Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 6 - (G - H - I - J - K - L - M - N - O). Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc
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СКАЧАТЬ la forme et la décoration qui pouvaient leur convenir; et, lors même qu'ils tentaient d'imposer à l'une de ces matières des formes empruntées à d'autres, le goût leur traçait les limites qu'on ne saurait dépasser, car jamais ils ne cherchaient à tromper sur l'apparence. On peut bien trouver que telle rose, tels meneaux sont délicatement travaillés: personne ne prendra une rose en pierre, des meneaux en pierre pour du bois ou du fer; encore ces détails des édifices religieux ne sont-ils que des claires-voies, des accessoires qui ne tiennent pas à la véritable structure, on le reconnaît sans être architecte. Pour eux, une salle est une salle; une maison, une maison; un palais, un palais; une église, une église; un château, un château; et jamais il ne leur serait venu à l'esprit de donner à un édifice municipal la silhouette d'une église en manière de pendant, pour amuser les badauds, grands amateurs de la symétrie. Font-ils couvrir cette salle d'un berceau en bois? c'est bien un lambris que nous voyons, non point le simulacre d'une voûte en maçonnerie. Font-ils un plafond? c'est la structure du plancher qui donne ses compartiments, sa décoration. À leur avis, un toit est fait pour couvrir un édifice; aussi lui donnent-ils la pente suffisante pour rejeter les eaux; ils ne le dissimulent pas derrière un attique; dans un même palais, ils n'élèveront pas des toits plats et des toits aigus: ils adopteront les uns ou les autres partout, suivant le besoin, le climat ou la nature des couvertures. Est-ce une galerie qui passe derrière ce mur? nous le reconnaîtrons, à l'extérieur, par la manière dont les jours sont percés; est-ce une grand'salle? les fenêtres seront hautes et larges; est-ce une suite de cellules? les fenêtres seront fréquentes et petites. Partant de principes vrais, simples, raisonnés, le goût n'est plus affaire de hasard: il s'attache à quelque chose de réel; il apporte dans l'étude des détails le respect pour la vérité; il se complaît à exprimer les besoins, les nécessités du programme; à chaque instant il varie son expression, suivant le thème qui lui est donné. Savoir ne dire que ce qu'il faut et savoir dire les choses à propos est une preuve de goût dans les relations du monde; c'est faire preuve de peu de goût de donner à la maison d'un simple particulier habitée par des locataires l'apparence d'un palais. «Si le propriétaire peut payer ce luxe, direz-vous, pourquoi ne pas le satisfaire?» Soit; mais vous ne pourrez nous empêcher de trouver que l'architecte et son client ont mauvais goût, et l'extravagance de celui-ci n'excuse pas la complaisance du premier. On n'écrit pas une ordonnance de police comme un discours à l'Académie, un inventaire avec le style qui convient à un roman; et la lettre que vous adressez à votre jardinier pour lui recommander de planter des salades en temps opportun n'est pas faite comme celle que vous écrivez à un prince pour réclamer sa bienveillance. Pourquoi donc, si nous admettons ces distinctions dans la façon d'écrire, ne les observons-nous pas dans notre architecture? Nous trouvons dans l'art du moyen âge cet à-propos, marque d'un goût sûr. L'église du village ne ressemble pas à une cathédrale; elle n'est pas un diminutif de celle-ci. La maison d'un bourgeois n'est pas faite avec les rognures d'un palais. La halle de la cité ne peut être prise pour une salle de fêtes, l'hôpital pour une maison de ville; et l'étranger qui se promenait autrefois dans nos cités pouvait deviner la destination de chaque édifice à son apparence extérieure; il ne lui serait jamais arrivé de chercher un bénitier à la porte d'une mairie, croyant entrer dans une église, ou de demander, sous le vestibule d'une caserne, le nom du riche seigneur pour lequel on a bâti ce majestueux édifice.

