Sodome et Gomorrhe. Marcel Proust
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Название: Sodome et Gomorrhe

Автор: Marcel Proust

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ communs pour pouvoir jamais être séparées, et, au fond, elle sait bien qu’elle m’aime plus que tant des gens qu’elle voit tous les jours et qui ne sont pas de son rang. » Mme de Gallardon était en effet comme ces amoureux dédaignés qui veulent à toute force faire croire qu’ils sont plus aimés que ceux que choie leur belle. Et (par les éloges que, sans souci de la contradiction avec ce qu’elle avait dit peu avant, elle prodigua en parlant de la duchesse de Guermantes) elle prouva indirectement que celle-ci possédait à fond les maximes qui doivent guider dans sa carrière une grande élégante laquelle, dans le moment même où sa plus merveilleuse toilette excite, à côté de l’admiration, l’envie, doit savoir traverser tout un escalier pour la désarmer. « Faites au moins attention de ne pas mouiller vos souliers » (il avait tombé une petite pluie d’orage), dit le duc, qui était encore furieux d’avoir attendu.

      Pendant le retour, à cause de l’exiguïté du coupé, les souliers rouges se trouvèrent forcément peu éloignés des miens, et Mme de Guermantes, craignant même qu’ils ne les eussent touchés, dit au duc : « Ce jeune homme va être obligé de me dire comme je ne sais plus quelle caricature : « Madame, dites-moi tout de suite que vous m’aimez, mais ne me marchez pas sur les pieds comme cela. » Ma pensée d’ailleurs était assez loin de Mme de Guermantes. Depuis que Saint-Loup m’avait parlé d’une jeune fille de grande naissance qui allait dans une maison de passe et de la femme de chambre de la baronne Putbus, c’était dans ces deux personnes que, faisant bloc, s’étaient résumés les désirs que m’inspiraient chaque jour tant de beautés de deux classes, d’une part les vulgaires et magnifiques, les majestueuses femmes de chambre de grande maison enflées d’orgueil et qui disent « nous » en parlant des duchesses, d’autre part ces jeunes filles dont il me suffisait parfois, même sans les avoir vues passer en voiture ou à pied, d’avoir lu le nom dans un compte rendu de bal pour que j’en devinsse amoureux et qu’ayant consciencieusement cherché dans l’annuaire des châteaux où elles passaient l’été (bien souvent en me laissant égarer par un nom similaire) je rêvasse tour à tour d’aller habiter les plaines de l’Ouest, les dunes du Nord, les bois de pins du Midi. Mais j’avais beau fondre toute la matière charnelle la plus exquise pour composer, selon l’idéal que m’en avait tracé Saint-Loup, la jeune fille légère et la femme de chambre de Mme Putbus, il manquait à mes deux beautés possédables ce que j’ignorerais tant que je ne les aurais pas vues : le caractère individuel. Je devais m’épuiser vainement à rechercher à me figurer, pendant les mois où j’eusse préféré une femme de chambre, celle de Mme Putbus. Mais quelle tranquillité, après avoir été perpétuellement troublé par mes désirs inquiets pour tant d’êtres fugitifs dont souvent je ne savais même pas le nom, qui étaient en tout cas si difficiles à retrouver, encore plus à connaître, impossibles peut-être à conquérir, d’avoir prélevé sur toute cette beauté éparse, fugitive, anonyme, deux spécimens de choix munis de leur fiche signalétique et que j’étais du moins certain de me procurer quand je le voudrais. Je reculais l’heure de me mettre à ce double plaisir, comme celle du travail, mais la certitude de l’avoir quand je voudrais me dispensait presque de le prendre, comme ces cachets soporifiques qu’il suffit d’avoir à la portée de la main pour n’avoir pas besoin d’eux et s’endormir. Je ne désirais dans l’univers que deux femmes dont je ne pouvais, il est vrai, arriver à me représenter le visage, mais dont Saint-Loup m’avait appris les noms et garanti la complaisance. De sorte que, s’il avait par ses paroles de tout à l’heure fourni un rude travail à mon imagination, il avait par contre procuré une appréciable détente, un repos durable à ma volonté.

