Le petit chose. Alphonse Daudet
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Название: Le petit chose

Автор: Alphonse Daudet

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ ! – qui me fit peur.

      « Monsieur Viot, dit le principal, voici le remplaçant de M. Serrières qui nous arrive. »

      M. Viot s'inclina et me sourit le plus doucement du monde. Ses clefs, au contraire, s'agitèrent d'un air ironique et méchant comme pour dire : «Ce petit homme-là remplacer M. Serrières ! allons donc ! allons donc ! » Le principal comprit aussi bien que moi ce que les clefs venaient de dire, et ajouta avec un soupir :

      « Je sais qu'en perdant M. Serrières, nous faisons une perte presque irréparable (ici les clefs poussèrent un véritable sanglot…) : mais je suis sûr que si M. Viot veut bien prendre le nouveau maître sous sa tutelle spéciale, et lui inculquer ses précieuses idées sur l'enseignement, l'ordre et la discipline de la maison n'auront pas trop à souffrir du départ de M. Serrières.

      Toujours souriant et doux, M. Viot répondit que sa bienveillance m'était acquise et qu'il m'aiderait volontiers de ses conseils ; mais les clefs n'étaient pas bienveillantes, elles. Il fallait les entendre s'agiter et grincer avec frénésie ; « Si tu bouges, petit drôle, gare à toi. » «Monsieur Eyssette, conclut le principal, vous pouvez vous retirer. Pour ce soir encore, il faudra que vous couchiez à l'hôtel… Soyez ici demain à huit heures… Allez… » Et il me congédia d'un geste digne.

      M. Viot, plus souriant et plus doux que jamais, m'accompagna jusqu'à la porte ; mais, avant de me quitter, il me glissa dans la main un petit cahier.

      « C'est le règlement de la maison, me dit-il. Lisez et méditez… ».

      Puis il ouvrit la porte et la referma sur moi, en agitant ses clefs d'une façon… frinc ! frinc ! frinc ! Ces messieurs avaient oublié de m'éclairer… J'errai un moment parmi les grands corridors tout noirs, tâtant les murs pour essayer de retrouver mon chemin. De loin en loin, un peu de lune entrait par le grillage d'une fenêtre haute et m'aidait à m'orienter. Tout à coup, dans la nuit des galeries, un point lumineux brilla, venant à ma rencontre… Je fis encore quelques pas ; la lumière grandit, s'approcha de moi, passa à mes côtés, s'éloigna, disparut. Ce fut. comme une vision ; mais, si rapide qu'elle eût été, je pus en saisir les moindres détails.

      Figurez-vous deux femmes, non, deux ombres…

      L'une vieille, ridée, ratatinée, pliée en deux, avec d'énormes lunettes qui lui cachaient la moitié du visage ; l'autre, jeune, svelte, un peu grêle comme tous les fantômes, mais ayant – ce que les fantômes n'ont pas en général – une paire d'yeux, très grands et si noirs, si noirs… La vieille tenait à la main une petite lampe de cuivre ; les yeux noirs, eux, ne portaient rien… Les deux ombres passèrent près de moi, rapides, silencieuses, sans me voir, et depuis longtemps elles avaient disparu que j'étais encore debout, à la même place, sous une double impression de charme et de terreur, Je repris ma route à tâtons, mais le cœur me battait bien fort, et j'avais toujours devant moi, dans l'ombre, l'horrible fée aux lunettes marchant à côté des yeux noirs…

      Il s'agissait cependant de découvrir uni gîte pour la nuit ; ce n'était pas une mince affaire. Heureusement, l'homme aux moustaches, que je trouvai fumant sa pipe devant la loge du portier, se mit tout de suite à ma disposition et me proposa de me conduire dans un bon petit hôtel point trop cher, où je serais servi comme un prince. Vous pensez si j'acceptai de bon cœur.

      Cet homme à moustaches avait l'air très bon enfant ; chemin faisant, j'appris qu'il s'appelait Roger, qu'il était professeur de danse, d'équitation, d'escrime et de gymnastique au collège de Sarlande, et qu'il avait servi longtemps dans les chasseurs d'Afrique. Ceci acheva de me le rendre sympathique.

