L'éducation sentimentale. Gustave Flaubert
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Название: L'éducation sentimentale

Автор: Gustave Flaubert

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ on avait recours à M. Frédéric pour la calmer.

      Souvent il l’emmenait avec lui dans ses promenades.

      Tandis qu’il rêvassait en marchant, elle cueillait des coquelicots au bord des blés, et, quand elle le voyait plus triste qu’à l’ordinaire, elle tâchait de le consoler par de gentilles paroles. Son coeur, privé d’amour, se rejeta sur cette amitié d’enfant ; il lui dessinait des bonshommes, lui contait des histoires et il se mit à lui faire des lectures.

      Il commença par les Annales romantiques, un recueil de vers et de prose, alors célèbre. Puis, oubliant son âge, tant son intelligence le charmait, il lut successivement Atala, Cinq-Mars, les Feuilles d’automne. Mais, une nuit (le soir même, elle avait entendu Macbeth, dans la simple traduction de Letourneur), elle se réveilla en criant :» La tache ! la tache !», ses dents claquaient, elle tremblait, et, fixant des yeux épouvantés sur sa main droite, elle la frottait en disant :» Toujours une tache !» Enfin arriva le médecin, qui prescrivit d’éviter les émotions.

      Les bourgeois ne virent là-dedans qu’un pronostic défavorable pour ses moeurs. On disait que «le fils Moreau» voulait en faire plus tard une actrice.

      Bientôt il fut question d’un autre événement, à savoir l’arrivée de l’oncle Barthélemy. Mme Moreau lui donna sa chambre à coucher, et poussa la condescendance jusqu’à servir du gras les jours maigres.

      Le vieillard fut médiocrement aimable. C’étaient de perpétuelles comparaisons entre le Havre et Nogent, dont il trouvait l’air lourd, le pain mauvais, les rues mal pavées, la nourriture médiocre et les habitants des paresseux.«Quel pauvre commerce chez vous !» Il blâma les extravagances de défunt Son frère, tandis que, lui, il avait amassé vingt-sept mille livres de rente ! Enfin, il partit au bout de la semaine, et sur le marchepied de la voiture, lâcha ces mots peu rassurants :

      «Je suis toujours bien aise de vous savoir dans une bonne position.

      – Tu n’auras rien !» dit Mme Moreau en rentrant dans la salle.

      Il n’était venu que sur ses instances ; et, huit jours durant, elle avait sollicité de sa part une ouverture, trop clairement peut-être. Elle se repentait d’avoir agi, et restait dans son fauteuil, la tête basse, les lèvres serrées. Frédéric, en face d’elle, l’observait ; et ils se taisaient tous les deux, comme il y avait cinq ans, au retour de Montereau. Cette coïncidence, s’offrant même à sa pensée, lui rappela Mme Arnoux.

      A ce moment, des coups de fouet retentirent sous la fenêtre, en même temps qu’une voix l’appelait.

      C’était le père Roque, seul dans sa tapissière. Il allait passer toute la journée à la Fortelle, chez M. Dambreuse, et proposa cordialement à Frédéric de l’y conduire.

      «Vous n’avez pas besoin d’invitation avec moi soyez sans crainte !»

      Frédéric eut envie d’accepter. Mais comment expliquerait-il son séjour définitif à Nogent ? Il n’avait pas un costume d’été convenable ; enfin que dirait sa mère ? Il refusa.

      Dès lors, le voisin se montra moins amical. Louise grandissait ; Mme Eléonore tomba malade dangereusement ; et la liaison se dénoua au grand plaisir de Mme Moreau, qui redoutait pour l’établissement de son fils la fréquentation de pareilles gens.