      « Hé bien ! me dit la duchesse, en dehors de vos bals, est-ce que je ne peux vous être d’aucune utilité ? Avez-vous trouvé un salon où vous aimeriez que je vous présente ? » Je lui répondis que je craignais que le seul qui me fît envie ne fût trop peu élégant pour elle. « Qui est-ce ? » demanda-t-elle d’une voix menaçante et rauque, sans presque ouvrir la bouche. « La baronne Putbus. » Cette fois-ci elle feignit une véritable colère. « Ah ! non, ça, par exemple, je crois que vous vous fichez de moi. Je ne sais même pas par quel hasard je sais le nom de ce chameau. Mais c’est la lie de la société. C’est comme si vous me demandiez de vous présenter à ma mercière. Et encore non, car ma mercière est charmante. Vous êtes un peu fou, mon pauvre petit. En tout cas, je vous demande en grâce d’être poli avec les personnes à qui je vous ai présenté, de leur mettre des cartes, d’aller les voir et de ne pas leur parler de la baronne Putbus, qui leur est inconnue. » Je demandai si Mme d’Orvillers n’était pas un peu légère. « Oh ! pas du tout, vous confondez, elle serait plutôt bégueule. N’est-ce pas, Basin ? – Oui, en tout cas je ne crois pas qu’il y ait jamais rien à dire sur elle », dit le duc.

      « Vous ne voulez pas venir avec nous à la redoute ? me demanda-t-il. Je vous prêterais un manteau vénitien et je sais quelqu’un à qui cela ferait bougrement plaisir, à Oriane d’abord, cela ce n’est pas la peine de le dire ; mais à la princesse de Parme. Elle chante tout le temps vos louanges, elle ne jure que par vous. Vous avez la chance – comme elle est un peu mûre – qu’elle soit d’une pudicité absolue. Sans cela elle vous aurait certainement pris comme sigisbée, comme on disait dans ma jeunesse, une espèce de cavalier servant. »

      Je ne tenais pas à la redoute, mais au rendez-vous avec Albertine. Aussi je refusai. La voiture s’était arrêtée, le valet de pied demanda la porte cochère, les chevaux piaffèrent jusqu’à ce qu’elle fût ouverte toute grande, et la voiture s’engagea dans la cour. « À la revoyure, me dit le duc. – J’ai quelquefois regretté de demeurer aussi près de Marie, me dit la duchesse, parce que, si je l’aime beaucoup, j’aime un petit peu moins la voir. Mais je n’ai jamais regretté cette proximité autant que ce soir puisque cela me fait rester si peu avec vous. – Allons, Oriane, pas de discours. » La duchesse aurait voulu que j’entrasse un instant chez eux. Elle rit beaucoup, ainsi que le duc, quand je dis que je ne pouvais pas parce qu’une jeune fille devait précisément venir me faire une visite maintenant. « Vous avez une drôle d’heure pour recevoir vos visites, me dit-elle. – Allons, mon petit, dépêchons-nous, dit M. de Guermantes à sa femme. Il est minuit moins le quart et le temps de nous costumer… » Il se heurta devant sa porte, sévèrement gardée par elles, aux deux dames à canne qui n’avaient pas craint de descendre nuitamment de leur cime afin d’empêcher un scandale. « Basin, nous avons tenu à vous prévenir, de peur que vous ne soyez vu à cette redoute : le pauvre Amanien vient de mourir, il y a une heure. » Le duc eut un instant d’alarme. Il voyait la fameuse redoute s’effondrer pour lui du moment que, par ces maudites montagnardes, il était averti de la mort de M. d’Osmond. Mais il se ressaisit bien vite et lança aux deux cousines ce mot où il faisait entrer, avec la détermination de ne pas renoncer à un plaisir, son incapacité d’assimiler exactement les tours de la langue française : « Il est mort ! Mais non, on exagère, on exagère ! » Et sans plus s’occuper des deux parentes qui, munies de leurs alpenstocks, allaient faire l’ascension dans la nuit, il se précipita aux nouvelles en interrogeant son valet de chambre : « Mon casque est bien arrivé ? – Oui, monsieur le duc. – Il y a bien un petit trou pour respirer ? Je n’ai pas envie d’être asphyxié, que diable ! – Oui, monsieur le duc. – Ah ! tonnerre de Dieu, c’est un soir de malheur. Oriane, j’ai oublié de demander à Babal si les souliers à la poulaine étaient pour vous ! – Mais, mon petit, puisque le costumier de l’Opéra-Comique est là, il nous le dira. Moi, je ne crois pas que ça puisse aller avec vos éperons. – Allons trouver le costumier, dit le duc. Adieu, mon petit, je vous dirais bien d’entrer avec nous pendant que nous essaierons, pour vous amuser. Mais nous causerions, il va être minuit et il faut que nous n’arrivions pas en retard pour que la fête soit complète. »

      Moi aussi j’étais pressé de quitter M. et Mme de Guermantes au plus vite. Phèdre finissait vers onze heures et demie. Le temps de venir, Albertine devait être arrivée. J’allai droit à Françoise : « Mlle Albertine est là ? – Personne n’est venu. »

      Mon Dieu, cela voulait-il dire que personne СКАЧАТЬ