Anie. Hector Malot
Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу Anie - Hector Malot страница 3

Название: Anie

Автор: Hector Malot

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

Серия:

isbn: 4064066089573

isbn:

СКАЧАТЬ instantanément, au silence succéda un brouhaha de voix et un tapage de pas, que dominait le chant du coq, poussé à plein gosier par l'employé chargé de la correspondance.

      — Taisez-vous donc, monsieur Belmanières, dit le caissier en venant sur le seuil de la pièce qu'il occupait seul, on ne s'entend pas.

      — Tant mieux pour vous.

      — Parce que ? demanda le caissier qui était un personnage grave, mais simple et bon enfant.

      — Parce que, mon cher monsieur Morisette, si vous dîtes des bêtises, comme cela vous arrive quelquefois, on ne se fichera pas de vous.

      Morisette resta un moment interloqué, se demandant évidemment s'il convenait de se fâcher, et cherchant une réplique.

      — Ah ! que vous êtes vraiment le bien nommé, dit-il enfin après un temps assez long de réflexion.

      C'était précisément parce qu'il s'appelait Belmanières que l'employé de la correspondance affectait l'insolence avec ses camarades, cherchant en toute occasion et sans motif à les blesser, afin qu'ils n'eussent pas la pensée de faire allusion à son nom, dont le ridicule ne lui laissait pas une minute de sécurité ; un autre que lui fût peut-être arrivé à ce résultat avec de la douceur et de l'adresse, mais étant naturellement grincheux, malveillant et brutal, il n'avait trouvé comme moyen de se protéger que la grossièreté ; la réplique du caissier l'exaspéra d'autant plus qu'elle fut saluée par un éclat de rire général auquel Spring seul ne prit pas part.

      Mais l'amitié ou la bienveillance n'était pour rien dans cette abstention, et si Spring ne riait pas comme ses camarades de la réponse de Morisette, et surtout de la mine furieuse de Belmanières, c'est qu'il était absorbé dans une besogne dont rien ne pouvait le distraire. A peine le patron avait-il été emballé dans l'omnibus, comme disait Barnabé, que Spring, ouvrant vivement un tiroir de son bureau, en avait tiré tout un attirail de cuisine : une lampe à alcool, un petit plat en fer battu, une fiole d'huile, du sel, du poivre, une côtelette de porc frais enveloppée dans du papier et un morceau de pain ; la lampe allumée, il avait posé dessus son plat après avoir versé dedans un peu d'huile, et maintenant il attendait qu'elle fût chaude pour y tremper sa côtelette ; que lui importait ce qui se disait et se faisait autour de lui ? Il était tout à son dîner.

      Ce fut sur lui que Belmanières voulut passer sa colère.

      — Encore les malpropretés anglaises qui commencent, dit-il en venant appuyer son front contre le grillage de Spring.

      — Ce n'était pas des malpropretais, dit celui-ci froidement avec son accent anglais.

      — Pour le nez à vo, répondit Belmanières en imitant un instant cet accent, mais pour le nez à moa ; et je dis qu'il est insupportable que le mardi et le vendredi vous nous infectiez de votre sale cuisine.

      — Vous savez bien que le mardi et le vendredi je ne peux pas rentrer dîner chez moi, puisque je travaille dans ce quartier.

      — Vous ne pouvez pas dîner comme tout le monde au restaurant ?

      — No.

      L'énergie de cette réplique contrastait avec l'apparente insignifiance de la question de Belmanières, et elle expliquait tout un côté des habitudes mystérieuses de Spring obsédé par une manie qui lui faisait croire que la police russe voulait l'empoisonner. Pourquoi ? Pourquoi la police russe poursuivait-elle un sujet anglais ? Personne n'en savait rien. Rares étaient ceux à qui il avait fait des confidences à ce sujet, et jamais elles n'avaient été jusqu'à expliquer les causes de la persécution dont il était victime ; mais enfin cette persécution, évidente pour lui, l'obligeait à toutes sortes de précautions. C'était pour lui échapper qu'il avait successivement fui tous les pays qu'il avait habités : Odessa, Gènes, Malaga, San-Francisco, Rotterdam, Melbourne, Le Caire, et que maintenant à Paris il déménageait tous les mois pour dépister les mouchards, passant de Montrouge à Charonne, des Ternes, à la Maison-Blanche. Et c'était aussi parce qu'il se sentait enveloppé par cette surveillance, qu'il ne mangeait que les aliments qu'il avait lui-même préparés, convaincu que s'il entrait dans un restaurant, un agent acharné à sa poursuite trouverait moyen de jeter dans son assiette ou dans son verre une goutte de ces poisons terribles dont les gouvernements ont le secret.

      — Savez-vous seulement pourquoi vous ne pouvez pas dîner au restaurant ? demanda Belmanières pour exaspérer Spring.

      — Je sais ce que je sais.

      — Alors, vous savez que vous êtes toqué.

      — Laissez-moi tranquille, je ne vous parle pas.

      Une voix sortit de la cage située près de la porte, celle de Barincq :

      — Mr Spring a raison, chacun ses idées.

      — Quand elles sont cocasses, on peut bien en rire sans doute.

      — Riez-en tout bas.

      — Ne perdez donc pas votre temps à faire le Don Quichotte gascon ; vous n'aurez pas fini votre bois et vous arriverez en retard à votre soirée.

      Abandonnant la cage de Spring, Belmanières vint se camper au milieu du passage :

      — Dites donc, messieurs, vous savez que c'est aujourd'hui que Mr Barincq donne à danser dans les salons de la rue de l'Abreuvoir ? Une soirée dansante rue de l'Abreuvoir, à Montmartre, dans les salons de Mr Barincq, autrefois inventeur de son métier, présentement dessinateur de l'office Chaberton, en voilà encore une idée cocasse : « Mr et Mme Barincq de Saint-Christeau prient M*** de leur faire l'honneur de venir passer la soirée chez eux le mardi 4 avril à 9 heures. On dansera. » Non, vous savez, ce que c'est drôle ; c'est à se rouler.

      — Roulez-vous, dit le caissier, nous serons tous bien aises de voir ça ; ne vous gênez pas.

      — Barnabé, balayez donc une place pour que M. Belmanières puisse se rouler.

      — Pourquoi ne nous avez-vous pas invités ? demanda Belmanières sans répondre directement.

      — On ne pouvait pas vous inviter, vous ? répondit l'employé au contentieux qui jusque-là n'avait rien dit, occupé qu'il était à cirer ses souliers.

      — Parce que, monsieur Jugu ?

      — Parce que pour aller dans le monde il faut certaines manières.

      Un rire courut dans toutes les cages.

      Exaspéré, Belmanières se demanda manifestement s'il devait assommer Jugu ; seulement la réplique qu'il fallait pour cela ne lui vint pas à l'esprit ; après un moment d'attente il se dirigea vers la porte avec l'intention de sortir ; mais, rageur comme il l'était, il ne pouvait pas abandonner ainsi la partie ; on l'accuserait de lâcheté, on se moquerait de lui lorsqu'il ne serait plus là ; il revint donc sur ses pas :

      — Certainement j'aurais été déplacé dans les salons de M. et madame Barincq de Saint-Christeau, dit-il en prenant un ton railleur ; mais il n'en eût pas été de même de M. Jugu ; et assurément quand Barnabé, qui va ce soir faire fonction d'introducteur des ambassadeurs, aurait annoncé de sa belle voix enrouée : « M. Jugu » il y aurait eu sensation dans les salons, comme il convient pour l'entrée d'un gentleman aussi pourri de chic, СКАЧАТЬ