Bonne nuit, dit-il en me posant chaleureusement la main sur l'épaule, puissiez-vous être très heureux dans votre chasse ; j'ai besoin de la peau de l'ours que vous tuerez pour la mettre au pied de mon lit de camp.
D'accord", ai-je répondu.
Ma mère m'a tendu la main et m'a pris la mienne :
–Nous vous attendons plus tôt que prévu ; attention aux animaux !
Tant d'émotions avaient tourbillonné autour de moi au cours des dernières heures que j'avais du mal à les percevoir toutes, et il m'était impossible de faire face à cette situation étrange et difficile.
Marie menacée de mort ; promise ainsi en récompense de mon amour, par une absence terrible ; promise à condition de l'aimer moins ; moi obligé de modérer un amour si puissant, un amour à jamais possédé de tout mon être, sous peine de la voir disparaître de la terre comme une des beautés fugitives de mes rêveries, et d'avoir désormais à paraître ingrat et insensible peut-être à ses yeux, uniquement par une conduite que la nécessité et la raison me forçaient d'adopter ! Je ne pouvais plus entendre ses confidences d'une voix émue ; mes lèvres ne pouvaient plus toucher même l'extrémité d'une de ses tresses. A moi ou à la mort, entre la mort et moi, un pas de plus vers elle serait la perdre ; et la laisser pleurer dans l'abandon était une épreuve au-dessus de mes forces.
Lâche cœur ! tu n'as pas été capable de te laisser consumer par ce feu qui, mal caché, pouvait la consumer ? Où est-elle maintenant, maintenant que tu ne palpites plus ; maintenant que les jours et les années passent sur moi sans que je sache que je te possède ?
Exécutant mes ordres, Juan Ángel a frappé à la porte de ma chambre à l'aube.
–Comment se passe la matinée ? demandai-je.
–Mala, mon maître, il veut pleuvoir.
–Bien. Va à la montagne et dis à José de ne pas m'attendre aujourd'hui.
En ouvrant la fenêtre, je regrettais d'avoir envoyé le petit homme noir qui, en sifflant et en fredonnant des bambucos, s'apprêtait à pénétrer dans la première parcelle de forêt.
Un vent froid, hors saison, soufflait des montagnes, secouant les rosiers et balançant les saules, et détournant dans leur vol les quelques perroquets voyageurs. Tous les oiseaux, luxe du verger les matins joyeux, étaient silencieux, et seuls les pellars voltigeaient dans les prairies voisines, saluant de leur chant la triste journée d'hiver.
En peu de temps, les montagnes disparurent sous le voile cendré d'une forte pluie qui faisait déjà entendre son grondement croissant en traversant les bois. En moins d'une demi-heure, des ruisseaux troubles et tonitruants coulaient, peignant les meules de foin sur les pentes de l'autre côté de la rivière, qui, gonflée, tonnait avec colère, et que l'on pouvait voir dans les failles lointaines, jaunâtre, débordante et boueuse.
Chapitre XVII
Dix jours s'étaient écoulés depuis cette pénible conférence. Ne me sentant pas capable de me conformer aux désirs de mon père quant au nouveau genre de relations qu'il disait que je devais avoir avec Maria, et douloureusement préoccupé par la proposition de mariage faite par Charles, j'avais cherché toutes sortes de prétextes pour m'éloigner de la maison. Je passais ces jours-là, soit enfermé dans ma chambre, soit chez José, errant souvent à pied. Mes promenades avaient pour compagnons un livre que je n'arrivais pas à lire, mon fusil de chasse qui ne tirait jamais, et Mayo qui me fatiguait sans cesse. Tandis que moi, envahi par une profonde mélancolie, je laissais passer les heures caché dans les endroits les plus sauvages, lui essayait en vain de s'assoupir recroquevillé dans la litière de feuilles, d'où les fourmis le délogeaient ou les fourmis et les moustiques le faisaient bondir d'impatience. Quand le vieux se lassait de l'inaction et du silence, qu'il n'aimait pas malgré ses infirmités, il s'approchait de moi et, posant sa tête sur un de mes genoux, me regardait affectueusement, puis s'en allait m'attendre à quelques encablures sur le sentier qui menait à la maison ; Et dans son empressement à nous mettre en route, quand il m'avait fait suivre, il faisait même quelques sauts d'enthousiasme joyeux et juvénile, dans lesquels, outre qu'il oubliait son sang-froid et sa gravité sénile, il s'en tirait avec peu de succès.
