Anie. Hector Malot
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Название: Anie

Автор: Hector Malot

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

Серия:

isbn: 4064066089573

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СКАЧАТЬ par ma situation, j'étais libre, quelle fortune je ferais ! Tandis que je vais me laisser rouler, et finalement dépouiller par des coquins qui se moqueront de moi. Que n'ai-je un gendre dans l'industrie ! Il y a des moments où, pensant à l'avenir de mes filles, je me demande si je ne manque pas à mes devoirs de père en ne me démettant pas de toutes mes fonctions pour exploiter moi-même mes brevets.

      Ainsi engagé, l'entretien était vite arrivé à une proposition pratique.

      Au lieu de se démettre de ses fonctions, Sauval cédait ses brevets à Barincq, qui avait à ses yeux le grand mérite de n'être point un commerçant de profession, c'est-à-dire un exploiteur et lui inspirait toute confiance ; par ce moyen, il assurait la fortune de ses filles, et, d'autre part, il faisait celle d'un brave garçon pour qui il avait autant de sympathie que d'estime. Cette cession il la consentait aux conditions les plus douces : quatre cent mille francs pour le prix des brevets, et en plus, pendant leur durée, une redevance de dix pour cent sur le montant brut de toutes les ventes des produits fabriqués ; comme ce qu'on vendrait cent cinquante ou deux cents francs le kilogramme ne coûterait pas plus de trois ou quatre francs à fabriquer, il était facile dès maintenant de calculer les bénéfices.

      Barincq ne pouvait pas ne pas se laisser éblouir par une affaire ainsi présentée, pas plus qu'il ne pouvait pas ne pas se laisser toucher au cœur par l'amitié dont son maître lui donnait une si grande preuve ; enfin, découragé par ses déboires, il ne pouvait pas non plus ne pas reconnaître que ce serait folie de s'obstiner dans ses rêves creux, au lieu d'accepter ces propositions généreuses.

      Il est vrai que pour les accepter il fallait pouvoir exécuter les conditions sous lesquelles elles étaient faites, et ce n'était pas son cas : de son père, il avait reçu environ deux cent mille francs et c'était son seul capital, car les grosses sommes que ses inventions lui avaient rapportées jusqu'à ce jour avaient été dévorées par ses expériences ou englouties dans ses procès : comment, avec ces deux cent mille francs, payer les brevets et faire les fonds pour établir une usine de fabrication ?

      Ce qui était une difficulté, une impossibilité pour lui, n'était rien pour Sauval. Des spéculateurs trouvés par lui achetèrent les brevets de Barincq, bon marché, il est vrai, trop bon marché, beaucoup au-dessous de leur valeur réelle, c'était lui-même qui le disait, mais ils payeraient comptant, ce qui était à considérer. En même temps il le marierait à une orpheline qui apporterait une dot de quatre cent mille francs en argent. De plus, il lui ferait vendre dans les conditions les plus favorables une fabrique de matières colorantes établie depuis longtemps, de telle sorte que tout en organisant la fabrication des produits créés par ses procédés, on continuerait celle des anciens qui ne seraient pas remplacés par les nouveaux ; il donnerait son concours à cette fabrication, et, pour l'en payer, sa redevance de dix pour cent s'étendrait à toutes les ventes que ferait l'usine. Enfin il obtiendrait d'une fabrique de produits chimiques, dans laquelle il était intéressé, un marché par lequel cette fabrique s'engagerait à livrer, pendant dix ans, à un prix très au-dessous du cours, toutes les matières nécessaires à la production des nouvelles couleurs.

      C'était le propre de Sauval de mener rondement tout ce qu'il entreprenait ; ce qui tenait, disait-il, à ce que, n'entendant rien aux affaires, il ne se noyait pas dans les détails. En trois mois les brevets de Barincq furent vendus, ses procès abandonnés, son mariage fut fait, l'usine fut achetée et l'on se trouva en état de marcher ; l'industrie de la teinture, chauffée par les articles des journaux que Sauval inspirait quand il ne les dictait pas, était dans l'attente de la révolution annoncée.

