La 628-E8. Octave Mirbeau
Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу La 628-E8 - Octave Mirbeau страница 14

Название: La 628-E8

Автор: Octave Mirbeau

Издательство: Bookwire

Жанр: Книги о Путешествиях

Серия:

isbn: 4064066078003

isbn:

СКАЧАТЬ bien sûr que je donne tort à Ferdinand... Ces choses-là, ça se fait pas... Mieux vaut être cocu... je lui ai dit... Il s'est entêté... Tout de même, je pouvais pas refuser ce service à un copain... Et puis, on n'est pas poires comme ces gens-là!

      L'air piquait; le matin était exquis, odorant... Un gros bateau remontait la Meuse, dans un clapotement rouge... Nous marchions vivement... Peu à peu, je sentais mon indignation faiblir. Quand nous nous arrêtâmes, devant la douane, les mauvais instincts, qui travaillent l'âme de l'automobiliste, avaient fait leur œuvre. Et c'est avec une sorte de joie méchante, de plaisir barbare, que j'aimai à me représenter, dans la cour de l'hôtel, groupée autour de la machine silencieuse, cette famille désemparée, à qui le patron de l'hôtel continuait de dire, sans doute:

      —Il y a de bien belles promenades, dans les environs!...

       Table des matières

      Il y a de quoi s'irriter d'avoir roulé, depuis la frontière, sur d'infâmes pavés, sur d'immenses vagues de pavés, d'avoir traversé le Borinage noir et fumant au soleil, avec des éclats de métaux, et qui, toutes les nuits, incendie la nuit de ses bouillonnements de forge et de ses flammes d'enfer, pour n'aboutir qu'à cette ville si parfaitement inutile, si complètement parodique: Bruxelles.

      Bruxelles!

      Vraiment, il est insupportable, et même un peu humiliant de se sentir dans cette capitale des sociétés de tramways du monde entier, reine de l'industrie des asperges précoces, des endives amères et des raisins de serre sans goût, quand Bruges en dentelles, Liège en acier, Louvain en prières, Gand d'autrefois, avec ses rues si anciennes, ses pignons peints, ses toits coloriés et tout ce que disent les façades de ses églises, tout ce que chuchotent les vieux murs au bord du canal; quand les formidables quais d'Anvers, Mons où grouillent les gueules farouches, Charleroi et ses montagnes de crassiers que franchissent les petits chemins de fer aériens; Furne où les processionnaires du Saint-Sang défilent, portant des croix de fer, lourdes comme leurs péchés, quand tout ce pittoresque, tout cet art, tout ce mouvement tragique du travail, tout ce tumulte de la Meuse et de l'Escaut, tout ce silence mortuaire des béguinages, tous ces souvenirs de kermesses et de massacres, ne sont qu'à quelques tours de pneus d'ici.

      Et justement Bruxelles!

      Enfin, j'y suis... Il faut bien que j'y reste, ne fût-ce que pour panser mes côtes meurtries et mes reins brisés par tant de ressauts et de cahots, sur ces routes de supplice...

      Après tout, on peut aimer Bruxelles. Il n'y a là rien d'absolument déshonorant.

      Je sais des gens, de pauvres gens, des gens comme tout le monde, qui y vivent heureux, du moins qui croient y vivre heureux, et c'est tout un.

      J'ai conté, jadis, je crois, l'histoire de cet ami, interne dans une maison de fous en province, qui, de sa chambre, n'ayant pour spectacle que les casernes, à droite; à gauche, la prison et une usine de produits chimiques; en face, l'hôpital et le lycée; rien que de la pierre grise, des chemins de ronde, des préaux nus, des cours sans verdure, des fenêtres grillées, me montrait, avec attendrissement, au-dessus d'un mur, un petit cerisier tortu, malade, la seule chose qui fût à peine vivante, au milieu de ce paysage de damnation, et me disait:

      —Regarde, mon vieux... On est bien ici, hein?... C'est tout à fait la campagne.

      Il y a des gens qui croient que Bruxelles, c'est tout à fait la ville.

