Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 2 - (A suite - C). Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc
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Читать онлайн книгу Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 2 - (A suite - C) - Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc страница 16

СКАЧАТЬ les ajours en sont trop grands, et, de loin, elle ne prête pas assez de fermeté au couronnement. Sous cette balustrade, la corniche, bien que délicate, paraît lourde et pauvre en même temps. Nous retrouvons cette combinaison de balustrades, amaigrie encore, au-dessus des chapelles de l'église de Saint-Ouen de Rouen (15).

      Les défauts sont encore plus choquants ici, malgré que cette balustrade, en elle-même, et comme taille de pierre, soit un chef-d'oeuvre de perfection; mais, étant placée sur des côtés de polygones peu étendus, elle ne donne que quatre ou cinq compartiments; leur dessin ne se comprend pas du premier coup, parce que l'oeil ne peut saisir cette combinaison alternée, qui serait heureuse si elle se développait sur une grande longueur. L'excessive maigreur de cette balustrade lui donne l'apparence d'une claire-voie de métal, non d'une découpure faite dans de la pierre. Du reste, à partir de la fin du XIIIe siècle, on ne rencontre plus guère de balustrades composées d'une suite de petits montants avec arcature; on semble préférer alors les balustrades formées de trèfles, de quatre-feuilles, de triangles, ou de carrés posés sur la pointe avec redents, comme celle qui couronne le choeur et la nef de la cathédrale d'Amiens. Nous avons fait voir comme à la Sainte-Chapelle du Palais on avait heureusement rompu les lignes inclinées des gâbles couronnant les fenêtres par une balustrade à points d'appui verticaux très-multipliés (voy. fig. 12), comme on avait tenu cette balustrade haute pour qu'elle ne fût pas écrasée par l'élévation des pinacles et gâbles. Cette balustrade, indépendante de ces pinacles et gâbles, passe derrière eux, ne fait que s'y appuyer; elle leur laisse toute leur valeur, et parait ce qu'elle doit être: une construction légère, ayant une fonction à part, et n'ajoutant rien à la solidité de la maçonnerie, pouvant être supprimée en laissant à l'édifice les formes qui tiennent à sa composition architectonique. On ne s'en tint pas longtemps à ces données si sages. De 1290 à 1310, on construisait à Troyes l'église de Saint-Urbain. Les fenêtres supérieures du choeur de ce remarquable édifice sont surmontées de gâbles à jour qui viennent, non pas comme à la Sainte-Chapelle de Paris, faire saillie sur la corniche de couronnement et son chéneau, mais qui les pénètrent. Et telle est la combinaison recherchée de cette construction, que les deux pentes de ces gâbles et les cercles appareillés dans les écoinçons portent cette corniche formant chéneau comme le feraient des liens en charpente. Il y avait à craindre que ces gâbles à jour qui n'étaient pas reliés au mur, et cette corniche-chéneau qui reposait seulement sur la tête de ce mur, sans être retenue dans sa partie engagée par une forte charge supérieure, ne vinssent à se déverser en dehors. Le constructeur imagina de se servir de la balustrade pour maintenir ce dévers (16); et voici comment il s'y prit.

      Il faut dire d'abord qu'entre chaque travée s'élève un contre-fort avec pinacle bien relié à la masse de la construction; prenant ce pinacle ou contre-fort comme point fixe (il l'est en effet), l'architecte fit ses demi-travées de balustrades A d'un seul morceau chacune, et, ayant eu le soin de poser ses pinacles sur un plan plus avancé que celui dans lequel se trouvent les gâbles, il maintint le sommet de ceux-ci en les étrésillonnant avec les balustrades, ainsi que l'indique le plan (16 bis).