      Elle rêvait de lui acheter le greffe du tribunal ; Frédéric ne repoussait pas trop cette idée. Maintenant, il l’accompagnait à la messe, il faisait le soir sa partie d’impériale, il s’accoutumait à la province, s’y enfonçait ; – et même son amour avait pris comme une douceur funèbre, un charme assoupissant. A force d’avoir versé sa douleur dans ses lettres, de l’avoir mêlée à ses lectures, promenée dans la campagne et partout épandue, il l’avait presque tarie, si bien que Mme Arnoux était pour lui comme une morte dont il s’étonnait de ne pas connaître le tombeau, tant cette affection était devenue tranquille et résignée.

      Un jour, le 12 décembre 1845, vers neuf heures du matin, la cuisinière monta une lettre dans sa chambre. L’adresse, en gros caractères, était d’une écriture inconnue ; et Frédéric, sommeillant, ne se pressa pas de la décacheter. Enfin il lut :

      «Justice de paix du Havre. IIIe arrondissement.

      » Monsieur,

      » M. Moreau, votre oncle, étant mort ab intestat…»

      Il héritait !

      Comme si un incendie eût éclaté derrière le mur, il sauta hors de son lit, pieds nus, en chemise : il se passa la main sur le visage, doutant de ses yeux, croyant qu’il rêvait encore, et, pour se raffermir dans la réalité, il ouvrit la fenêtre toute grande.

      Il était tombé de la neige ; les toits étaient blancs et même il reconnut dans la cour un baquet à lessive, qui l’avait fait trébucher la veille au soir.

      Il relut la lettre trois fois de suite ; rien de plus vrai ? toute la fortune de l’oncle ! Vingt-sept mille livres de rente ! – et une joie frénétique le bouleversa, à l’idée de revoir Mme Arnoux. Avec la netteté d’une hallucination, il s’aperçut auprès d’elle, chez elle, lui apportant quelque cadeau dans du papier de soie, tandis qu’à la porte stationnerait son tilbury, non, un coupé plutôt un coupé noir, avec un domestique en livrée brune il entendait piaffer son cheval et le bruit de la gourmette se confondant avec le murmure de leurs baisers. Cela se renouvellerait tous les jours, indéfiniment. Il les recevrait chez lui, dans sa maison ; la salle à manger serait en cuir rouge, le boudoir en soie jaune, des divans partout et quelles étagères quels vases de Chine ! quels tapis ! Ces images arrivaient si tumultueusement, qu’il sentait la tête lui tourner. Alors, il se rappela sa mère ; et il descendit, tenant toujours la lettre à sa main.

      Mme Moreau tâcha de contenir son émotion et eut une défaillance. Frédéric la prit dans ses bras et la baisa au front.

      «Bonne mère, tu peux racheter ta voiture maintenant ; ris donc, ne pleure plus, sois heureuse»

      Dix minutes après, la nouvelle circulait jusqu’aux faubourgs. Alors, Me Benoist, M. Gambin, M. Chambion, tous les amis, accoururent. Frédéric s’échappa une minute pour écrire à Deslauriers. D’autres visites survinrent. L’après-midi se passa en félicitations. On en oubliait la femme Roque, qui était cependant «très bas».

      Le soir, quand ils furent seuls, tous les deux, Mme Moreau dit à son fils qu’elle lui conseillait de s’établir à Troyes, avocat. Etant plus connu dans son pays que dans un autre, il pourrait plus facilement y trouver des partis avantageux.

      «Ah ! c’est trop fort !» s’écria Frédéric.

      A peine avait-il son bonheur entre les mains qu’on voulait le lui prendre. Il signifia sa résolution formelle d’habiter Paris.

      «Pour quoi y faire ?

      – Rien !»

      Mme Moreau, surprise de ses façons, lui demanda ce qu’il voulait devenir.

      «Ministre !» répliqua Frédéric.

      Et il affirma qu’il ne plaisantait nullement, qu’il prétendait se lancer dans la diplomatie, que ses études et ses instincts l’y poussaient. Il entrerait d’abord au Conseil d’Etat, avec la protection de M. Dambreuse.

      «Tu le connais donc ?

      – Mais oui ! par M. Roque СКАЧАТЬ