Mon frère Yves. Pierre Loti
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Название: Mon frère Yves

Автор: Pierre Loti

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

Серия:

isbn: 4064066085872

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СКАЧАТЬ d'or, et des convoitises terribles bouillonnaient dans leur sang.

      Yves, lui aussi, songeait un peu à ces femmes qui les attendaient dans Brest, et parmi lesquelles tout à l'heure on pourrait choisir. Mais c'est égal, lui seul était triste. Jamais tant de pensées à la fois n'avaient troublé sa tête de pauvre abandonné.

      Il avait bien eu de ces mélancolies quelquefois, pendant le silence des nuits de la mer; mais alors le retour lui apparaissait de là-bas sous des couleurs toutes dorées. Et c'était aujourd'hui, ce retour, et au contraire son cœur se serrait maintenant plus que jamais. Alors il ne comprenait pas, ayant l'habitude, comme les simples et les enfants, de subir ses impressions sans en démêler le sens.

      La tête tournée contre le vent, sans souci de l'eau qui ruisselait sur son col bleu, il était resté debout, soutenu par le groupe des marins qui se pressait contre lui.

      Toutes ces côtes de Brest qui se dessinaient en contours vagues à travers les voiles de la pluie, lui renvoyaient des souvenirs de ses années de mousse, passées là sur cette grande rade brumeuse, à regretter sa mère.... Ce passé était rude, et, pour la première fois de sa vie, il songeait à ce que pourrait bien être l'avenir.

      Sa mère!... C'était pourtant vrai que, depuis tantôt deux ans, il ne lui avait pas écrit. Mais les matelots font ainsi, et, malgré tout, ils les aiment bien, leurs mères! C'est la coutume: on disparaît pendant des années, et puis, un bienheureux jour, on revient au village sans prévenir, avec des galons sur sa manche, rapportant beaucoup d'argent gagné à la peine, ramenant la joie et l'aisance au pauvre logis abandonné.

      Ils filaient toujours sous la pluie glacée, sautant sur les lames grises, poursuivis par des sifflements de vent et de grands bruits d'eau.

      Yves songeait à beaucoup de choses, et ses yeux fixes ne regardaient plus. L'image de sa mère avait pris tout à coup une douceur infinie; il sentait qu'elle était là tout près, dans un petit village du pays breton, sous ce même crépuscule d'hiver qui l'enveloppait, lui; encore deux ou trois jours, et, avec une grande joie, il irait la surprendre et l'embrasser.

      Les secousses de la mer, la vitesse et le vent, rendaient incohérentes ses pensées qui changeaient. Maintenant il s'inquiétait de retrouver son pays sous un jour si sombre. Là-bas, il s'était habitué à cette chaleur et à cette limpidité bleue des tropiques, et, ici, il semblait qu'il y eût un suaire jetant une nuit sinistre sur le monde.

      Et puis aussi il se disait qu'il ne voulait plus boire, non pas que ce fût bien mal après tout, et, d'ailleurs, c'était la coutume pour les marins bretons; mais il me l'avait promis d'abord, et ensuite, à vingt-quatre ans, on est un grand garçon revenu de beaucoup de plaisirs, et il semble qu'on sente le besoin de devenir un peu plus sage.

      Alors il pensait aux airs étonnés qu'auraient les autres à bord, surtout Barrada, son grand ami, en le voyant rentrer demain matin, debout et marchant droit. À cette idée drôle, on voyait tout à coup passer sur sa figure mâle et grave un sourire d'enfant.

      Ils étaient arrivés presque sous le château de Brest, et, à l'abri des énormes masses de granit, il se fit brusquement du calme. La chaloupe ne dansait plus; elle allait tranquillement sous la pluie; ses voiles étaient amenées, et les hommes habillés de toile cirée jaune la menaient à coups cadencés de leurs grands avirons.

