Le Journal d'une Femme de Chambre. Octave Mirbeau
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Название: Le Journal d'une Femme de Chambre

Автор: Octave Mirbeau

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

Серия:

isbn: 4064066087357

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СКАЧАТЬ n'a rien répondu... Très raide, très droite, austère dans sa robe de soie noire, le front plissé, le regard dur, elle n'a pas cessé de songer... A quoi?...

      C'est peut-être à cause de moi que Madame boude Monsieur...

       Table des matières

      26 septembre.

      Depuis une semaine, je ne puis plus écrire une seule ligne de mon journal... Quand vient le soir, je suis éreintée, fourbue, à cran... Je ne pense plus qu'à me coucher et dormir... Dormir!... Si je pouvais toujours dormir!...

      Ah! quelle baraque, mon Dieu! Rien n'en peut donner l'idée.

      Pour un oui, pour un non, Madame vous fait monter et descendre les deux maudits étages... On n'a même pas le temps de s'asseoir dans la lingerie, et de souffler un peu que... drinn!... drinn!... drinn!... il faut se lever et repartir... Cela ne fait rien qu'on soit indisposée... drinn!... drinn!... drinn!... Moi, dans ces moments-là, j'ai aux reins des douleurs qui me plient en deux, qui me tordent le ventre, et me feraient presque crier... drinn!... drinn!... drinn!... Ça ne compte pas.. On n'a point le temps d'être malade, on n'a pas le droit de souffrir... La souffrance, c'est un luxe de maître... Nous, nous devons marcher, et vite, et toujours... marcher, au risque de tomber... Drinn!... drinn!... drinn!... Et si, au coup de sonnette, l'on tarde un peu à venir, alors, ce sont des reproches, des colères, des scènes.

      —Eh bien?... Que faites-vous donc?... Vous n'entendez donc pas?... Êtes-vous sourde?... Voilà trois heures que je sonne... C'est agaçant, à la fin...

      Et, le plus souvent, ce qui se passe, le voici...

      —Drinn!... drinn!... drinn!...

      Allons bon!... Cela vous jette de votre chaise, comme sous la poussée d'un ressort...

      —Apportez-moi une aiguille.

      Je vais chercher l'aiguille.

      —Bien!... apportez-moi du fil.

      Je vais chercher le fil.

      —Bon!... apportez-moi un bouton...

      Je vais chercher le bouton.

      —Qu'est-ce que c'est que ce bouton?... Je ne vous ai pas demandé ce bouton... Vous ne comprenez rien... Un bouton blanc, numéro 4... Et dépêchez-vous!

      Et je vais chercher le bouton blanc, numéro 4... Vous pensez si je maugrée, si je rage, si j'invective Madame dans le fond de moi-même?... Durant ces allées et venues, ces montées et ces descentes, Madame a changé d'idée... Il lui faut autre chose, ou il ne lui faut plus rien:

      —Non... remportez l'aiguille et le bouton... Je n'ai pas le temps...

      J'ai les reins rompus, les genoux presque ankylosés, je n'en puis plus... Cela suffit à Madame... elle est contente... Et dire qu'il existe une société pour la protection des animaux...

      Le soir, en passant sa revue, dans la lingerie, elle tempête:

      —Comment?... Vous n'avez rien fait?... A quoi employez-vous donc vos journées?... Je ne vous paie pas pour que vous flâniez du matin au soir...

      Je réplique d'un ton un peu bref, car cette injustice me révolte:

      —Mais, Madame m'a dérangée, tout le temps.

      —Je vous ai dérangée, moi?... D'abord, je vous défends de me répondre... Je ne veux pas d'observation, entendez-vous?... Je sais ce que je dis.

      Et des claquements de porte, des ronchonnements qui n'en finissent pas... Dans les corridors, à la cuisine, au jardin, des heures entières, on entend sa voix qui glapit... Ah! qu'elle est tannante!

      En vérité, on ne sait par quel bout la prendre... Que peut-elle donc avoir, dans le corps, pour être toujours dans un tel état d'irritation? Et comme je la planterais là, si j'étais sûre de trouver une place, tout de suite...

      Tantôt je souffrais plus encore que de coutume... Je ressentais une douleur si aiguë que c'était à croire qu'une bête me déchirait, avec ses dents, avec ses griffes, l'intérieur du corps... Déjà, le matin, en me levant, à force d'avoir perdu du sang, je m'étais évanouie... Comment ai-je eu le courage de me tenir debout, de me traîner, de faire mon service? Je n'en sais rien... Parfois, dans l'escalier, j'étais obligée de m'arrêter, de me cramponner à la rampe afin de reprendre haleine et de ne pas tomber... J'étais verte, avec des sueurs froides qui me mouillaient les cheveux... C'était à hurler... Mais je suis dure au mal, et j'ai cette fierté de ne jamais me plaindre devant mes maîtres... Madame me surprit, à un moment où je pensais défaillir. Tout tournait autour de moi, la rampe, les marches et les murs.

      —Qu'avez-vous? me dit-elle, rudement.

      —Je n'ai rien.

      Et j'essayai de me redresser.

      —Si vous n'avez rien, reprit Madame, pourquoi ces manières-là?... Je n'aime pas qu'on me fasse des figures d'enterrement... Vous avez un service très désagréable...

      Malgré ma douleur, je l'aurais giflée...

      Au milieu de ces épreuves, je repense toujours à mes places anciennes... Aujourd'hui, c'est celle de la rue Lincoln que je regrette le plus... J'y étais seconde femme de chambre et je n'avais, pour ainsi dire, rien à faire. La journée, nous la passions dans la lingerie, une lingerie magnifique, avec un tapis de feutre rouge, et garnie du haut en bas de grandes armoires d'acajou, à serrures dorées. Et l'on riait, et l'on s'amusait à dire des bêtises, à faire la lecture, à singer les réceptions de Madame, tout cela sous la surveillance d'une gouvernante anglaise, qui nous préparait du thé, du bon thé que Madame achetait en Angleterre, pour ses petits déjeuners du matin... Quelquefois, de l'office, le maître d'hôtel—un qui était à la coule—nous apportait des gâteaux, des toasts au caviar, des tranches de jambon, un tas de bonnes choses...

      Je me souviens qu'un après-midi on m'obligea à revêtir un costume très chic de Monsieur, de Coco, comme nous l'appelions entre nous... Naturellement, on joua à toutes sortes de jeux risqués; on alla même très loin dans la plaisanterie. Et j'étais si drôle en homme, et je ris tellement fort de me voir ainsi que, n'y tenant plus, je laissai des traces humides dans le pantalon de Coco...

      Ça c'était une place!...

      Je commence à bien connaître Monsieur... On a raison de dire que c'est un homme excellent et généreux, car, s'il n'était point tel, il n'y aurait pas dans le monde de pire canaille, de plus parfait filou... Le besoin, la rage qu'il a d'être charitable le poussent à commettre des actions qui ne sont pas très bien. Si l'intention est louable, chez lui, il n'en va pas de même, chez les autres, du résultat qui est souvent désastreux... Il faut le dire, sa bonté fut la cause de petites vilenies, dans le genre de celle-ci...

      Mardi dernier, un très vieux bonhomme, le père Pantois, apportait des églantiers que Monsieur avait commandés, en cachette de Madame, naturellement... C'était à la tombée du jour... J'étais descendue chercher de l'eau chaude pour un savonnage СКАЧАТЬ