Un matin, ma mère est entrée dans ma chambre et, s'asseyant à la tête du lit dont je n'étais pas encore sorti, elle m'a dit :
–Ce n'est pas possible : tu ne dois pas continuer à vivre ainsi ; je ne suis pas satisfait.
Comme je restais silencieux, il a continué :
–Ce que vous faites n'est pas ce que votre père a exigé ; c'est beaucoup plus ; et votre conduite est cruelle pour nous, et plus cruelle encore pour Maria. J'étais persuadée que tes fréquentes promenades avaient pour but d'aller chez Luisa, à cause de l'affection qu'on t'y porte ; mais Braulio, qui est venu hier soir, nous a fait savoir qu'il ne t'avait pas vue depuis cinq jours. Qu'est-ce qui te cause cette profonde tristesse, que tu ne peux maîtriser même dans les rares moments que tu passes en société avec la famille, et qui te fait rechercher sans cesse la solitude, comme si c'était déjà une gêne pour toi d'être avec nous ?
Ses yeux sont remplis de larmes.
Marie, madame, répondis-je, il doit être entièrement libre d'accepter ou de ne pas accepter le sort que Charles lui offre ; et moi, en tant qu'ami, je ne dois pas l'illusionner sur les espoirs qu'il doit à juste titre entretenir d'être accepté.
Je révélais ainsi, sans pouvoir m'en empêcher, la douleur la plus insupportable qui m'avait tourmenté depuis la nuit où j'avais entendu la proposition de messieurs de M***. Les pronostics funestes du médecin sur la maladie de Maria n'étaient rien pour moi avant cette proposition ; rien de la nécessité d'être séparé d'elle pendant de longues années.
Comment avez-vous pu imaginer une telle chose ? -Elle n'a dû voir votre ami que deux fois, une fois lorsqu'il était ici pour quelques heures, et une fois lorsque nous sommes allés rendre visite à sa famille.
–Mais, ma chère, il reste peu de temps pour que ce que j'ai pensé se justifie ou disparaisse. Il me semble que cela vaut la peine d'attendre.
–Vous êtes très injuste et vous regretterez de l'avoir été. Marie, par dignité et par devoir, sachant qu'elle se maîtrise mieux que vous, cache combien votre conduite la fait souffrir. J'ai peine à croire ce que je vois ; je suis étonnée d'entendre ce que vous venez de dire ; moi qui pensais vous donner une grande joie, et remédier à tout en vous faisant connaître ce que Mayn nous a dit hier en se séparant !
Dis-le, dis-le", suppliai-je en me redressant.
–Quel est l'intérêt ?
Ne sera-t-elle pas toujours… ne sera-t-elle pas toujours ma sœur ?
Ou bien un homme peut-il être un gentleman et faire ce que vous faites ? Non, non ; ce n'est pas à un de mes fils de faire cela ! Ta soeur ! et tu oublies que tu le dis à celle qui te connaît mieux que tu ne te connais toi-même ! Ta soeur ! et je sais qu'elle t'a aimé depuis qu'elle vous a couchés tous deux sur mes genoux ! et c'est maintenant que tu le crois ? maintenant que je suis venu t'en parler, effrayé par les souffrances que la pauvre petite essaie inutilement de me cacher.
–Je ne voudrais pas, un seul instant, vous donner un motif de mécontentement tel que vous me le faites connaître. Dites-moi ce que je dois faire pour remédier à ce que vous avez trouvé de répréhensible dans ma conduite.
–Tu СКАЧАТЬ