      Devant eux s'ouvrait cette baie profonde et noire qui est le port de guerre; sur les quais, il y avait des alignements de canons et de choses maritimes à l'air formidable. On ne voyait partout que de hautes et interminables constructions de granit, toutes pareilles, surplombant l'eau noire et s'étageant les unes par-dessus les autres avec des rangées symétriques de petites portes et de petites fenêtres. Au-dessus encore, les premières maisons de Brest et de recouvrance montraient leurs toits mouillés, d'où sortaient de petites fumées blanches; elles criaient leur misère humide et froide, et le vent s'engouffrait partout avec un grand bruit triste.

      La nuit tombait tout à fait et les petites flammes du gaz commençaient à piquer de brillants jaunes ces amoncellements de choses grises. Les matelots entendaient déjà les roulements des voitures et les bruits de la ville qui leur arrivaient d'en haut, par-dessus l'arsenal désert, avec les chants des ivrognes.

      Yves, par prudence, avait confié à bord, à son ami Barrada, tout son argent, qu'il destinait à sa mère, gardant seulement dans sa poche cinquante francs pour sa nuit.

       Table des matières

      «Et mon mari aussi, Madame Quémeneur, quand il est soûl, tout le temps il dort.

      —Vous faites votre petit tour aussi, Madame Kervella?

      —Et j'attends mon mari, moi aussi donc, qui est arrivé aujourd'hui sur le Catinat.

      —Et le mien, Madame Kerdoncuff, le jour qu'il était revenu de la Chine, il avait dormi pendant deux jours; et moi aussi donc, je m'étais soûlée, madame Kerdoncuff. Oh! comme j'ai eu honte aussi! Et ma fille aussi donc, elle était tombée dans les escaliers!»

      Avec l'accent chantant et cadencé de Brest, tout cela se croise sous les vieux parapluies retournés par le vent, entre des femmes en waterproof et en coiffe pointue de mousseline, qui attendent là-haut, à l'entrée des grands escaliers de granit.

      Leurs maris sont revenus sur ce même bâtiment qui a ramené Yves, et elles sont là postées, soutenues déjà par quelque peu d'eau-de-vie, elles font le guet, l'œil moitié égrillard, moitié attendri.

      Ces vieux marins qu'elles attendent étaient jadis peut-être de braves gabiers durs à la peine; et puis, gangrenés par les séjours dans Brest et l'ivrognerie, ils ont épousé ces créatures et sont tombés dans les bas-fonds sordides de la ville.

      Derrière ces dames, il y a d'autres groupes encore, où la vue se repose: des jeunes femmes qui se tiennent dignes, vraies femmes de marins celles-ci, recueillies dans la joie de revoir leur fiancé ou leur mari, et regardant avec anxiété dans ce grand trou béant du port, par où les désirés vont venir. Il y a des mères, arrivées des villages, ayant mis leur beau costume breton des fêtes, la grande coiffe et la robe de drap noir à broderies de soie; la pluie les gâte pourtant, ces belles hardes qu'on ne renouvelle pas deux fois dans la vie; mais il faut bien faire honneur à ce fils qu'on va embrasser tout à l'heure devant les autres.

      «Voilà ceux du Magicien qui entrent dans le port, Madame Kerdoncuff!

      —Et voilà ceux du Catinat aussi donc! Ils se suivent tous les deux, Madame Quémeneur!»

      En bas, les canots accostent, tout au fond, sur les quais noirs, et ceux qui sont attendus montent les premiers.

      D'abord les maris de ces dames, place aux anciens, qui passent devant! Le goudron, le vent, le hâle, l'eau-de-vie, leur ont composé des minois chiffonnés de singes.... Et on s'en va, bras dessus bras dessous, du côté de Recouvrance, dans quelque vieille rue sombre aux hautes maisons de granit; tout à l'heure, on montera dans une chambre humide qui sent l'égout et le moisi de pauvre, où sur les meubles il y a des coquillages dans de la poussière et des bouteilles pêle-mêle avec des chinoiseries. Et, grâce à l'alcool acheté au cabaret d'en bas, on trouvera l'oubli de cette séparation cruelle СКАЧАТЬ