme auprès de sa véritable amie, il se lança de nouveau dans l’orage en retournant chez la Corilla. Elle attisa le feu en lui démontrant, avec plus de force que la veille, tout le désavantage de sa position.

      Nul n’est prophète en son pays, lui dit-elle; et c’est déjà un mauvais milieu pour toi que la ville où tu es né, où l’on t’a vu courir en haillons sur la place publique, où chacun peut se dire (et Dieu sait que les nobles aiment à se vanter de leurs bienfaits, même imaginaires, envers les artistes): “C’est moi qui l’ai protégé; je me suis aperçu le premier de son talent; c’est moi qui l’ai recommandé à celui-ci, c’est moi qui l’ai préféré à celui-là.” Tu as beaucoup trop vécu ici au grand air, mon pauvre Anzolo; ta charmante figure avait frappé tous les passants avant qu’on sût qu’il y avait en toi de l’avenir. Le moyen d’éblouir des gens qui t’ont vu ramer sur leur gondole, pour gagner quelques sous, en leur chantant les strophes du Tasse, ou faire leurs commissions pour avoir de quoi souper! Consuelo, laide et menant une vie retirée, est ici une merveille étrangère. Elle est Espagnole d’ailleurs, elle n’a pas l’accent vénitien. Sa prononciation belle, quoiqu’un peu singulière, leur plairait encore, quand même elle serait détestable: c’est quelque chose dont leurs oreilles ne sont pas rebattues. Ta beauté a été pour les trois quarts dans le petit succès que tu as eu au premier acte. Au dernier on y était déjà habitué.

      – Dites aussi que la belle cicatrice que vous m’avez faite au-dessous de l’œil, et que je ne devrais vous pardonner de ma vie, n’a pas peu contribué à m’enlever ce dernier, ce frivole avantage.

      – Sérieux au contraire aux yeux des femmes, mais frivole à ceux des hommes. Avec les unes, tu régneras dans les salons; sans les autres, tu succomberas au théâtre. Et comment veux-tu les occuper, quand c’est une femme qui te les dispute? une femme qui subjugue non seulement les dilettanti sérieux, mais qui enivre encore, par sa grâce et le prestige de son sexe, tous les hommes qui ne sont point connaisseurs en musique! Ah! que pour lutter avec moi, il a fallu de talent et de science à Stefanini, à Saverio, et à tous ceux qui ont paru avec moi sur la scène!

      – À ce compte, chère Corilla, je courrais autant de risques en me montrant auprès de toi, que j’en cours auprès de la Consuelo. Si j’avais eu la fantaisie de te suivre en France, tu me donnerais là un bon avertissement.»

      Ces mots échappés à Anzoleto furent un trait de lumière pour la Corilla. Elle vit qu’elle avait frappé plus juste qu’elle ne s’en flattait encore; car la pensée de quitter Venise s’était déjà formulée dans l’esprit de son amant. Dès qu’elle conçut l’espoir de l’entraîner avec elle, elle n’épargna rien pour lui faire goûter ce projet. Elle s’abaissa elle-même tant qu’elle put, et elle se mit au-dessous de sa rivale avec une modestie sans bornes. Elle se résigna même à dire qu’elle n’était ni assez grande cantatrice, ni assez belle pour allumer des passions dans le public. Et comme tout cela était plus vrai qu’elle ne le pensait en le disant, comme Anzoleto s’en apercevait de reste, et ne s’était jamais abusé sur l’immense supériorité de Consuelo, elle n’eut pas de peine à le lui persuader. Leur association et leur fuite furent donc à peu près résolues dans cette séance; et Anzoleto y songeait sérieusement, bien qu’il se gardât toujours une porte de derrière pour échapper à cet engagement dans l’occasion.

      Corilla, voyant qu’il lui restait un fond d’incertitude, l’engagea fortement à continuer ses débuts, le flattant de l’espérance d’un meilleur sort pour les autres représentations; mais bien certaine, au fond, que ces épreuves malheureuses le dégoûteraient complètement et de Venise et de Consuelo.

      En sortant de chez sa maîtresse, il se rendit chez son amie. Un invincible besoin de la revoir l’y poussait impérieusement. C’était la première fois qu’il avait fini et commencé une journée sans recevoir son chaste baiser au front. Mais comme, après ce qui venait de se passer avec la Corilla, il eût rougi de sa versatilité, il essaya de se persuader qu’il allait chercher auprès d’elle la certitude de son infidélité, et le désabusement complet de son amour. Sans nul doute, se disait-il, le comte aura profité de l’occasion et du dépit causé par mon absence, et il est impossible qu’un libertin tel que lui se soit trouvé avec elle la nuit en tête-à-tête, sans que la pauvrette ait succombé. Cette idée lui faisait pourtant venir une sueur froide au visage; s’il s’y arrêtait, la certitude du remords et du désespoir de Consuelo brisait son âme, et il hâtait le pas, s’imaginant la trouver, noyée de larmes. Et puis une voix intérieure, plus forte que toutes les autres, lui disait qu’une chute aussi prompte et aussi honteuse était impossible à un être aussi pur et aussi noble; et il ralentissait sa marche en songeant à lui-même, à l’odieux de sa conduite, à l’égoïsme de son ambition, aux mensonges et aux reproches dont il avait rempli sa vie et sa conscience.

      Il trouva Consuelo dans sa robe noire, devant sa table, aussi sereine et aussi sainte dans son attitude et dans son regard qu’il l’avait toujours vue. Elle courut à lui avec la même effusion qu’à l’ordinaire, et l’interrogea avec inquiétude, mais sans reproche et sans méfiance, sur l’emploi de ce temps passé loin d’elle.

      J’ai été souffrant, lui répondit-il avec l’abattement profond que lui causait son humiliation intérieure. Ce coup que je me suis donné à la tête contre un décor, et dont je t’ai montré la marque en te disant que ce n’était rien, m’a pourtant causé un si fort ébranlement au cerveau qu’il m’a fallu quitter le palais Zustiniani dans la crainte de m’y évanouir, et que j’ai eu besoin de garder le lit toute la matinée.

      – Ô mon Dieu! dit Consuelo en baisant la cicatrice faite par sa rivale; tu as souffert, et tu souffres encore?

      – Non, ce repos m’a fait du bien. N’y songe plus, et dis-moi comment tu as fait pour revenir toute seule cette nuit?

      – Toute seule? Oh! non, le comte m’a ramenée dans sa gondole.

      – Ah! j’en étais sûr! s’écria Anzoleto avec un accent étrange. Et sans doute… il t’a dit de bien belles choses dans ce tête-à-tête?

      – Qu’eût-il pu me dire qu’il ne m’ait dit cent fois devant tout le monde? Il me gâte, et me donnerait de la vanité si je n’étais en garde contre cette maladie. D’ailleurs, nous n’étions pas tête-à-tête; mon bon maître a voulu m’accompagner aussi. Oh! l’excellent ami!

      – Quel maître? que excellent ami? dit Anzoleto rassuré et déjà préoccupé.

      – Eh! le Porpora! À quoi songes-tu donc?

      – Je songe, chère Consuelo, à ton triomphe d’hier soir; et toi, y songes-tu?

      – Moins qu’au tien, je te jure!

      – Le СКАЧАТЬ