Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 3 - (C suite). Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc
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СКАЧАТЬ Francs, en s'emparant de la Gaule, s'étendirent sur un territoire très-vaste et très-varié sous le rapport géographique; les uns restèrent dans les plaines, les autres sur les montagnes, ceux-ci au milieu de contrées coupées de ruisseaux, ceux-là près des grandes rivières; chacun dut se fortifier en raison des lieux et de son intelligence personnelle; ils cessèrent (hormis ceux voisins du Rhin) toute communication avec la mère patrie, et, comme nous l'avons dit ci-dessus, se trouvèrent bientôt isolés, étrangers les uns aux autres; les liens politiques qui pouvaient encore les réunir se relâchaient chaque jour, et les idées de nationalité de lien entre les grands propriétaires d'un État ne devaient avoir aucune influence sur les successeurs de ces chefs de bande dispersés sur le sol. Les Normands, au contraire, étaient forcément dirigés par d'autres mobiles; tous pirates, tous solidaires, conservant longtemps des relations avec la mère patrie qui leur envoyait sans cesse de nouveaux contingents, arrivant en conquérants dans des contrées déjà occupées par des races guerrières, ils étaient liés par la communauté des intérêts, par le besoin de se maintenir serrés, unis, dans ces pays au milieu desquels ils pénétraient sans trop oser s'étendre loin des fleuves, leur seule voie de communication ou de salut en cas de désastre.

      Si les traditions romaines avaient exercé une influence sur la disposition des demeures des propriétaires francs, elles devaient être très-affaiblies pour les pirates scandinaves qui ne commencèrent à fonder des établissements permanents sur le continent qu'au Xe siècle. Ces derniers, plus habitués à charpenter des bateaux qu'à élever des constructions sur la terre ferme, durent nécessairement profiter des dispositions du terrain pour établir leurs premiers châteaux forts, qui n'étaient que des campements protégés par des fossés, des palissades et quelques ouvrages de bois propres à garantir des intempéries les hommes et leur butin. Ils purent souvent aussi profiter des nombreux camps gallo-romains que l'on rencontre même encore aujourd'hui sur les côtes de la Manche et les bords de la Seine, les augmenter de nouveaux fossés, d'ouvrages intérieurs, et prendre ainsi les premiers éléments de la fortification de campagne. Cependant les Normands, actifs, entreprenants et prudents à la fois, tenaces, doués d'un esprit de suite qui se manifeste dans tous leurs actes, comprirent, très-promptement l'importance des châteaux pour garder les territoires sur lesquels les successeurs de Charlemagne avaient été forcés de les laisser s'établir; et, dès le milieu du Xe siècle, ils ne se contentèrent plus de ces défenses de campagne en terre et en bois, mais élevèrent déjà, sur le cours de la basse Seine, de l'Orne et des petites rivières qui se jettent dans la Manche, des demeures de pierre, construites avec soin, formidables pour l'époque, dont il nous reste des fragments considérables et remarquables surtout par le choix intelligent de leur assiette. Autres étaient alors les châteaux de France; ils tenaient, comme nous l'avons dit, et du camp romain et de la villa romaine. Ils étaient établis soit en plaine, soit sur des montagnes, suivant que le propriétaire franc possédait un territoire plane ou montagneux. Dans le premier cas, le château consistait en une enceinte de palissade entourée de fossés, quelquefois d'une escarpe en terre, d'une forme ovale ou rectangulaire. Au milieu de l'enceinte, le chef franc faisait amasser des terres prises aux dépens d'un large fossé, et sur ce tertre factice ou motte se dressait la défense principale qui plus tard devint le donjon. On retrouve encore, dans le centre de la France, et surtout dans l'ouest, les traces de ces châteaux primitifs.

      Un établissement de ce genre, la Tusque à Sainte-Eulalie d'Ambarès (Gironde) 23, nous donne un ensemble assez complet des dispositions générales de ces sortes de châteaux défendus surtout par des ouvrages en terre. Cet établissement est borné de trois côtés (I) par deux ruisseaux A, B; un fossé C ferme le quatrième côté du parallélogramme, qui a 150 mètres de long sur 90 mètres à 110 mètres environ. Au milieu de ce parallélogramme s'élève une motte D de 27 mètres de diamètre dont le fossé varie en largeur de 10 à 15 mètres. Sur un des grands côtés en E s'élève un vallum haut de deux mètres environ et large de 10 mètres. Il n'est pas besoin de dire que toutes les constructions de bois que nous avons rétablies dans cette figure n'existent plus depuis longtemps. C'était, comme nous l'avons indiqué, au sommet de la motte que s'élevait le donjon, la demeure du seigneur, à laquelle on ne pouvait arriver que par un pont de bois facile à couper. L'enceinte renfermait les bâtiments nécessaires au logement des compagnons du seigneur, des écuries, hangars, magasins de provisions, etc.