      J'en sais même qui voudraient y vivre, qui regrettent de ne pas y vivre, par exemple ces gais notaires de nos provinces économes, ces financiers bons enfants de la rue Lepelletier qui, actuellement, au Dépôt, à Gaillon, à Poissy, à Clairvaux, se reprochent amèrement de n'avoir pas su mettre au point—au point légal—ces dangereuses opérations de l'abus de confiance et du faux. Mais l'espèce en devient de plus en plus rare. Et depuis la réforme du régime des prisons, préfèrent-ils à Bruxelles ce Fresnes humanitaire, où le confort et l'hygiène ne sont pas illusoires, où le travail semble récréatif et moralisateur, où le modem style des cellules, des préaux, des parloirs, est supportable, sobre, et ne donne pas de cauchemars: la première prison où l'on cause.

      On peut ne pas aimer Bruxelles. C'est d'ailleurs le cas de beaucoup de Bruxellois et non des moindres.

      Voyez le roi Léopold qui n'y est jamais, qui multiplie les occasions de n'y jamais rester, qui est partout, en France, en Italie, en Suisse, en Allemagne, en Angleterre, qui est en chemin de fer, en yacht, en automobile, mais jamais en Belgique.

      —C'est ainsi, confessait-il gaiement, un soir d'Élysée Palace, à un de mes amis, lequel sait parler aux rois, c'est ainsi que j'ai pu garder la vivacité de mon esprit, la sûreté de mon goût, et cette jeunesse qui impressionne tant les femmes... Et puis, que voulez-vous?... J'ai de si grosses affaires, dans tant de pays...

      —Même en Belgique, sire...

      —Oui... je sais bien... faisait-il en hochant la tête... en Belgique, j'ai un peuple... Mais j'ai aussi, ailleurs, une fortune énorme, qui me cause beaucoup de tracas... Il faut bien que je l'administre...

      Voyez tous les poètes, tous les écrivains, tous les artistes bruxellois et ixellois qui, dès l'âge le plus tendre, en cohortes serrées, s'empressent de déserter leur capitale, et s'en viennent à Paris, afin, sans doute, d'y apporter un peu de cet accent savoureux qui manque encore à notre littérature, et d'y gagner rapidement cette consécration décorative et lucrative qui manque tant à la leur...

      Et comme ils ont raison.

      Ils ont raison, car presque tout me paraît ridicule à Bruxelles, me donne et leur donne envie de rire, mais d'un rire terne, d'un rire sans éclats, de ce rire glacial, douloureux qui rend tout à coup si triste, si triste, triste comme son ciel d'hiver, ses boulevards circulaires, les livres de M. Edmond Picard, les poèmes de M. Ivan Gilkin, les couvertures de M. Deman, les meubles de M. Vandevelde.

      Pourtant, Bruxelles est comique. Il n'y a pas à dire, il est extrêmement comique, n'est-ce pas, cher monsieur Camille Lemonnier, qui fûtes, tour à tour, avec une ardeur égale et avec un égal bonheur, Alfred de Musset, Byron, Victor Hugo, Émile Zola, Chateaubriand, Edgar Poe, Ruskin, tous les préraphaélites, tous les romantiques, tous les naturalistes, tous les symbolistes, tous les impressionnistes, et qui, aujourd'hui, après tant de gloires différentes et tant d'universels succès, mettez vos vieux jours et vos toujours jeunes œuvres sous la protection du naturisme, et de son jeune chef, M. Saint-Georges de Bouhélier?

      Au temps de sa splendeur, au temps où les ducs de Bourgogne y étalaient leur luxe barbare et magnifique, où les infants et les archiducs y commandaient pour le compte de l'Empereur ou du roi d'Espagne, Bruxelles fut la ville éclatante de drap d'or, de velours, de soies, de fourrures, la poétique et amoureuse ville des dentelles, qui sont le luxe le plus joliment féminin, l'art le plus exquisement valet de la sensualité. Ce fut la capitale du bien vivre, du bien boire, où bourgeois cossus, riches marchands, ribaudes étoffées, s'amusaient grassement et cognaient leurs danses titubantes aux murs des rues étroites, où les étrangers les plus opulents se sentaient pauvres et dénués devant tant de somptuosités et tant de ribotes...

      De cette vie pittoresque et forcenée il ne demeure pour témoins que la Maison de ville, trop regrattée, trop redorée, Sainte-Gudule au nom joli, mais dont pas une femme ne voudrait pour patronne, le Manneken-Piss, tristement anachronique, et quelques ruelles aux СКАЧАТЬ