      Les enfants sont toujours portés à aimer les soldats.

      Nous nous séparâmes à la porte de l'hôtel avec force poignées de main, et la promesse formelle de devenir une paire d'amis.

      Et maintenant, lecteur, un aveu me reste à te faire.

      Quand le petit Chose se trouva seul dans cette chambre froide, devant ce lit d'auberge inconnu et banal, loin de ceux qu'il aimait, son cœur éclata, et ce grand philosophe pleura comme un enfant. La vie l'épouvantait à présent ; il se sentait faible et désarmé devant elle, et il pleurait, il pleurait… Tout à coup, au milieu de ses larmes, l'image des siens passa devant ses yeux ; il vit la maison déserte, la famille dispersée, la mère ici, le père là-bas… Plus de toit ! plus de foyer ! et alors, oubliant sa propre détresse pour ne songer qu'à la misère commune, le petit Chose prit une grande et belle résolution : celle de reconstituer la maison Eyssette et de reconstruire le foyer à lui tout seul. Puis, fier d'avoir trouvé ce noble but à sa vie, il essuya ces larmes indignes d'un homme, d'un reconstructeur de foyer, et sans perdre une minute, entama la lecture du règlement de M. Viot, pour se mettre au courant de ses nouveaux devoirs.

      Ce règlement, recopié avec amour de la propre main de M. Viot, son auteur, était un véritable traité, divisé méthodiquement en trois parties ! 1° Devoirs du maître d'étude envers ses supérieurs ; 2° Devoirs du maître d'étude envers ses collègues ; 3° Devoirs du maître d'étude envers les élèves.

      Tous les cas y étaient prévus, depuis le carreau brisé jusqu'aux deux mains qui se lèvent en même temps à l'étude ; tous les détails de la vie des maîtres y étaient consignés, depuis le chiffre de leurs appointements jusqu'à la demi-bouteille de vin à laquelle ils avaient droit à chaque repas.

      Le règlement se terminait par une belle pièce d'éloquence, un discours sur l'utilité du règlement lui-même ; mais, malgré son respect pour l'œuvre de M. Viot, le petit Chose n'eut pas la force d'aller jusqu'au bout, et – juste au plus beau passage du discours – il s'endormit…

      Cette nuit-là, je dormis mal. Mille rêves fantastiques troublèrent mon sommeil… Tantôt, c'était les terribles clefs de M. Viot que je croyais entendre, frinc ! frinc ! frinc ! ou bien la fée aux lunettes qui venait s'asseoir à mon chevet et qui me réveillait en sursaut ; d'autres fois aussi les yeux noirs – oh ! comme ils étaient noirs ! – s'installaient au pied de mon lit, me regardant avec une étrange obstination…

      Le lendemain, à huit heures, j'arrivai au collège.

      M. Viot, debout sur la porte, son trousseau de clefs à la main, surveillait l'entrée des externes. Il m'accueillit avec son plus doux sourire.

      « Attendez sous le porche, me dit-il, quand les élèves seront rentrés, je vous présenterai à vos collègues. » J'attendis sous le porche, me promenant de long en large, saluant jusqu'à terre MM. les professeurs qui accouraient, essoufflés. Un seul de ces messieurs me rendit mon salut ; c'était un prêtre, le professeur de philosophie, « un original » me dit M. Viot… Je l'aimai tout de suite, cet original-là.

      La cloche sonna. Les classes se remplirent… Quatre ou cinq grands garçons de vingt-cinq à trente ans, mal vêtus, figures communes, arrivèrent en gambadant et s'arrêtèrent interdits à l'aspect de M. Viot.

      « Messieurs, leur dit le surveillant général en me désignant, voici M. Daniel Eyssette, votre nouveau collègue. » Ayant dit, il fit une longue révérence et se retira, toujours souriant, toujours la tête sur l'épaule, et toujours agitant les horribles clefs.

      Mes collègues et moi nous nous regardâmes un moment en silence.

      Le plus grand et le plus gros d'entre eux prit le premier la parole : c'était M. Serrières, le fameux Serrières, que СКАЧАТЬ