Название: La chartreuse de Parme
Автор: Stendhal
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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– Monsieur, c’est la première fois que j’assiste à la bataille, dit-il enfin au maréchal des logis; mais ceci est-il une véritable bataille?
– Un peu. Mais vous, qui êtes-vous?
– Je suis frère de la femme d’un capitaine.
– Et comment l’appelez-vous, ce capitaine?
Notre héros fut terriblement embarrassé; il n’avait point prévu cette question. Par bonheur, le maréchal et l’escorte repartaient au galop. «Quel nom français dirai-je?» pensait-il. Enfin il se rappela le nom du maître de l’hôtel où il avait logé à Paris, il rapprocha son cheval de celui du maréchal des logis, et lui cria de toutes ses forces:
– Le capitaine Meunier!
L’autre entendant mal à cause du roulement du canon, lui répondit:
– Ah! le capitaine Teulier’? Eh bien! il a été tué.
Bravo! se dit Fabrice. Le capitaine Teulier; il faut faire l’affligé.
– Ah! mon Dieu! cria-t-il, et il prit une mine piteuse.
On était sorti du chemin en contrebas, on traversait un petit pré, on allait ventre à terre, les boulets arrivaient de nouveau, le maréchal se porta vers une division de cavalerie. L’escorte se trouvait au milieu de cadavres et de blessés; mais ce spectacle ne faisait déjà plus autant d’impression sur notre héros; il avait autre chose à penser.
Pendant que l’escorte était arrêtée, il aperçut la petite voiture d’une cantinière , et sa tendresse pour ce corps respectable l’emportant sur tout, il partit au galop pour la rejoindre.
– Restez donc, s…! lui cria le maréchal des logis.
Que peut-il me faire ici?» pensa Fabrice, et il continua de galoper vers la cantinière. En donnant de l’éperon à son cheval, il avait eu quelque espoir que c’était sa bonne cantinière du matin; les chevaux et les petites charrettes se ressemblaient fort, mais la propriétaire était tout autre, et notre héros lui trouva l’air fort méchant. Comme il l’abordait, Fabrice l’entendit qui disait:
– Il était pourtant bien bel homme!
Un fort vilain spectacle attendait là le nouveau soldat; on coupait la cuisse à un cuirassier, beau jeune homme de cinq pieds dix pouces. Fabrice ferma les yeux et but coup sur coup quatre verres d’eau-de-vie.
– Comme tu y vas, gringalet! s’écria la cantinière.
L’eau-de-vie lui donna une idée: «Il faut que j’achète la bienveillance de mes camarades les hussards de l’escorte.
– Donnez-moi le reste de la bouteille, dit-il à la vivandière.
– Mais, sais-tu, répondit-elle, que ce reste-là coûte dix francs, un jour comme aujourd’hui?
Comme il regagnait l’escorte au galop:
– Ah! tu nous rapportes la goutte! s’écria le maréchal des logis, c’est pour ça que tu désertais? Donne.
La bouteille circula; le dernier qui la prit la jeta en l’air après avoir bu.
– Merci, camarade! cria-t-il à Fabrice.
Tous les yeux le regardèrent avec bienveillance. Ces regards ôtèrent un poids de cent livres de dessus le coeur de Fabrice: c’était un de ces coeurs de fabrique trop fine qui ont besoin de l’amitié de ce qui les entoure’. Enfin il n’était plus mal vu de ses compagnons, il y avait liaison entre eux! Fabrice respira profondément, puis d’une voix libre, il dit au maréchal des logis:
– Et si le capitaine Teulier a été tué, où pourrai-je rejoindre ma soeur?
Il se croyait un petit Machiavel, de dire si bien Teulier au lieu de Meunier.
– C’est ce que vous saurez ce soir, lui répondit le maréchal des logis.
L’escorte repartit et se porta vers des divisions d’infanterie. Fabrice se sentait tout à fait enivré, il avait bu trop d’eau-de-vie, il roulait un peu sur sa selle: il se souvint fort à propos d’un mot que répétait le cocher de sa mère: «Quand on a levé le coude, il faut regarder entre les oreilles de son cheval, et faire comme fait le voisin. «Le maréchal s’arrêta longtemps auprès de plusieurs corps de cavalerie qu’il fit charger; mais pendant une heure ou deux notre héros n’eut guère la conscience de ce qui se passait autour de lui. Il se sentait fort las, et quand son cheval galopait il retombait sur la selle comme un morceau de plomb.
Tout à coup le maréchal des logis cria à ses hommes:
– Vous ne voyez donc pas l’Empereur, s…!
Sur-le-champ l’escorte cria vive l’Empereur! à tue-tête. On peut penser si notre héros regarda de tous ses yeux, mais il ne vit que des généraux qui galopaient, suivis, eux aussi, d’une escorte. Les longues crinières pendantes que portaient à leurs casques les dragons de la suite l’empêchèrent de distinguer les figures. «Ainsi, je n’ai pu voir l’Empereur sur un champ de bataille, à cause de ces maudits verres d’eau-de-vie!» Cette réflexion le réveilla tout à fait.
On redescendit dans un chemin rempli d’eau, les chevaux voulurent boire.
– C’est donc l’Empereur qui a passé là? dit-il à son voisin.
– Eh! certainement, celui qui n’avait pas d’habit brodé. Comment ne l’avez-vous pas vu? lui répondit le camarade avec bienveillance.
Fabrice eut grande envie de galoper après l’escorte de l’Empereur et de s’y incorporer. Quel bonheur de faire réellement la guerre à la suite de ce héros! C’était pour cela qu’il était venu en France. «J’en suis parfaitement le maître, se dit-il, car enfin je n’ai d’autre raison pour faire le service que je fais, que la volonté de mon cheval qui s’est mis à galoper pour suivre ces généraux.
Ce qui détermina Fabrice à rester, c’est que les hussards ses nouveaux camarades lui faisaient bonne mine; il commençait à se croire l’ami intime de tous les soldats avec lesquels il galopait depuis quelques heures. Il voyait entre eux et lui cette noble amitié des héros du Tasse et de l’Arioste. S’il se joignait à l’escorte de l’Empereur, il y aurait une nouvelle connaissance à faire; peut-être même on lui ferait la mine, car ces autres cavaliers étaient des dragons et lui portait l’uniforme de hussard ainsi que tout ce qui suivait le maréchal. La façon dont on le regardait maintenant mit notre héros au comble du bonheur; il eût fait tout au monde pour ses camarades, son âme et son esprit étaient dans les nues. Tout lui semblait avoir changé de face depuis qu’il était avec des amis, il mourait d’envie de faire des questions. «Mais je suis encore un peu ivre, se dit-il, il faut que je me souvienne de la geôlière. «Il remarqua en sortant du chemin creux que l’escorte n’était plus avec le maréchal Ney; le général qu’ils suivaient était grand, mince, et avait la figure sèche et l’oeil terrible.
Ce général n’était autre que le comte d’A…, le lieutenant Robert du 15 mai 1796. Quel bonheur il eût СКАЧАТЬ