L'homme qui rit. Victor Hugo
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Название: L'homme qui rit

Автор: Victor Hugo

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ la forme d’une simple bande obscure, sorte de rature noire sur l’horizon.

      Le naufrage, c’est l’idéal de l’impuissance. Être près de la terre et ne pouvoir l’atteindre, flotter et ne pouvoir voguer, avoir le pied sur quelque chose qui paraît solide et qui est fragile, être plein de vie et plein de mort en même temps, être prisonnier des étendues, être muré entre le ciel et l’océan, avoir sur soi l’infini comme un cachot, avoir autour de soi l’immense évasion des souffles et des ondes, et être saisi, garrotté, paralysé, cet accablement stupéfie et indigne. On croit y entrevoir le ricanement du combattant inaccessible. Ce qui vous tient, c’est cela même qui lâche les oiseaux et met en liberté les poissons. Cela ne semble rien et c’est tout. On dépend de cet air qu’on trouble avec sa bouche, on dépend de cette eau qu’on prend dans le creux de sa main. Puisez de cette tempête plein un verre, ce n’est plus qu’un peu d’amertume. Gorgée, c’est une nausée; houle, c’est l’extermination. Le grain de sable dans le désert, le flocon d’écume dans l’océan, sont des manifestations vertigineuses; la toute-puissance ne prend pas la peine de cacher son atome, elle fait la faiblesse force, elle emplit de son tout le néant, et c’est avec l’infiniment petit que l’infiniment grand vous écrase. C’est avec des gouttes que l’océan vous broie. On se sent jouet.

      Jouet, quel mot terrible!

      La Matutina était un peu au-dessus d’Aurigny, ce qui était favorable; mais dérivait vers la pointe nord, ce qui était fatal. La bise nord-ouest, comme un arc tendu décoche une flèche, lançait le navire vers le cap septentrional. Il existe à cette pointe, un peu en deçà du havre des Corbelets, ce que les marins de l’archipel normand appellent «un singe». Le singe – swinge – est un courant de l’espèce furieuse. Un chapelet d’entonnoirs dans les bas-fonds produit dans les vagues un chapelet de tourbillons. Quand l’un vous lâche, l’autre vous reprend. Un navire, happé par le singe, roule ainsi de spirale en spirale jusqu’à ce qu’une roche aiguë ouvre la coque. Alors le bâtiment crevé s’arrête, l’arrière sort des vagues, l’avant plonge, le gouffre achève son tour de roue, l’arrière s’enfonce, et tout se referme. Une flaque d’écume s’élargit et flotte, et l’on ne voit plus à la surface de la lame que quelques bulles ça et là, venues des respirations étouffées sous l’eau.

      Dans toute la Manche, les trois singes les plus dangereux sont le singe qui avoisine le fameux banc de sable Girdler Sands, le singe qui est à Jersey entre le Pignonnet et la pointe de Noirmont, et le singe d’Aurigny.

      Un pilote local, qui eût été à bord de la Mututina, eût averti les naufragés de ce nouveau péril. A défaut de pilote, ils avaient l’instinct; dans les situations extrêmes, il y a une seconde vue. De hautes torsions d’écume s’envolaient le long de la côte, dans le pillage frénétique du vent. C’était le crachement du singe. Nombre de barques ont chaviré dans celte embûche. Sans savoir ce qu’il y avait là, ils approchaient avec horreur.

      Comment doubler ce cap? Nul moyen,

      De même qu’ils avaient vu surgir les Casquets, puis surgir Ortach, à présent ils voyaient se dresser la pointe d’Aurigny, toute de haute roche. C’était comme des géants l’un après l’autre. Série de duels effrayants,

      Charybde et Scylla ne sont que deux; les Casquets, Ortach et Aurigny sont trois.

      Le même phénomène d’envahissement de l’horizon par l’écueil se reproduisait avec la monotonie grandiose du gouffre. Les batailles de l’océan ont, comme les combats d’Homère, ce rabâchage sublime.

