Sodome et Gomorrhe. Marcel Proust
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Название: Sodome et Gomorrhe

Автор: Marcel Proust

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ pour effacer ses dernières paroles, tu étais peut-être amoureux d’une Chinoise avant d’aimer tant de blanches et de leur plaire, si j’en juge par une certaine dame à qui tu as fait bien plaisir ce soir en causant avec elle. Elle a été ravie de toi. » Le duc s’était promis de ne pas parler de Mme de Surgis, mais, au milieu du désarroi que la gaffe qu’il avait faite venait de jeter dans ses idées, il s’était jeté sur la plus voisine, qui était précisément celle qui ne devait pas paraître dans l’entretien, quoiqu’elle l’eût motivé. Mais M. de Charlus avait remarqué la rougeur de son frère. Et, comme les coupables qui ne veulent pas avoir l’air embarrassé qu’on parle devant eux du crime qu’ils sont censés ne pas avoir commis et croient devoir prolonger une conversation périlleuse : « J’en suis charmé, lui répondit-il, mais je tiens à revenir sur ta phrase précédente, qui me semble profondément vraie. Tu disais que je n’ai jamais eu les idées de tout le monde ; comme c’est juste ! tu disais que j’avais des goûts spéciaux. – Mais non », protesta M. de Guermantes, qui, en effet, n’avait pas dit ces mots et ne croyait peut-être pas chez son frère à la réalité de ce qu’ils désignent. Et, d’ailleurs, se croyait-il le droit de le tourmenter pour des singularités qui en tout cas étaient restées assez douteuses ou assez secrètes pour ne nuire en rien à l’énorme situation du baron ? Bien plus, sentant que cette situation de son frère allait se mettre au service de ses maîtresses, le duc se disait que cela valait bien quelques complaisances en échange ; eût-il à ce moment connu quelque liaison « spéciale » de son frère que, dans l’espoir de l’appui que celui-ci lui prêterait, espoir uni au pieux souvenir du temps passé, M. de Guermantes eût passé dessus, fermant les yeux sur elle, et au besoin prêtant la main. « Voyons, Basin ; bonsoir, Palamède, dit la duchesse qui, rongée de rage et de curiosité, n’y pouvait plus tenir, si vous avez décidé de passer la nuit ici, il vaut mieux que nous restions à souper. Vous nous tenez debout, Marie et moi, depuis une demi-heure. » Le duc quitta son frère après une significative étreinte et nous descendîmes tous trois l’immense escalier de l’hôtel de la Princesse.

      Des deux côtés, sur les marches les plus hautes, étaient répandus des couples qui attendaient que leur voiture fût avancée. Droite, isolée, ayant à ses côtés son mari et moi, la duchesse se tenait à gauche de l’escalier, déjà enveloppée dans son manteau à la Tiepolo, le col enserré dans le fermoir de rubis, dévorée des yeux par des femmes, des hommes, qui cherchaient à surprendre le secret de son élégance et de sa beauté. Attendant sa voiture sur le même degré de l’escalier que Mme de Guermantes, mais à l’extrémité opposée, Mme de Gallardon, qui avait perdu depuis longtemps tout espoir d’avoir jamais la visite de sa cousine, tournait le dos pour ne pas avoir l’air de la voir, et surtout pour ne pas offrir la preuve que celle-ci ne la saluait pas. Mme de Gallardon était de fort méchante humeur parce que des messieurs qui étaient avec elle avaient cru devoir lui parler d’Oriane : « Je ne tiens pas du tout à la voir, leur avait-elle répondu, je l’ai, du reste, aperçue tout à l’heure, elle commence à vieillir ; il paraît qu’elle ne peut pas s’y faire. Basin lui-même le dit. Et dame ! je comprends ça, parce que, comme elle n’est pas intelligente, qu’elle est méchante comme une teigne et qu’elle a mauvaise façon, elle sent bien que, quand elle ne sera plus belle, il ne lui restera rien du tout. »

      J’avais mis mon pardessus, ce que M. de Guermantes, qui craignait les refroidissements, blâma, en descendant avec moi, à cause de la chaleur qu’il faisait. Et la génération de nobles qui a plus ou moins passé par Monseigneur Dupanloup parle un si mauvais français (excepté les Castellane), que le duc exprima ainsi sa pensée : « Il vaut mieux ne pas être couvert avant d’aller dehors, du moins en thèse générale. » Je revois toute cette sortie, je revois, si ce n’est pas à tort que je le place sur cet escalier, portrait détaché de son cadre, le prince de Sagan, duquel ce dut être la dernière soirée mondaine, se découvrant pour présenter ses hommages à la duchesse, avec une si ample révolution du chapeau haut de forme dans sa main gantée de blanc, qui répondait au gardénia de la boutonnière, qu’on s’étonnait que ce ne fût pas un feutre à plume de l’ancien régime, duquel plusieurs visages ancestraux étaient exactement reproduits dans celui de ce grand seigneur. Il ne resta qu’un peu de temps auprès d’elle, mais ses poses, même d’un instant, suffisaient à composer tout un tableau vivant et comme une scène historique. D’ailleurs, comme il est mort depuis, et que je ne l’avais de son vivant qu’aperçu, il est tellement devenu pour moi un personnage d’histoire, d’histoire mondaine du moins, qu’il m’arrive de m’étonner en pensant qu’une femme, qu’un homme que je connais sont sa sœur et son neveu.

