Название: La Nation canadienne
Автор: Ch. Gailly de Taurines
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066081881
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Note 10: (retour) Ces seigneuries avaient été concédées avant Colbert. Il n'inventa pas le système, mais le perfectionna et l'étendit.
Si la noblesse n'était pas une condition nécessaire pour obtenir une seigneurie, elle pouvait par contre devenir la récompense du zèle déployé dans la culture et dans la mise en valeur des terres, et nous trouvons au Canada plusieurs exemples de ces anoblissements11. Les motifs invoqués dans les lettres de noblesse accordées entre autres au sieur Aubert en 1693 sont: «les avantages qu'il a procurés au commerce du Canada, depuis l'année 1655 qu'il y est établi..., qu'il a même employé des sommes très considérables pour le bien et l'augmentation de la colonie, et particulièrement pour le défrichement et la culture d'une grande étendue de terres en divers établissements séparés, et la construction de plusieurs belles maisons et autres édifices12...».
Note 11: (retour) : On peut citer les Boucher de Boucherville, les Le Moyne, les Aubert de Gaspé, familles encore honorablement représentées au Canada.
Note 12: (retour) Lettres d'anoblissement du sieur Aubert de la Chesnaie, citées par Casgrain, Biographies canadiennes.
L'intendant Talon avait même proposé de récompenser ces services coloniaux, non seulement par des lettres de noblesse, mais, pour les hommes les plus marquants et les plus dignes, par des titres. Il écrivait à Colbert en 1667: «Afin de concourir par les faits aussi bien que par les conseils à la colonisation du Canada, j'ai donné moi-même l'exemple en achetant une certaine étendue de terrain couverte de bois. Je me propose de l'étendre encore de manière à pouvoir y établir plusieurs hameaux; il est situé dans le voisinage de Québec et pourra être utile à cette ville. On pourrait doter cet établissement d'un titre nobiliaire si Sa Majesté y consentait, et on pourrait même annexer à ce fief, avec les noms qui pourront lui convenir, les trois villages que je désirerais y créer. On arriverait ainsi, en commençant par mon exemple, à faire surgir une certaine émulation parmi les officiers et les plus riches colons à s'employer avec zèle à la colonisation de leurs terres, dans l'espoir d'en être récompensés par un titre.
«Vous savez que M. Berthelot m'a autorisé, jusqu'à la concurrence de 10,000 livres, à faire établir ici une ferme pour son compte. D'autres personnes de France m'ont adressé de pareilles demandes, et la création de titres que je propose serait un moyen facile de faire progresser la colonie13.»
Note 13: (retour) Lettre de Talon à Colbert, 10 novembre 1667, citée par Rameau, Acadiens et Canadiens, 2e part., p. 286.
Voici la réponse de Colbert: «Sur le compte que j'ai eu l'honneur de rendre au Roi du défrichement considérable que vous avez fait d'une terre au Canada, Sa Majesté a estimé à propos de l'ériger en baronnie, et j'en ai expédié suivant ses ordres les lettres patentes... Je ne doute pas que cette marque d'honneur ne convie non seulement tous les officiers et habitants du pays qui sont riches et accommodés, mais même les sujets du Roi de l'ancienne France, à entreprendre de pareils défrichements et à pousser ceux qui sont commencés, dans la vue de recevoir de pareilles grâces de Sa Majesté. C'est à quoi il est bien important que vous les excitiez fortement en poussant encore plus avant celui que vous avez fait.» Dépêche de Colbert à Talon, 11 février 1671. (P. Clément, Correspondance administrative de Colbert.)
La concession demandée par Talon lui avait été accordée. Elle porta d'abord le nom des Islets, avec le titre de Baronnie, puis celui d'Orsainville, avec celui de Comté, et c'est là qu'il avait établi ces villages modèles de Charlesbourg, Bourg-Royal et la Petite-Auvergne.
Il ne paraît pas qu'il ait été accordé d'autres seigneuries titrées. On continua seulement à concéder de simples seigneuries, soit à des gentilshommes, soit à des bourgeois. Talon, en faisant cette proposition, n'agissait d'ailleurs qu'en vue du bien de la colonie, et croyait donner un exemple utile, sans aucune arrière-pensée de vanité. Vanité d'ailleurs qui eût été bien aveugle, car le nom de Talon, porté par de célèbres magistrats, était aussi respecté, aussi illustre même, que celui d'Orsainville était obscur et nouveau. En quittant en 1672 ses fonctions d'intendant du Canada, Talon abandonna son comté d'Orsainville, qui put être concédé de nouveau aux religieuses de l'hôpital de Québec.
Outre qu'il favorisait l'émigration de la classe riche, le système seigneurial avait encore, dans la colonie même, cet avantage d'intéresser d'une façon puissante le seigneur au peuplement et à la mise en culture de ses terres.
Tous les avantages que le seigneur pouvait retirer de sa seigneurie étaient subordonnés à l'établissement et même à la réussite de ses censitaires. C'est gratuitement, en effet, qu'il devait leur concéder les lots qu'il taillait dans son domaine; son principal revenu consistait seulement en droits de mouture dans le moulin banal qu'il était obligé de construire. Ainsi, pas de récolte chez le censitaire, point de revenus chez le seigneur; la richesse de l'un dépend de la prospérité de l'autre. Mais pour que de son côté le censitaire n'ait pas la tentation de laisser ses terres incultes, il doit, tant qu'il les occupe, payer au seigneur une légère redevance annuelle.
Les obligations imposées par la loi au seigneur étaient rigoureusement observées. S'il refusait ou négligeait de concéder ses terres, l'intendant était autorisé à le faire d'office, par un arrêt dont l'expédition devenait un titre de propriété pour le censitaire. Un arrêt de 1711 va même plus loin: il ordonne la confiscation des seigneuries dont les terres ne seraient pas concédées dans l'espace de deux années14.
Note 14: (retour) Voy. Turcotte, le Canada sous l'Union, t. II, p. 245. Québec, 1871, 2 vol. in-18.
La construction du moulin banal était un devoir tout aussi strictement exigé; et si le seigneur oubliait de s'y conformer, il s'exposait, d'après un édit de 1686, à voir son droit de banalité éteint au bout d'une année15.
Note 15: (retour) Arrêt du 4 juin 1686: «Le Roi étant en son conseil, ayant été informé que la plupart des seigneurs qui possèdent des fiefs dans son pays de la Nouvelle-France négligent de bâtir des moulins banaux nécessaires pour la subsistance des habitants dudit pays, et voulant pourvoir à un défaut si préjudiciable à l'entretien de la colonie, Sa Majesté étant en son conseil, a ordonné et ordonne que tous les seigneurs qui possèdent des fiefs dans l'étendue dudit pays de la Nouvelle-France seront tenus d'y faire construire des moulins banaux dans le temps d'une année après la publication du présent arrêt; et ledit temps passé faute par eux d'y avoir satisfait, permet Sa Majesté à tous particuliers de quelque qualité et condition qu'ils soient, de bâtir lesdits moulins leur en attribuant à cette fin le droit de banalité, faisant défense à toute personne de les y troubler.» (Cité par Lareau, Histoire du droit canadien, t. I, p. 191. Montréal, 1889, 2 vol. in-8º.)
Le seigneur canadien était loin de jouir de privilèges exorbitants. La somme de ses devoirs était au moins équivalente СКАЧАТЬ