Название: Le pouce crochu
Автор: Fortuné du Boisgobey
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
isbn:
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Zig-Zag s’arrêta enfin et vint se planter juste en face d’elle, tout près des quinquets qui tenaient lieu de rampe à ce théâtre de la Foire.
Camille vit alors que Zig-Zag était masqué comme l’Arlequin de l’ancienne comédie italienne. Un loup de soie noire collé sur le haut de son visage ne laissait à découvert que sa bouche souriante, ses dents blanches, son menton rasé de frais, son cou bien attaché et un bout de maillot rose, tout parsemé de clinquant argenté.
Les yeux brillaient à travers les trous du masque et Camille crut remarquer qu’ils se fixaient sur elle.
Mais ce n’était pas la figure du clown qui l’intéressait. Elle cherchait ses mains, et elle s’aperçut avec stupéfaction que l’illustre sauteur était emprisonné, depuis les pieds jusqu’aux épaules, dans un sac de toile pailleté comme le maillot. Il y avait fourré ses bras, qui se trouvaient collés à son corps.
Invisibles, ses mains; invisibles, aussi ses chaussures, qui devaient porter les marques laissées par une course sur le macadam boueux du boulevard Voltaire.
Avait-il imaginé de s’envelopper ainsi pour dérouter la jeune fille qui venait de lui donner la chasse? Elle reconnut bientôt que le désir d’échapper à une reconnaissance n’y était pour rien.
Cet accoutrement était indispensable à Zig-Zag pour exécuter son fameux tour qui consistait à bondir, avec un élan prodigieux, à tomber perpendiculairement sur le sommet du crâne, à se remettre debout par un saut de carpe et à recommencer ainsi une douzaine de fois de suite.
Le sac l’empêchait de se servir de ses mains et c’était en cela que consistait la difficulté de ce périlleux exercice, inventé, dit-on, par les Aïssaoua, ces Arabes enragés qui dévorent des scorpions, du verre et des feuilles de cactus épineux.
À sauter ainsi, un honnête homme se romprait le cou; mais Zig-Zag s’en tirait sans que sa colonne vertébrale en souffrit. Il saluait les spectateurs qui l’applaudissaient avec frénésie, et il paraissait tout prêt à recommencer.
Camille hésita un instant. Ce clown extraordinaire devait avoir plus d’un tour dans son répertoire, et avant la fin de la représentation, il allait sans doute reparaître sous un autre costume qui permettrait de voir son visage et ses doigts. Mais elle n’avait pas de temps à perdre. Monistrol était peut-être blessé, et certainement très inquiet de l’absence prolongée de sa fille. Il tardait à Camille de le rejoindre, et, sans plus réfléchir, elle se leva toute droite et elle cria, en étendant le bras vers le sauteur qui restait immobile pour reprendre haleine:
– Arrêtez-le! c’est un voleur!…
Il n’en fallut pas davantage pour déchaîner une tempête. Le public, en masse, prit parti pour son artiste préféré et des vociférations partirent de tous les coins de la salle.
– Silence!… À la porte, la traînée!… Faut qu’elle fasse des excuses!… Elle est saoule!… Non, elle est folle!… À Charenton, alors!…
Les plus excités étaient debout et montraient le poing à Camille, qui les regardait du haut de son mépris. Elle était très pâle, mais elle n’avait pas peur et elle reprit d’une voix claire:
– Je vous dis que cet homme vient de voler vingt mille francs à mon père. Qu’on le fouille et on les trouvera sur lui.
Cette déclaration lui valut une nouvelle averse d’injures.
– Blagueuse, va!… Il n’a pas le sou, ton père, ni toi non plus… Zig-Zag est plus riche que toi… on demande les sergots… ous’qu’est le panier à salade pour ramener Madame à Saint-Lazare!…
Zig-Zag assistait impassible à cette émeute ignoble. Il ne pouvait pas se croiser les bras, puisque ses bras n’étaient pas libres, mais il avait pris une attitude dédaigneuse, il cambrait son torse et il haussait les épaules en ricanant.
Le vacarme s’éleva bientôt à un tel diapason que la fée en jupe courte, qui était restée sur l’estrade, se montra au haut de l’escalier des premières, adressa au clown un signe de tête interrogateur, et disparut aussitôt; mais ce fut pour reparaître un instant après avec un sergent de ville et lui désigner la femme qui troublait le spectacle.
L’affaire devenait sérieuse et la pauvre Camille comprit, un peu trop tard, qu’elle venait de se mettre dans un très mauvais cas. Elle était sortie de chez son père dans une tenue qui ne prévenait pas en sa faveur et elle se trouvait en passe d’être jetée dehors, peut-être même menée au poste comme une simple drôlesse.
À quelle protection recourir, en cette extrémité? Ses yeux rencontrèrent ceux du jeune homme qui avait payé pour elle, à l’entrée de la baraque. Il la regardait avec plus de curiosité que de bienveillance, mais il avait une figure sympathique et elle crut pouvoir s’adresser à lui.
– Monsieur, lui dit-elle avec émotion, vous me jugez sans doute très mal après la scène que je viens de faire, mais quand vous saurez qui je suis, vous ne refuserez pas de prendre ma défense. Je vous jure que j’ai dit la vérité en accusant ce clown.
La prière de Camille fut interrompue par le sergent de ville, qui mit la main sur elle.
– Ne me touchez pas, dit la jeune fille, en le repoussant.
– Enlevez-la! hurlèrent les spectateurs, qui trépignaient de joie.
Zig-Zag, du haut de ses planches, suivait des yeux le conflit, mais il n’en attendit pas la fin. Il fit la révérence, à la mode des clowns, et en trois bonds sur la tête, il rentra dans la coulisse.
– Je suis prête à vous suivre, reprit Camille.
Frappé sans doute de la fermeté de son attitude, le monsieur dont elle avait réclamé l’appui se décida à intervenir.
– Je sors avec vous, madame, lui dit-il, à demi-voix.
L’autre, le camarade qui l’accompagnait dans ce voyage au pays des saltimbanques, ricanait sous sa moustache et trouvait son ami prodigieusement ridicule, mais il ne l’abandonna point, et ils escortèrent tous les deux Camille, emmenée par le sergent de ville.
Le cortège, en traversant l’estrade, passa sous le feu des mauvais propos de la fée et de la vieille assise au contrôle.
– Une pannée comme ça, qui entre sans payer et qui se permet d’insulter les artistes! grommelait la caissière.
– Elle a trouvé ce qu’elle cherchait. Faut-il que les hommes soient daims! criait la femme à la baguette.
Le dogue aboyait après Camille et l’enfant habillé en paillasse la regardait de tous ses yeux.
Elle descendit bravement sur la place, et, au bas de l’escalier, elle dit à son protecteur:
– Monsieur, je demeure tout près d’ici, chez mon père, M. Monistrol, et je vous demande en grâce de me reconduire à la maison.
– Monistrol! s’écria le jeune homme; Jacques СКАЧАТЬ