      Pendant que nous descendions l’escalier, le montait, avec un air de lassitude qui lui seyait, une femme qui paraissait une quarantaine d’années bien qu’elle eût davantage. C’était la princesse d’Orvillers, fille naturelle, disait-on, du duc de Parme, et dont la douce voix se scandait d’un vague accent autrichien. Elle s’avançait, grande, inclinée, dans une robe de soie blanche à fleurs, laissant battre sa poitrine délicieuse, palpitante et fourbue, à travers un harnais de diamants et de saphirs. Tout en secouant la tête comme une cavale de roi qu’eût embarrassée son licol de perles, d’une valeur inestimable et d’un poids incommode, elle posait çà et là ses regards doux et charmants, d’un bleu qui, au fur et à mesure qu’il commençait à s’user, devenait plus caressant encore, et faisait à la plupart des invités qui s’en allaient un signe de tête amical. « Vous arrivez à une jolie heure, Paulette ! dit la duchesse. – Ah ! j’ai un tel regret ! Mais vraiment il n’y a pas eu la possibilité matérielle », répondit la princesse d’Orvillers qui avait pris à la duchesse de Guermantes ce genre de phrases, mais y ajoutait sa douceur naturelle et l’air de sincérité donné par l’énergie d’un accent lointainement tudesque dans une voix si tendre. Elle avait l’air de faire allusion à des complications de vie trop longues à dire, et non vulgairement à des soirées, bien qu’elle revînt en ce moment de plusieurs. Mais ce n’était pas elles qui la forçaient de venir si tard. Comme le prince de Guermantes avait pendant de longues années empêché sa femme de recevoir Mme d’Orvillers, celle-ci, quand l’interdit fut levé, se contenta de répondre aux invitations, pour ne pas avoir l’air d’en avoir soif, par des simples cartes déposées. Au bout de deux ou trois ans de cette méthode, elle venait elle-même, mais très tard, comme après le théâtre. De cette façon, elle se donnait l’air de ne tenir nullement à la soirée, ni à y être vue, mais simplement de venir faire une visite au Prince et à la Princesse, rien que pour eux, par sympathie, au moment où, les trois quarts des invités déjà partis, elle « jouirait mieux d’eux ». « Oriane est vraiment tombée au dernier degré, ronchonna Mme de Gallardon. Je ne comprends pas Basin de la laisser parler à Mme d’Orvillers. Ce n’est pas M. de Gallardon qui m’eût permis cela. » Pour moi, j’avais reconnu en Mme d’Orvillers la femme qui, près de l’hôtel Guermantes, me lançait de longs regards langoureux, se retournait, s’arrêtait devant les glaces des boutiques. Mme de Guermantes me présenta, Mme d’Orvillers fut charmante, ni trop aimable, ni piquée. Elle me regarda comme tout le monde, de ses yeux doux… Mais je ne devais plus jamais, quand je la rencontrerais, recevoir d’elle une seule de ces avances où elle avait semblé s’offrir. Il y a des regards particuliers et qui ont l’air de vous reconnaître, qu’un jeune homme ne reçoit jamais de certaines femmes – et de certains hommes – que jusqu’au jour où ils vous connaissent et apprennent que vous êtes l’ami de gens avec qui ils sont liés aussi.

      On annonça que la voiture était avancée. Mme de Guermantes prit sa jupe rouge comme pour descendre et monter en voiture, mais, saisie peut-être d’un remords, ou du désir de faire plaisir et surtout de profiter de la brièveté que l’empêchement matériel de le prolonger imposait à un acte aussi ennuyeux, elle regarda Mme de Gallardon ; puis, comme si elle venait seulement de l’apercevoir, prise d’une inspiration, elle retraversa, avant de descendre, toute la longueur du degré et, arrivée à sa cousine ravie, lui tendit la main. « Comme il y a longtemps », lui dit la duchesse qui, pour ne pas avoir à développer tout ce qu’était censé contenir de regrets et de légitimes СКАЧАТЬ