Le comte de Monte Cristo. Alexandre Dumas
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Название: Le comte de Monte Cristo

Автор: Alexandre Dumas

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ visages que celui de ce geôlier impassible qui ne voulait point parler; il regrettait le bagne avec son costume infamant, sa chaîne au pied, sa flétrissure sur l’épaule. Au moins, les galériens étaient dans la société de leurs semblables, ils respiraient l’air, ils voyaient le ciel; les galériens étaient bien heureux.

      Il supplia un jour le geôlier de demander pour lui un compagnon, quel qu’il fût, ce compagnon dût-il être cet abbé fou dont il avait entendu parler. Sous l’écorce du geôlier, si rude qu’elle soit, il reste toujours un peu de l’homme. Celui-ci avait souvent, du fond du cœur, et quoique son visage n’en eût rien dit, plaint ce malheureux jeune homme, à qui la captivité était si dure; il transmit la demande du numéro 34 au gouverneur; mais celui-ci, prudent comme s’il eût été un homme politique, se figura que Dantès voulait ameuter les prisonniers, tramer quelque complot, s’aider d’un ami dans quelque tentative d’évasion, et il refusa.

      Dantès avait épuisé le cercle des ressources humaines. Comme nous avons dit que cela devait arriver, il se tourna alors vers Dieu.

      Toutes les idées pieuses éparses dans le monde, et que glanent les malheureux courbés par la destinée, vinrent alors rafraîchir son esprit; il se rappela les prières que lui avait apprises sa mère, et leur trouva un sens jadis ignoré de lui; car, pour l’homme heureux, la prière demeure un assemblage monotone et vide de sens, jusqu’au jour où la douleur vient expliquer à l’infortuné ce langage sublime à l’aide duquel il parle à Dieu.

      Il pria donc, non pas avec ferveur, mais avec rage. En priant tout haut, il ne s’effrayait plus de ses paroles; alors il tombait dans des espèces d’extases; il voyait Dieu éclatant à chaque mot qu’il prononçait; toutes les actions de sa vie humble et perdue, il les rapportait à la volonté de ce Dieu puissant, s’en faisait des leçons, se proposait des tâches à accomplir, et, à la fin de chaque prière, glissait le vœu intéressé que les hommes trouvent bien plus souvent moyen d’adresser aux hommes qu’à Dieu: Et pardonnez-nous nos offenses, comme nous les pardonnons à ceux qui nous ont offensés.

      Malgré ses prières ferventes, Dantès demeura prisonnier.

      Alors son esprit devint sombre, un nuage s’épaissit devant ses yeux. Dantès était un homme simple et sans éducation; le passé était resté pour lui couvert de ce voile sombre que soulève la science. Il ne pouvait, dans la solitude de son cachot et dans le désert de sa pensée, reconstruire les âges révolus, ramener les peuples éteints, rebâtir les villes antiques, que l’imagination grandit et poétise, et qui passent devant les yeux, gigantesques et éclairées par le feu du ciel, comme les tableaux babyloniens de Martinn; lui n’avait que son passé si court, son présent si sombre son avenir si douteux: dix-neuf ans de lumière à méditer peut-être dans une éternelle nuit! Aucune distraction ne pouvait donc lui venir en aide: son esprit énergique, et qui n’eût pas mieux aimé que de prendre son vol à travers les âges, était forcé de rester prisonnier comme un aigle dans une cage. Il se cramponnait alors à une idée, à celle de son bonheur détruit sans cause apparente et par une fatalité inouïe; il s’acharnait sur cette idée, la tournant, la retournant sur toutes les faces, et la dévorant pour ainsi dire à belles dents, comme dans l’enfer de Dante l’impitoyable Ugolin dévore le crâne de l’archevêque Roger. Dantès n’avait eu qu’une foi passagère, basée sur la puissance; il la perdit comme d’autres la perdent après le succès. Seulement, il n’avait pas profité.

      La rage succéda à l’ascétisme. Edmond lançait des blasphèmes qui faisaient reculer d’horreur le geôlier; il brisait son corps contre les murs de sa prison; il s’en prenait avec fureur à tout ce qui l’entourait, et surtout à lui-même, de la moindre contrariété que lui faisait éprouver un grain de sable, un fétu de paille, un souffle d’air. Alors cette lettre dénonciatrice qu’il avait vue, que lui avait montrée Villefort, qu’il avait touchée, lui revenait à l’esprit, chaque ligne flamboyait sur la muraille comme le Mane, Thecel, Pharès de Balthazar. Il se disait que c’était la haine des hommes et non la vengeance de Dieu qui l’avait plongé dans l’abîme où il était; il vouait ces hommes inconnus à tous les supplices dont son ardente imagination lui fournissait l’idée, et il trouvait encore que les plus terribles étaient trop doux et surtout trop courts pour eux; car après le supplice venait la mort; et dans la mort était, sinon le repos, du moins l’insensibilité qui lui ressemble.

