Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 2 - (A suite - C). Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc
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СКАЧАТЬ arriver à la ligne verticale; des encorbellements, quand on part de la ligne verticale pour arriver à l'horizontale. Tout est logique dans l'architecture du moyen âge, à dater de la grande école du XIIe siècle, dans les ensembles comme dans les moindres détails; le principe qui conduisait les architectes à élever sur la colonne cylindrique un chapiteau évasé pour porter les membres divers des constructions supérieures, à multiplier les encorbellements pour passer, par une succession de saillies, du point d'appui vertical à la voûte, les amenait naturellement à procéder de la même manière lorsqu'il s'agissait de poser un point d'appui vertical mince sur un large empalement. Aussi, mettant à part les marches, les bancs qui doivent nécessairement, dans les soubassements des édifices, présenter des surfaces horizontales, voyons-nous toujours la surface horizontale exclue comme ne fonctionnant pas, ne portant pas.

      En effet: soit (21) A une colonne et B une assise servant d'empatement inférieur, de base. Toute la charge de la colonne porte seulement sur la surface C D. Si forte que soit l'assise de pierre B, pour peu que la surface C D s'affaisse sous la charge, les extrémités C F, D G non chargées ne suivront pas ce mouvement, et la pierre ne possédant aucune propriété élastique cassera en E E. Mais si (21 bis), entre la colonne A et l'empatement B, on place une assise O, les chances de rupture n'existeront plus, car la charge se répartira sur une surface C D beaucoup plus large. Les angles E seront abattus comme inutiles; dès lors, plus de surface horizontale apparente. Telle est la loi qui commande la forme de toutes les bases de l'époque ogivale 89.

      Voyons maintenant comment cette loi une fois établie, non-seulement les architectes ne s'en écartent plus, mais encore l'appliquent jusque dans ses dernières conséquences, sans dévier jamais, avec une rigueur de logique qui, dans les arts, à aucune époque ne fut poussée aussi loin; telle enfin, que chaque tentative, chaque essai nouveau dans cette voie, n'est qu'un degré pour aller au delà. Mais, d'abord, observons que la qualité des matériaux, leur plus ou moins de dureté, influe sur les profils des bases. Lorsque les architectes du XIIe siècle employèrent le marbre ou des calcaires compactes et d'une nature fière, ils se gardèrent de refouiller les scoties des bases; ils multiplièrent les arêtes fines, les plans, pour obtenir des ombres vives, minces, et de l'effet à peu de frais. Dans le Languedoc, où les marbres et les pierres calcaires compactes froides se rencontrent à peu près seules, on trouve beaucoup de profils de bases taillés au XIIe siècle avec un grand soin, une grande finesse de galbe, mais où les refouillements profonds si fréquents dans le Nord sont évités.

      Nous prenons comme exemple une des bases des colonnes jumelles de la galerie du premier étage de l'hôtel de ville de Saint-Antonin près Montauban (22). La pierre employée est tellement compacte et fière qu'elle éclate sous le ciseau, à moins de la tailler à très-petits coups, sans engager l'outil.

      Or le profil A de cette base montre avec quelle adresse les tailleurs de pierre ont évité les refouillements, les membres saillants des moulures, comme ils ont tiré parti de la finesse du grain de la pierre pour obtenir, par des ciselures faites à petits coups, des plans nettement coupés, des arêtes vives quoique peu accentuées. Les traditions antiques, là où elles étaient vivantes, comme en Provence, conservaient encore, à la fin du XIIe siècle, leur influence, tout en permettant l'introduction des innovations. Parmi un grand nombre d'exemples que nous pourrions citer, il en est un fort remarquable: ce sont les bases des piliers du tour du choeur de l'église de Saint-Gilles (23).

      Les griffes d'angle viennent s'attacher au tore inférieur de la base ionique romaine; leur sculpture rappelle la sculpture antique. Cette base qui, en se retournant entre les piles, forme le socle d'une clôture, porte sur le sol du choeur et n'est surélevée que du côté du bas-côté en A. Il est à présumer que les colonnes portaient le filet et le congé comme la colonne antique 90. Dans le choeur de l'église de Vézelay, peu postérieur à celui de Saint-Gilles (dernières années du XIIe siècle), nous retrouvons encore la tradition romaine, mais seulement dans le fût de la colonne qui porte en B un tore, un filet et un cavet (24). Quant à la base elle-même, outre ses griffes, qui sont bien caractérisées et n'ont rien d'antique (voy. GRIFFE), son profil est le profil de la fin du XIIe siècle; le bahut, qui surélève cette base sur le bas-côté, n'est pas couronné par le quart de rond antique de Saint-Gilles, mais par un profil beaucoup mieux approprié à cette place, en ce qu'au lieu de former une arête coupante, il présente un adouci. Ces quelques exceptions mises de côté, la base ne dévie plus de la forme rationnelle que lui avaient donnée les architectes français du XIIe siècle; elle ne fait que la perfectionner jusqu'à l'abus du principe logique qui avait commandé sa composition.

