Название: Germaine
Автор: About Edmond
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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Que si vous demandez pourquoi un homme ainsi bâti avait pu tomber dans les mains de Mme Chermidy, je répondrai que la dame était plus attrayante et plus habile que Dulcinée du Toboso. Les gens de la trempe de don Diego ne sont pas les plus difficiles à prendre, et le lion se jette au piège plus étourdiment qu'un renard. La simplicité, la droiture et toutes les qualités généreuses sont autant de défauts à notre cuirasse. Un coeur honnête ne se défie pas aisément des calculs et des roueries dont il est incapable, et chacun fait le monde à son image. Si l'on était venu dire à M. Villanera que Mme Chermidy l'aimait par intérêt, il aurait haussé les épaules. Elle ne lui avait rien demandé, et il lui avait tout offert. En acceptant quatre millions, elle lui avait fait une grâce. Il était son obligé pour ces quatre millions.
Au demeurant, à voir les regards qu'il lui lançait par intervalles, il était facile de deviner que toute la fortune des Villanera pouvait changer de mains dans l'espace de huit jours. Un chien couché aux pieds de son maître n'est ni plus attentif, ni plus respectueux qu'il ne l'était. On lisait dans ses grands yeux noirs la reconnaissance passionnée que tout galant homme voue à la femme qui l'a choisi; l'admiration religieuse d'un jeune père pour celle qui lui a donné son enfant. On y voyait enfin comme un désir inassouvi, une humble soumission de la force au caprice, la crainte des refus, une sollicitation inquiète qui prouvait que Mme Chermidy était une femme d'esprit.
Le petit docteur, assis en face du comte, formait avec lui un singulier contraste. M. Le Bris est ce qu'on appelle en France un gentil garçon. Peut-être lui manque-t-il un centimètre ou deux pour atteindre à la taille moyenne, mais il est bien fait et bien pris. Sa figure n'est point sotte, mais je n'ai jamais remarqué s'il avait le nez fait comme ceci ou comme cela. Sa physionomie dit bien des choses, son signalement ne vous apprendrait rien. Il s'habille avec une propreté voisine de l'élégance; ses favoris châtains sont bien taillés, et la raie de ses cheveux se continue derrière la tête. Il n'est pas commun, tant s'en faut, et pourtant il ne ressort pas du commun. Aucune fille à marier ne le refuserait pour son physique, mais je serai bien étonné si l'on se jette à l'eau pour lui. Il prendra du ventre à l'âge de quarante ans.
Je ne connais pas de médecin mieux fait pour la clientèle. Il court matin et soir, du haut en bas de la société, et il est à sa place partout. C'est un Alcibiade bourgeois qui se façonne sans travail aux murs de tout pays. On l'aime au faubourg Saint-Germain pour sa réserve, à la Chaussée-d'Antin pour son esprit, et rue Vivienne pour sa rondeur. Les femmes de tout rang ont travaillé activement à sa renommée, et savez-vous pourquoi? C'est qu'auprès d'une malade jeune ou vieille, laide ou jolie, il témoigne un empressement aimable, une sorte de galanterie mitoyenne qui participe du respect et de l'amour. Il ne s'est jamais expliqué sur la nature de ce sentiment; peut-être aussi ne se l'explique-t-il pas bien à lui-même. Mais toutes les femmes ont pour lui une compassion bienveillante qui peut le mener assez loin.
Ses anciens camarades d'hôpital l'ont surnommé, pour ce motif, la Clef des coeurs. Je sais une maison où on l'appelle, et non sans cause, le Tombeau des secrets. Ses jeunes clients du faubourg Saint-Germain lui reprochent d'entrer tous les soirs dans les coulisses de l'Académie impériale de musique, et l'appellent la Mort aux rats. Mais au foyer de la danse, sa sagesse l'a fait surnommer le Nouveau continent.
«Hé bien, Tombeau des secrets, dit Mme Chermidy avec son petit accent provençal, avez-vous trouvé mon affaire?
–Oui, madame.
–Est-ce la poitrinaire en question?
–Mlle de La Tour d'Embleuse.
–Bon! nous ne nous encanaillons pas. J'avais toujours pris intérêt aux poitrinaires. Des femmes qui toussent! Hé bien, vous voyez, le ciel me récompense.
–Docteur, demanda le comte, avez-vous parlé des conditions?
–Oui, cher comte; on acceptera tout.»
Mme Chermidy poussa un cri de joie: «Affaire bâclée! Vive Paris, où l'on achète les duchesses au comptant!»
Le comte fronça le sourcil. Le docteur reprit vivement:
«Si vous aviez pu venir avec moi, madame, je connais votre coeur: vous auriez pleuré.
–C'est donc bien touchant, une duchesse qui vend sa fille? Un épisode du marché aux esclaves?
–Je dirais plutôt un épisode de la vie des martyrs.
–Vous êtes gentil pour don Diego!»
Le docteur raconta la scène où il avait joué son rôle. Le comte fut ému. Mme Chermidy prit son mouchoir et essuya deux beaux yeux qui n'en avaient pas besoin.
«Je suis bien aise, dit le comte, que cette résolution vienne d'elle. Si les parents avaient accepté d'eux-mêmes, je les aurais peut-être mal jugés.
–Pardon. Avant de les juger, il faudrait savoir s'ils avaient ce matin du pain à la maison.
–Du pain!
–Du pain, sans métaphore.
–Adieu, dit le comte. Je vais souhaiter la bonne année à ma mère. Elle dormait ce matin quand je suis sorti de l'hôtel. Je lui apprendrai l'effet de votre démarche, et je lui demanderai ce qu'il faut faire.
Comment, docteur, il y a des gens qui manquent de pain!
–J'en ai rencontré quelques-uns dans ma vie. Malheureusement je n'avais pas un million à leur offrir comme aujourd'hui.»
Le comte baisa la main de Mme Chermidy et courut à l'hôtel de sa mère.
La jolie femme resta en tête-à-tête avec le docteur.
«Puisqu'il y a des gens qui manquent de pain, dit-elle, allons, docteur, une tasse de café!… Comment pourrai-je bien la voir, cette martyre de la poitrine? Car enfin il faut que je sache à qui je prête mon enfant.
–Mais, par exemple, à l'église, le jour du mariage.
–A l'église! Elle peut donc sortir?
–Sans doute…. en voiture.
–Je la croyais plus avancée que cela.
–Vous vouliez donc un mariage in extremis?
–Non, mais je veux être sûre. Bonté divine! docteur, si elle s'avisait de guérir!
–La Faculté de médecine serait bien étonnée.
–Et don Diego serait bien marié! et je vous tuerais, la Clef des coeurs!
–Hélas! madame, je ne me sens pas en danger.
–Comment, hélas!
–Pardonnez-moi; c'est le médecin qui parlait, et non l'ami.
–Une fois mariée, vous allez encore la soigner?
–Faut-il la laisser mourir sans secours?
–Dame! pourquoi l'épouse-t-on? Ce n'est pas pour qu'elle soit éternelle?»
Le docteur СКАЧАТЬ