      Le goût est relatif à l'objet; il s'appuie donc avant tout sur la raison. Comme le bon sens est une des qualités (fort ancienne) de notre pays, nous avons apporté dans nos arts un goût délicat, lorsque nous avons été laissés à nos propres instincts. Malheureusement, l'architecture s'est brouillée depuis longtemps en France avec le bon sens, et par suite avec le bon goût, sous l'influence de doctrines erronées. On a reconnu, au XVIIe siècle, que l'architecture antique était un art soumis à un goût pur, ce qui est incontestable; on s'est mis à faire de l'architecture antique, sans penser que, si l'architecture antique est conforme au goût, c'est qu'elle est une expression nette, précise, de la civilisation qui l'a constituée. Mais si par cela même l'architecture antique se soumet aux règles du goût sous les empereurs romains, elle est contraire à ces règles sous la société de Louis XIV, qui ne ressemble pas absolument à la société de Tibère ou de Claude. Alors (au XVIIe siècle) on ne faisait guère entrer le raisonnement dans les questions d'art; l'architecture était une affaire de colonnades, de chapiteaux, de frontons et de corniches, de symétrie, toutes choses qu'on déclarait être de grand goût, comme on disait alors, sans définir d'ailleurs ce qu'on entendait par ce grand goût, qui n'est, à notre avis, qu'un grand engouement. Cependant (car c'est une occasion de faire preuve de goût, et de ne pas tomber dans l'exagération) il est juste de reconnaître que ce siècle (nous parlons de celui de Louis XIV) a su produire en architecture des oeuvres d'une grande valeur, toutes fois qu'elles n'ont pas abandonné complétement notre sens français. Certes, on ne peut nier que l'Hôtel des Invalides, par exemple, ne soit un chef-d'oeuvre d'architecture. Pourquoi? Est-ce parce que nous y trouvons des archivoltes romaines, des corniches romaines? Non certainement: c'est parce que cet édifice présente un plan parfaitement approprié à l'objet; partout de la grandeur, sans place perdue, des services faciles, un aspect général extérieur qui indique clairement sa destination. Mais à qui devons-nous ces belles dispositions? Est-ce à l'antiquité romaine? Sont-ce les architectes romains qui nous ont donné, entre autres choses, cette belle composition de la cour, avec ses quatre escaliers aux angles, autour desquels tourne le cloître? Non, c'est là le plan d'une cour d'abbaye française, avec son vaste réfectoire, avec ses dortoirs, son église accessible de tous les points des bâtiments, ses galeries et ses services journaliers. C'est par ces dispositions appropriées à l'objet que l'Hôtel des Invalides est une oeuvre de goût, et non parce que l'architecte a semé sur ses façades quelques profils romains; au contraire, ces détails empruntés à une architecture entièrement étrangère à notre climat, à nos usages et à notre génie, ne font que gâter le monument, ou le rendre, au moins, froid, monotone. Ces toits à pentes rapides (qui sont bien français) jurent avec ces corniches antiques, avec ces arcades qui ont le grand tort de vouloir rappeler quelque portique de théâtre ou d'amphithéâtre romain. En cela le goût ne saurait être satisfait, car le goût demande aussi un rapport, une corrélation entre l'ensemble et les détails. Quand Molière a pris à Plaute son sujet d'Amphytrion, bien qu'il ait adopté le canevas antique, il a fait parler Mercure, la Nuit, Jupiter, Amphytrion, Alcmène et Sosie, comme parlaient les seigneurs, les dames et les valets de la cour, et non comme des Grecs. Bien mieux, il a donné à ses personnages les sentiments, les idées et les préjugés de son temps; pour exprimer ces idées, ces sentiments, il n'a pas cousu des mots grecs ou latins à sa phrase française. Le nom des personnages ne fait là rien à l'affaire, et Jupiter pourrait s'appeler Louis le Grand et porter la grande perruque. Certes Molière, comme tous les auteurs illustres du XVIIe siècle, appréciait fort les anciens, avait su s'en servir; cessait-il pour cela d'être Français, et si nous l'admirons, n'est-ce pas parce qu'il est bien Français? Pourquoi donc, à l'architecture seule, serait-il permis de s'exprimer comme l'écolier limousin de Rabelais, et en quoi ce jargon peut-il être conforme aux règles du goût?

      La pierre, le bois, le fer, sont les matériaux avec lesquels l'architecte bâtit, satisfait aux besoins de son temps; pour exprimer ses idées, il donne des formes à ces matériaux; ces formes ne sont pas et ne peuvent être dues au hasard, elles sont produites par les nécessités de la construction, par ces besoins mêmes auxquels l'artiste est tenu de satisfaire, et par l'impression qu'il veut produire sur le public; c'est une sorte de langage pour les yeux: comment admettre que ce langage ne corresponde pas à l'idée, soit dans l'ensemble, soit dans les détails? et comment admettre aussi qu'un langage formé de membres sans relations entre eux puisse être compris? Cette confusion, introduite au XVIIe siècle, a bientôt fait de l'architecture un art incompréhensible pour le public; nous en voyons aujourd'hui plus que jamais les tristes effets.

      De l'introduction irréfléchie de certaines formes et non de l'esprit de l'antiquité dans l'architecture, on en est venu bientôt à la corruption de ces formes dont les principes n'avaient point été reconnus tout d'abord. Au XVIIIe siècle, on croyait encore pratiquer les arts romains, tandis qu'on ne faisait qu'aggraver le désordre qui s'était mis dans l'étude de l'architecture. Cependant СКАЧАТЬ