      On marcha, en effet, mais, chose extraordinaire, les expériences si concluantes, si admirables dans le laboratoire de Sauval, ne donnèrent pas industriellement les résultats attendus : si les rouges présentaient une certaine solidité bien éloignée cependant de l'indestructibilité du noir d'aniline, les autres couleurs étaient d'une extrême fugacité.

      Cette chute terrible n'avait pas écrasé Sauval, et même elle ne l'avait nullement ébranlé ; à l'émoi de Barincq il s'était contenté de répondre qu'il fallait rester calme parce qu'il voyait clair. Cette déception n'était rien. Il allait se mettre au travail comme il le devait, puisqu'il s'était engagé à faire profiter la fabrique de tous les développements et de toutes les améliorations que ses brevets pouvaient recevoir de ses recherches scientifiques, et avant peu ce léger accroc serait réparé. Il voyait clair. En attendant il n'y avait qu'à continuer la fabrication des anciens produits. Cela sauvait la situation et démontrait combien il avait été sage de faire acheter cette vieille usine au lieu d'en créer une nouvelle qui n'eût pas eu de clientèle.

      Ce qu'il avait été surtout, c'était avisé pour ses intérêts, puisque, sur la vente des produits fabriqués d'après les anciens procédés, il touchait sa redevance : un peu de patience, ce n'était plus maintenant qu'une affaire de temps ; le succès était certain ; encore quelques jours, encore un seul.

      Le temps avait marché sans que les couleurs qui devaient bouleverser l'industrie devinssent plus solides ; on vendait du rouge ; personne n'achetait du ponceau, du bleu, du vert, du jaune ; et, pendant que les perfectionnements annoncés se faisaient attendre, la fabrique de produits chimiques exécutant son marché continuait à livrer chaque jour les matières nécessaires à la fabrication des nouvelles couleurs… qu'on ne fabriquait pas, par cette raison qu'on ne trouvait pas à les vendre.

      La foi que le maître avait inspirée à l'élève s'était ébranlée : à payer la redevance de dix pour cent, le plus clair des bénéfices réalisés sur la fabrication par les anciens procédés s'en allait dans la caisse de Sauval, et prendre chaque jour livraison de dix mille kilogrammes de produits chimiques qu'il fallait revendre à perte, ou même jeter à l'égout quand on ne trouvait pas à les vendre, conduisait à une ruine aussi certaine que rapide.

      Cependant Sauval, qui continuait à rester calme dans son stoïcisme scientifique, et à voir très clair, poursuivait ses recherches en répétant son même mot :

      — Patience ! encore un jour.

      Ce jour écoulé, il en prenait un autre, puis un autre encore.

      En réponse à ces demandes du maître, l'élève en avait formulé deux à son tour : ne plus payer la redevance ; résilier le marché de la fourniture des produits chimiques. Mais le maître n'avait rien voulu entendre : puisqu'il donnait son temps et sa science, la redevance lui était due ; puisqu'un marché avait été conclu, il devait être exécuté ; s'il ne connaissait rien aux affaires commerciales, il savait cependant, comme tout galant homme, qu'on ne revient pas sur un engagement pris.

      C'était beaucoup pour échapper aux procès, dont il avait l'horreur, que Barincq avait accepté les propositions de Sauval, qui semblaient devoir lui offrir une sécurité absolue ; cependant devant ce double refus il avait fallu se résoudre à plaider de nouveau ; une fille lui était née, il ne pouvait pas la laisser ruiner, pas plus qu'il ne devait laisser dévorer la fortune de sa femme déjà gravement compromise. Il avait donc demandé aux tribunaux la nomination d'experts qui auraient à examiner si les procédés de Sauval étaient susceptibles d'une application industrielle ; à constater que si dans le laboratoire ils donnaient des résultats superbes, dans la pratique ils n'en donnaient d'aucune sorte ; enfin à reconnaître qu'ils ne reposaient pas sur une base sérieuse et que ce qu'il avait vendu était le néant même.

      Quelle stupéfaction, quelle indignation pour Sauval !

      Il croyait bien pourtant s'être entouré de toutes les précautions en ne traitant pas avec un de ces commerçants de profession qui n'achètent une découverte que pour dépouiller son inventeur ; mais voilà le terrible, c'est que l'esprit commercial est contagieux, et qu'aussitôt qu'on touche aux affaires on devient un homme d'affaires.

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