Название: Reborn
Автор: Miriam Mastrovito
Издательство: Tektime S.r.l.s.
Жанр: Современная зарубежная литература
isbn: 9788835428572
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«Aide-moi à descendre» croassa une voix rendue rauque par la fumée de cigarette.
Iuri ne se le fit pas répéter. «Bonjour» sourit-il en prêtant son bras à Santino pour qu’il puisse sortir de la niche funéraire. À peine au sol, celui-ci s’étira, ôta la poussière de son pantalon usé et rendit enfin son salut à son ami par un sourire complètement édenté.
«Alors, dis-moi, quelqu’un a cassé sa vie cette nuit?» Il avait toujours hâte de s’informer, même si la question qu’il avait en tête était tout autre en réalité. Ce qu’il voulait vraiment savoir n’était pas tant qui était mort, mais bien si Antonietta Carenza, épouse Natale, était partie vers une vie meilleure. La dame en question était la femme de monsieur Felice et propriétaire légitime du caveau que Sante avait transformé en chambre à coucher. Son départ lui vaudrait l’expulsion, raison pour laquelle il priait pour qu’elle reste en vie le plus longtemps possible. Elle avait fêté ses quatre-vingt-quinze ans quelques mois auparavant, un peu plus que lui. Elle ne quittait plus sa maison depuis qu’une méchante maladie l’avait clouée sur un fauteuil roulant et venait encore moins au cimetière mais le bruit courait que, tout bien considéré, elle avait encore de l’énergie à revendre. Après tout, Santino avait de bonnes raisons d’espérer partir avant qu’elle, ou quelqu’un pour elle, ne vienne réclamer sa place.
«Cette nuit, il n’y a que le vieux propriétaire de la boulangerie sur l’avenue qui est mort» le rassura Iuri.
«Paix à son âme, c’était une bonne personne» commenta le vieux qui, après une vie de vagabondage, connaissait pratiquement tout le monde en ville.
«De toute façon» ajouta-t-il immédiatement, c’est mieux ainsi. Il prit une cigarette déjà à moitié fumée dans la poche de sa veste usée. «Tu as une allumette?» demanda-t-il à son ami. Celui-ci lui tendit tout un paquet.
«Je les ai toutes achetées pour toi, dit-il, mais j’ai oublié mon briquet, tu devras donc allumer pour moi.» Sur ces mots, il prit un paquet de Lucky Strike dans la poche de son pantalon et ils empruntèrent les escaliers ensemble. Ils n’allumèrent la cigarette de l’un et de l’autre qu’une fois à ciel ouvert. C’est alors que Santino put observer Iuri à la lumière du jour. «Tu n’as pas bonne mine aujourd’hui, constata-t-il entre deux quintes de toux. Quelque chose ne vas pas comme tu veux?»
«J’ai peu dormi» répondit l’autre en haussant les épaules. En réalité, il était profondément perturbé par sa rencontre nocturne mais il n’était pas prêt à en parler avec quelqu’un.
Sante comprit et s’en alla pour se rendre à l’inhumation de Rosetta.
Malgré son âge et les milliers d’épreuves qui avaient jalonné son existence, il était encore en forme et voulait gagner, d’une façon ou l’autre, le plat chaud et l’hospitalité que lui offrait quotidiennement le gardien. Même si la loi n’autorisait pas un sans-abri à loger dans le cimetière, Filippo avait toujours fermé l’œil, voire même les deux à l’occasion. La présence du clochard, pour sûr, ne pouvait pas déranger les défunts et avoir un peu de compagnie ne lui déplaisait pas. Il le laissait dormir là et s’assurait qu’il ne reste jamais le ventre vide; en échange, il acceptait volontiers un peu d’aide.
Quand il fallait enterrer quelqu’un, Santino était toujours prêt. Qu’il faille jeter quelques pelletées de terre dans une fosse ou poser quelques briques pour refermer une niche dans un mur, il était là, content de collaborer. Certaines personnes méfiantes soupçonnaient qu’il y prenait goût, qu’il s’était fixé comme objectif d’enterrer toute la ville. La vérité était que, après avoir passé une vie entière à se sentir inutile pour les vivants, il éprouvait un grand soulagement à l’idée de pouvoir se rendre utile, au moins auprès des morts.
Iuri n’aimait pas beaucoup les enterrements, ils signaient le moment définitif de l’adieu, chargeant l’air d’émotions quasi intolérables. Y être présent ne rentrait pas strictement dans ses attributions, mais il essayait toujours de rester dans les parages au cas où ses collègues auraient besoin d’un coup de main.
Filippo était déjà sur place. Il portait des bottes en caoutchouc pour éviter de salir son pantalon et l’humidité faisait friser ses cheveux. La fosse qui accueillerait Rosetta avait été creusée le jour avant, la dernière supervision lui incombait.
«Elle est grande, hein?» commenta-t-il en se tournant vers ses amis. On dirait qu’elle peut contenir deux cercueils.
«À mon avis, c’est Rosetta qui a fait pleuvoir ce matin, répondit Santino. Elle ne voulait bas finir sous terre et s’est vengée en envoyant de la pluie pour déranger.»
Iuri eut un pincement au cœur en pensant à ce corps obèse qui avait causé pas mal de maux de tête à tout le personnel du bureau, sans exception. Habituellement, il préparait les corps seul, dans l’intimité d’une pièce fermée, mais l’habillage de Rosetta avait exigé l’intervention de deux autres personnes. Il avait fallu six bras pour la soulever et la tourner, deux coussins pour atténuer la différence de niveau entre la tête et le ventre anormalement élevé qui la cachait comme une montagne… Et un changement de cercueil à la dernière minute parce que le premier s’était révélé insuffisant pour la contenir. La famille s’était déclarée prête à payer un montant démesuré pour qu’elle puisse être enterrée selon ses dernières volontés, mais il n’y avait pas de caveau à sa taille, l’administration communale n’en ayant pas prévu. Ils avaient donc dû se contenter d’un emplacement souterrain. Ce n’était pas vrai que la mort rend tous égaux, constata Iuri avec amertume. À plus d’un titre, la différence entrait aussi dans les cimetières.
Il se tint à l’écart durant la cérémonie, heureux de ne pas devoir intervenir. De temps en temps, il tournait les yeux vers des tombes plus loin. Normalement, elle ne venait que le jeudi après-midi et le dimanche voir ses proches; Iuri était certain de ne pas la voir arriver un mardi matin à cette heure, mais il ne put éviter d’espérer un changement de programme. La rencontre avec Ogma avait accentué en lui l’urgence de la revoir, de s’assurer qu’elle allait bien. Il se repromit de passer à sa boutique dès que l’enterrement serait terminé.
Comme toujours, il ferait semblant de regarder les poupées en vitrine, volant quelques images d’Elga en train de travailler, espérant calmer un minimum sa soif avant d’être pris en flagrant délit et d’être chassé. Il se contenterait de petites gouttes, sûr que les choses changeraient un jour. Il boirait alors jusqu’à tremper son âme.
Chapitre 6
Tears have turned to ice [5]
(tears from your eyes). No one here but I (only dreams survive). Nothing can survive (thought you’d never die).
She - Fields of the Nephilim
Un couloir illuminé par la faible lumière de dizaines de bougies. Elga avança, accompagnée des flammes vacillantes dansant sur les murs. Au loin, elle pouvait apercevoir un cercueil blanc posé au centre d’une chapelle ardente. СКАЧАТЬ