      Un des plus beaux et derniers exemples de la base du XIIe siècle se rencontre dans une petite église de Bourgogne, l'église de Montréal près Avallon 91. Nous donnons ici (25) une des bases des colonnes engagées de la nef de cette église et son profil A moitié d'exécution. L'épannelage indiqué par la ligne ponctuée est encore parfaitement respecté ici. Les piles de cette église présentent parfois des pilastres à pans coupés au lieu de colonnes engagées.

      Ces pilastres ne portent pas sur un profil de base répétant celui des colonnes: ils ont leur base spéciale (26), dont la composition vient appuyer notre théorie expliquée par la fig. 21 bis. Ce n'est guère que dans les monuments élevés sous une influence romaine, comme les cathédrales de Langres et d'Autun, comme beaucoup d'édifices du Charolais et de la haute Bourgogne, que les pilastres (fréquents dans ces constructions pendant le XIIe siècle) posent sur des profils de bases semblable à ceux des colonnes. La véritable architecture française, naissante alors, n'admettait pas qu'un même profil de base pût convenir à un pilastre carré et à un cylindre. Et en cela, comme en beaucoup d'autres choses, la nouvelle école avait raison. Les tores et filets des bases, fins, détachés, présentent dans les retours d'équerre des aiguités désagréables à la vue, et surtout fort gênants à la hauteur où ils se trouvent placés; car il est rare que le niveau supérieur des bases, à dater du XIIe siècle, excède 1m,20 au-dessus du pavé. Les arêtes saillantes des bases de pilastres se fussent donc trouvées à la hauteur des hanches ou du coude d'un homme; et si les architectes du moyen âge avaient toujours en vue l'échelle humaine dans leurs compositions (voy. ARCHITECTURE), s'ils tenaient à ce qu'une base fût plutôt proportionnée à la dimension humaine qu'à celle de l'édifice, on ne doit pas être surpris qu'ils évitassent avec soin ces angles dont les vives arêtes menacent le passant. Tenant compte de la dimension humaine, ils devaient naturellement penser à ne pas gêner ou blesser l'homme, pour lequel leurs édifices étaient faits 92. Ces raisons, celles non moins impérieuses déduites du nouveau système de construction adopté dès le commencement du XIIIe siècle, amenèrent successivement les architectes à modifier les bases.

      C'est dans l'Ile de France qu'il faut étudier ces transformations suivies avec persistance. Les architectes de cette province ne tardèrent pas à reconnaître que le plan carré de la plinthe et du socle était gênant sous le tore inférieur, quoique ses angles fussent adoucis et rendus moins dangereux par la présence des griffes. S'ils conservèrent les plinthes carrées pour les bases des colonnes hors de portée, ils les abattirent aux angles pour les grosses colonnes du rez-de-chaussée. Témoin les colonnes monocylindriques du tour du choeur de la cathédrale de Paris (fin du XIIe siècle); celles СКАЧАТЬ



<p>89</p>

Cette loi, bien entendu, ne s'applique pas seulement aux bases, mais à tout l'ensemble comme aux détails des constructions du moyen âge, à partir du XIIe siècle (voy. CONSTRUCTION).

<p>90</p>

Ce choeur est malheureusement détruit, et les bases restent seules à leur place, ainsi que l'indique notre dessin.

<p>91</p>

Les profils de l'église de Montréal sont d'une pureté et d'une beauté très-remarquables, et leur exécution est parfaite. Dans ce monument, toutes les bases et profils à la portée de la main sont polis, tandis que les parements sont taillés au taillant simple d'une façon assez rustique. Ce contraste entre la taille des moulures et des parements est fréquent à la fin du XIIe siècle et au commencement du XIIIe; il prête un charme tout particulier aux détails de l'architecture (voy. TAILLE).

<p>92</p>

Combien ne voyons-nous pas dans nos édifices modernes de ces corniches de stylobates présenter leurs angles vifs à la hauteur de l'oeil? de ces arêtes de pilastres ou de bases que l'on maudit avec raison lorsque la foule vous précipite sur elles?