Thérèse Raquin. Emile Zola
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Название: Thérèse Raquin

Автор: Emile Zola

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ qui n’avait pas encore prononcé une parole, regardait le nouveau venu. Elle n’avait jamais vu un homme. Laurent, grand, fort, le visage frais, l’étonnait. Elle contemplait avec une sorte d’admiration son front bas, planté d’une rude chevelure noire, ses joues pleines, ses lèvres rouges, sa face régulière, d’une beauté sanguine. Elle arrêta un instant ses regards sur son cou; ce couétait large et court, gras et puissant. Puis elle s’oublia à considérer les grosses mains qu’il tenaitétalées sur ses genoux; les doigts enétaient carrés; le poing fermé devaitêtre énorme et aurait pu assommer un bœuf. Laurentétait un vrai fils de paysan, d’allure un peu lourde, le dos bombé, les mouvements lents et précis, l’air tranquille et entêté.

      On sentait sous ses vêtements des muscles ronds et développés, tout un corps d’une chairépaisse et ferme. Et Thérèse l’examinait avec curiosité, allant de ses poings à sa face, éprouvant de petits frissons lorsque ses yeux rencontraient son cou de taureau.

      Camille étala ses volumes de Buffon et ses livraisons à dix centimes, pour montrer à son ami qu’il travaillait, lui aussi. Puis, comme répondant à une question qu’il s’adressait depuis quelques instants:

      «Mais, dit-ilà Laurent, tu dois connaître ma femme? Tu ne te rappelles pas cette petite cousine qui jouait avec nous, à Vernon?

      – J’ai parfaitement reconnu madame», répondit Laurent en regardant Thérèse en face.

      Sous ce regard droit, qui semblait pénétrer en elle, la jeune femme éprouva une sorte de malaise. Elle eut un sourire forcé, etéchangea quelques mots avec Laurent et son mari; puis elle se hâta d’aller rejoindre sa tante. Elle souffrait.

      On se mit à table. Dès le potage, Camille crut devoir s’occuper de son ami.

      «Comment va ton père? lui demanda-t-il.

      – Mais je ne sais pas, répondit Laurent. Nous sommes brouillés; il y a cinq ans que nous ne nousécrivons plus.

      – Bah! s’écria l’employé, étonné d’une pareille monstruosité.

      – Oui, le cher homme a des idées à lui… Comme il est continuellement en procès avec ses voisins, il m’a mis au collège, rêvant de trouver plus tard en moi un avocat qui lui gagnerait toutes ses causes… Oh! le père Laurent n’a que des ambitions utiles; il veut tirer parti même de ses folies.

      – Et tu n’as pas vouluêtre avocat? dit Camille, de plus en plusétonné.

      – Ma foi non, reprit son ami en riant… Pendant deux ans, j’ai fait semblant de suivre les cours, afin de toucher la pension de douze cents francs que mon père me servait. Je vivais avec un de mes camarades de collège, qui est peintre, et je m’étais mis à faire aussi de la peinture. Cela m’amusait; le métier est drôle, pas fatigant. Nous fumions, nous blaguions tout le jour…»

      La famille Raquin ouvrait des yeuxénormes.

      «Par malheur, continua Laurent, cela ne pouvait durer. Le père a su que je lui contais des mensonges, il m’a retranché net mes cent francs par mois, en m’invitant à venir piocher la terre avec lui. J’ai essayé alors de peindre des tableaux de sainteté; mauvais commerce… Comme j’ai vu clairement que j’allais mourir de faim, j’ai envoyé l’art à tous les diables et j’ai cherché un emploi… Le père mourra bien un de ces jours; j’attendsça pour vivre sans rien faire.»

      Laurent parlait d’une voix tranquille. Il venait, en quelques mots, de conter une histoire caractéristique qui le peignait en entier. Au fond, c’était un paresseux, ayant des appétits sanguins, des désirs très arrêtés de jouissances faciles et durables. Ce grand corps puissant ne demandait qu’à ne rien faire, qu’à se vautrer dans une oisiveté et un assouvissement de toutes les heures. Il aurait voulu bien manger, bien dormir, contenter largement ses passions, sans remuer de place, sans courir la mauvaise chance d’une fatigue quelconque.