      Probablement plusieurs portes s'ouvraient dans les palissades, au milieu de trois des faces, peut-être sur chacune d'elles. Ces portes étaient, suivant l'usage, garnies de défenses extérieures, comme le camp romain, avec lequel cette enceinte a plus d'un rapport. Ordinairement un espace, tracé au moyen de pierres brutes rangées circulairement sur le sol de la cour, indiquait la place des assemblées. Souvent, à l'entour de ces demeures, on rencontre des tumuli qui ne sont que des amas de terre recouvrant les ossements de guerriers remarquables par leur courage. Ces tertres pouvaient d'ailleurs servir, au besoin, de défenses avancées. Une guette, placée au sommet du donjon, permettait d'observer ce qui se passait dans les environs.

      Si le château franc était posté sur une colline, sur un escarpement, on profitait alors des dispositions du terrain, et c'était l'assiette supérieure du plateau qui donnait la configuration de l'enceinte. Le donjon s'élevait soit sur le point le plus élevé pour dominer les environs, soit près de l'endroit le plus faible pour le renforcer. C'est dans ces établissements que l'on voit souvent, dès une époque reculée, le moellon remplacer le bois, à cause de la facilité qu'on trouvait à se le procurer dans des pays montagneux. Mais il arrivait fréquemment alors que l'assiette du château n'était pas assez vaste pour contenir toutes ses nombreuses dépendances; le long des rampants de la colline ou au bas de l'escarpement on élevait alors une première enceinte en palissades ou en pierres sèches protégées par des fossés, au milieu de laquelle on construisait les logements propres à renfermer la garnison, les magasins, écuries, etc. Cette première enceinte, que nous retrouvons dans presque tous les châteaux du moyen âge, était désignée sous le nom de basse-cour. En général, cette enceinte inférieure était protégée par le donjon. On ne fut pas d'ailleurs sans reconnaître que le donjon posé au centre des enceintes, à l'instar du prætorium du camp romain, était, appliqué aux châteaux, une disposition vicieuse, en ce qu'elle ne pouvait permettre à la garnison de faire des sorties, de se jeter sur les derrières des assiégeants après que l'enceinte extérieure avait été forcée. Nous voyons le donjon des châteaux, dès le XIe siècle, posté généralement près de la paroi de l'enceinte, ayant ses poternes particulières, ses sorties dans les fossés, et commandant le côté de la place dont l'accès était le plus facile. Toutefois, nous penchons à croire que le château féodal n'est arrivé à ses perfectionnements de défense qu'après l'invasion normande, et que ces peuples du Nord ont été les premiers qui aient appliqué un système défensif soumis à certaines lois, suivi bientôt par les seigneurs du continent après qu'ils en eurent à leurs dépens reconnu la supériorité. Le système défensif normand est né d'un profond sentiment de défiance, de ruse, étranger au caractère franc. Pour appuyer notre opinion sur des preuves matérielles, nous devons faire observer que les châteaux dont il nous reste des constructions comprises entre les Xe et XIIe siècles, élevés sur côtes de l'ouest, le long de la Loire et de ses affluents, de la Gironde, de la Seine, c'est-à-dire sur le cours des irruptions normandes ou dans le voisinage de leurs possessions, ont un caractère particulier, uniforme, que l'on ne retrouve pas, à la même époque, dans les provinces du centre de la France, dans le midi et en Bourgogne.

      Il n'est pas besoin, nous le pensons, de faire ressortir la supériorité de l'esprit guerrier des Normands, pendant les derniers temps de la période carlovingienne, sur l'esprit des descendants des chefs francs établis sur le sol gallo-romain. Ces derniers, comme nous l'avons dit plus haut, étaient d'ailleurs dispersés, isolés, et n'avaient aucun de ces sentiments de nationalité que les Normands possédaient à un haut degré. La féodalité prit des caractères différents sur le sol français, suivant qu'elle fut plus ou moins mélangée de l'esprit normand, СКАЧАТЬ



<p>23</p>

Voy., dans les Actes de l'ac. imp. de Bordeaux, la notice de M. Léo Drouyn sur quelques châteaux du moyen âge, 1854.