      Chaque lame, à mesure qu’ils approchaient, ajoutait vingt coudées au cap affreusement amplifié dans la brume. La décroissance d’intervalle semblait de plus en plus irrémédiable. Ils touchaient à la lisière du singe. Le premier pli qui les saisirait les entraînerait. Encore un flot franchi, tout était fini.

      Soudain l’ourque fut repoussée en arrière comme par le coup de poing d’un titan. La houle se cabra sous le navire et se renversa, rejetant l’épave dans sa crinière d’écume. La Matutina, sous cette impulsion, s’écarta d’Aurigny.

      Elle se retrouva au large.

      D’où arrivait ce secours? Du vent.

      Le souffle de l’orage venait de se déplacer.

      Le flot avait joué d’eux, maintenant c’était le tour du vent, Ils s’étaient dégagés eux-mêmes des Casquets; mais devant Ortach la houle avait fait la péripétie; devant Aurigny, ce fut la bise, Il y avait eu subitement une saute du septentrion au midi.

      Le suroit avait succédé au noroit.

      Le courant, c’est le vent dans l’eau; le vent, c’est le courant dans l’air; ces deux forces venaient de se contrarier, et le vent avait eu le caprice de retirer sa proie au courant.

      Les brusqueries de l’océan sont obscures. Elles sont le perpétuel peut-être. Quand on est à leur merci, on ne peut ni espérer, ni désespérer. Elles font, puis défont. L’océan s’amuse. Toutes les nuances de la férocité fauve sont dans cette vaste et sournoise mer, que Jean Bart appelait «la grosse bête». C’est le coup de griffe avec les intervalles voulus de patte de velours. Quelquefois la tempête bâcle le naufrage; quelquefois elle le travaille avec soin; on pourrait presque dire elle le caresse. La mer a le temps. Les agonisants s’en aperçoivent.

      Parfois, disons-le, ces ralentissements dans le supplice annoncent la délivrance. Ces cas sont rares. Quoi qu’il en soit, les agonisants croient vite au salut, le moindre apaisement dans les menaces de l’orage leur suffit, ils s’affirment eux-mêmes qu’ils sont hors de péril, après s’être crus ensevelis ils prennent acte de leur résurrection, ils acceptent fiévreusement ce qu’ils ne possèdent pas encore, tout ce que la mauvaise chance contenait est épuisé, c’est évident, ils se déclarent satisfaits, ils sont sauvés, ils tiennent Dieu quitte. Il ne faut point trop se hâter de donner de ces reçus l’Inconnu,

      Le suroit débuta en tourbillon, Les naufragés n’ont jamais que des auxiliaires bourrus. La Matutina fut impétueusement traînée au large par ce qui lui restait d’agrès comme une morte par les cheveux. Cela ressembla à ces délivrances accordées par Tibère, à prix de viol. Le vent brutalisait ceux qu’il sauvait. Il leur rendait service avec fureur. Ce fut du secours sans pitié.

      L’épave, dans ce rudoiement libérateur, acheva de se disloquer.

      Des grêlons, gros et durs à charger un tromblon, criblaient le bâtiment. A tous les renversements du flot, ces grêlons roulaient sur le pont comme des billes. L’ourque, presque entre deux eaux, perdait toute forme sous les retombées de vagues et sous les effondrements d’écumes. Chacun dans le navire songeait à soi.

      Se cramponnait qui pouvait. Après chaque paquet de mer, on avait la surprise de se retrouver tous. Plusieurs avaient le visage déchiré par des éclats de bois.

      Heureusement le désespoir a les poings solides. Une main d’enfant dans l’effroi a une étreinte de géant. L’angoisse fait un étau avec des doigts de femme. Une jeune fille qui a peur enfoncerait ses ongles roses dans du fer. Ils s’accrochaient, se tenaient, se retenaient. Mais toutes les vagues leur apportaient l’épouvante du balaiement.

      Soudainement ils furent soulagés.

      XVI. DOUCEUR SUBITE DE L’ÉNIGME

      L’ouragan venait de s’arrêter court.

      Il n’y eut plus dans l’air ni suroit, ni noroit. Les clairons forcenés de l’espace se СКАЧАТЬ