      La profession d’avocat l’avaitépouvanté, et il frissonnait à l’idée de piocher la terre. Il s’était jeté dans l’art, espérant y trouver un métier de paresseux; le pinceau lui semblait un instrument léger à manier; puis il croyait le succès facile. Il rêvait une vie de voluptés à bon marché, une belle vie pleine de femmes, de repos sur des divans, de mangeailles et de soûleries. Le rêve dura tant que le père Laurent envoya desécus. Mais, lorsque le jeune homme, qui avait déjà trente ans, vit la misère à l’horizon, il se mit à réfléchir; il se sentait lâche devant les privations, il n’aurait pas accepté une journée sans pain pour la plus grande gloire de l’art. Comme il le disait, il envoya la peinture au diable, le jour où il s’aperçut qu’elle ne contenterait jamais ses larges appétits. Ses premiers essaisétaient restés au-dessous de la médiocrité; sonœil de paysan voyait gauchement et salement la nature; ses toiles, boueuses, mal bâties, grimaçantes, défiaient toute critique. D’ailleurs, il ne paraissait point trop vaniteux comme artiste, il ne se désespéra pas outre mesure, lorsqu’il lui fallut jeter les pinceaux. Il ne regretta réellement que l’atelier de son camarade de collège, ce vaste atelier dans lequel il s’était si voluptueusement vautré pendant quatre ou cinq ans. Il regretta encore les femmes qui venaient poser, et dont les capricesétaient à la portée de sa bourse. Ce monde de jouissances brutales lui laissa de cuisants besoins de chair. Il se trouva cependant à l’aise dans son métier d’employé; il vivait très bien en brute, il aimait cette besogne au jour le jour, qui ne le fatiguait pas et qui endormait son esprit. Deux choses l’irritaient seulement: il manquait de femmes, et la nourriture des restaurants à dix-huit sous n’apaisait pas les appétits gloutons de son estomac.

      Camille l’écoutait, le regardait avec unétonnement de niais. Ce garçon débile, dont le corps mou et affaissé n’avait jamais eu une secousse de désir, rêvait puérilement à cette vie d’atelier dont son ami lui parlait. Il songeait à ces femmes quiétalent leur peau nue. Il questionna Laurent.

      «Alors, lui dit-il, il y a eu, commeça, des femmes qui ont retiré leur chemise devant toi?

      – Mais oui, répondit Laurent en souriant et en regardant Thérèse quiétait devenue très pâle.

      – Ça doit vous faire un singulier effet, reprit Camille avec un rire d’enfant… Moi, je serais gêné… La première fois, tu as dû rester tout bête.»

      Laurent avaitélargi une de ses grosses mains dont il regardait attentivement la paume. Ses doigts eurent de légers frémissements, des lueurs rouges montèrent à ses joues.

      «La première fois, reprit-il comme se parlant à lui-même, je crois que j’ai trouvéça naturel… C’est bien amusant, ce diable d’art, seulementça ne rapporte pas un sou… J’ai eu pour modèle une rousse quiétait adorable: des chairs fermes, éclatantes, une poitrine superbe, des hanches d’une largeur…»

      Laurent leva la tête et vit Thérèse devant lui, muette, immobile. La jeune femme le regardait avec une fixité ardente. Ses yeux, d’un noir mat, semblaient deux trous sans fond, et, par ses lèvres entrouvertes, on apercevait des clartés roses dans sa bouche. Elle était comme écrasée, ramassée sur elle-même; elle écoutait.

      Les regards de Laurent allèrent de Thérèse à Camille. L’ancien peintre retint un sourire. Il acheva sa phrase du geste, un geste large et voluptueux, que la jeune femme suivit du regard. Onétait au dessert, et Mme Raquin venait de descendre pour servir une cliente.

      Quand la nappe fut retirée, Laurent, songeur depuis quelques minutes, s’adressa brusquement à Camille.

      «Tu sais, lui dit-il, il faut que je fasse ton portrait.»

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