      À force de se dire à lui-même, à propos de ses ennemis, que le calme était la mort, et qu’à celui qui veut punir cruellement il faut d’autres moyens que la mort, il tomba dans l’immobilité morne des idées de suicide; malheur à celui qui, sur la pente du malheur, s’arrête à ces sombres idées! C’est une de ces mers mortes qui s’étendent comme l’azur des flots purs, mais dans lesquelles le nageur sent de plus en plus s’engluer ses pieds dans une vase bitumineuse qui l’attire à elle, l’aspire, l’engloutit. Une fois pris ainsi, si le secours divin ne vient point à son aide, tout est fini, et chaque effort qu’il tente l’enfonce plus avant dans la mort.

      Cependant cet état d’agonie morale est moins terrible que la souffrance qui l’a précédé et que le châtiment qui le suivra peut-être; c’est une espèce de consolation vertigineuse qui vous montre le gouffre béant, mais au fond du gouffre le néant. Arrivé là, Edmond trouva quelque consolation dans cette idée; toutes ses douleurs, toutes ses souffrances, ce cortège de spectres qu’elles tramaient à leur suite, parurent s’envoler de ce coin de sa prison où l’ange de la mort pouvait poser son pied silencieux. Dantès regarda avec calme sa vie passée, avec terreur sa vie future, et choisit ce point milieu qui lui paraissait être un lieu d’asile.

      «Quelquefois, se disait-il alors, dans mes courses lointaines, quand j’étais encore un homme, et quand cet homme, libre et puissant, jetait à d’autres hommes des commandements qui étaient exécutés, j’ai vu le ciel se couvrir, la mer frémir et gronder, l’orage naître dans un coin du ciel, et comme un aigle gigantesque battre les deux horizons de ses deux ailes; alors je sentais que mon vaisseau n’était plus qu’un refuge impuissant, car mon vaisseau, léger comme une plume à la main d’un géant, tremblait et frissonnait lui-même. Bientôt, au bruit effroyable des lames, l’aspect des rochers tranchants m’annonçait la mort, et la mort m’épouvantait; je faisais tous mes efforts pour y échapper, et je réunissais toutes les forces de l’homme et toute l’intelligence du marin pour lutter avec Dieu!… C’est que j’étais heureux alors, c’est que revenir à la vie, c’était revenir au bonheur; c’est que cette mort, je ne l’avais pas appelée, je ne l’avais pas choisie; c’est que le sommeil enfin me paraissait dur sur ce lit d’algues et de cailloux; c’est que je m’indignais, moi qui me croyais une créature faite à l’image de Dieu de servir, après ma mort, de pâture aux goélands et aux vautours. Mais aujourd’hui c’est autre chose: j’ai perdu tout ce qui pouvait me faire aimer la vie, aujourd’hui la mort me sourit comme une nourrice à l’enfant qu’elle va bercer; mais aujourd’hui je meurs à ma guise, et je m’endors las et brisé, comme je m’endormais après un de ces soirs de désespoir et de rage pendant lesquels j’avais compté trois mille tours dans ma chambre, c’est-à-dire trente mille pas, c’est-à-dire à peu près dix lieues.»

      Dès que cette pensée eut germé dans l’esprit du jeune homme, il devint plus doux, plus souriant; il s’arrangea mieux de son lit dur et de son pain noir, mangea moins, ne dormit plus, et trouva à peu près supportable ce reste d’existence qu’il était sûr de laisser là quand il voudrait, comme on laisse un vêtement usé.

      Il y avait deux moyens de mourir: l’un était simple, il s’agissait d’attacher son mouchoir à un barreau de la fenêtre et de se pendre; l’autre consistait à faire semblant de manger et à se laisser mourir de faim. Le premier répugna fort à Dantès. Il avait été élevé dans l’horreur des pirates, gens que l’on pend aux vergues des bâtiments; la pendaison était donc pour lui une espèce de supplice infamant qu’il ne voulait pas СКАЧАТЬ