      Soit B le pinacle rendu fixe par sa base portant chéneau fortement engagée dans la construction, et C C les têtes des gâbles; les demi-travées de balustrades B C étant d'un seul morceau chacune, et formant en plan un angle rentrant en C, viennent étrésillonner et butter les têtes des gâbles C C, de manière à rendre impossible leur déversement en dehors. Mais pour rendre sa balustrade à jour très-rigide, tout en la découpant délicatement, l'architecte de Saint-Urbain la composa d'une suite de triangles chevauchés réunis par leurs côtés, et formant comme autant de petits liens inclinés se contre-buttant mutuellement de manière à éviter les chances de rupture. C'était là, il faut le dire, plutôt une combinaison de charpente qu'une construction de maçonnerie; mais il faut dire aussi que la pierre à laquelle on imposait cette fonction anormale est de la pierre de Tonnerre, d'une qualité, d'une fermeté et d'une finesse extraordinaires, qui lui donnent, une fois taillée, l'aspect du métal. Certes, cela était ingénieux et bien raisonné comme appareil; il était impossible de dominer la matière d'une façon plus complète que ne le fit avec succès le savant architecte de Saint-Urbain (voy. CONSTRUCTION); mais pour ne parler que de la balustrade dont il est ici question, cette suite de petits triangles semblables aux grands triangles formés par les gâbles est fâcheuse au point de vue de l'art. L'oeil est tourmenté par ces figures géométriques semblables mais inégales; l'harmonie qui doit résulter, non de la similitude des diverses parties d'un édifice, mais de leur contraste, est détruite. Ici, comme dans toutes les formes de l'architecture adoptées à partir de cette époque, le raisonnement, la combinaison géométrique prennent une place trop importante; le sentiment, l'instinct de l'artiste disparaissent étouffés par la logique. L'amour des détails, les raffinements dans leur application vinrent encore ôter aux balustrades leur sévérité de formes. Les architectes du XIIIe siècle, mus par ce sentiment d'art qu'on retrouve à toutes les belles époques, avaient compris que plus les membres de l'architecture sont d'une petite dimension, et plus leurs formes veulent être largement composées, afin de ne pas détruire l'aspect de grandeur que doivent avoir les édifices; car en multipliant les détails sans mesure, on rapetisse au lieu de grandir l'architecture. Si parfois, au XIIIe siècle, dans quelques monuments exécutés avec un grand luxe, on s'était permis de faire des balustrades très-riches par leur combinaison et leur sculpture, sentiment de la grandeur apparaissait toujours, et les détails ne venaient pas détruire les masses; témoin la balustrade qui couronne le passage réservé au-dessus de la porte sud de Notre-Dame de Paris (17), élevée en 1257. Il est impossible de grouper plus d'ornements et de moulures sur une balustrade, et cependant on remarque qu'ici Jean de Chelles, l'auteur de ce portail, avait compris que l'excès de richesse prodigué sur un petit espace pouvait détruire l'unité de sa composition, car il avait eu le soin de relier cette balustrade aux divisions générales de l'architecture par des colonnettes engagées qui viennent la pénétrer et la forcer, pour ainsi dire, à participer à l'ensemble de la décoration 69.

      Aussi raffinés, mais moins adroits, les architectes du XIVe siècle arrivèrent promptement à la maigreur ou à la lourdeur (car ces deux défauts vont souvent de compagnie dans les compositions d'art), en surchargeant les balustrades de profils et de combinaisons plus surprenantes que belles. Ils cherchèrent souvent des dispositions neuves et ne se contentèrent pas toujours de la claire-voie percée dans une dalle de champ, et couverte par un appui horizontal. Parmi ces nouvelles formes, nous devons citer les crénelages. Les créneaux avec leurs merlons se découpaient vivement au sommet des édifices, et donnaient déjà, par leur simple silhouette, une décoration. On se servit parfois, pendant le XIVe siècle, de cette forme générale, pour l'appliquer aux balustrades. C'est ainsi que fut couronnée la corniche supérieure du choeur de la cathédrale de Troyes 70. Cet exemple de balustrade crénelée ne manque pas d'originalité, mais il a le défaut de n'être nullement en harmonie avec l'édifice; nous ne le donnons d'ailleurs que comme une exception (18).

      Les merlons de cette balustrade crénelée sont alternativement pleins et à jour; les appuis des créneaux sont tous à jour. Derrière chaque merlon plein est un renfort A qui donne du poids à l'ensemble de la construction et retient son dévers. On remarquera que cette balustrade est composée d'assises de pierre d'un assez petit échantillon, et cela vient à l'appui de ce que nous avons dit au commencement de cet article: que les matériaux et leurs dimensions exerçaient une influence sur les formes données aux balustrades. Et, en effet, à Troyes on ne se procurait que difficilement alors des pierres basses, mais longues et larges, propres à la taille des balustrades à jour posées en délit. Il fallait СКАЧАТЬ



<p>69</p>

Il n'existe plus que deux fragments de cette charmante balustrade sur les deux contreforts du portail, mais ces fragments indiquent clairement la disposition de l'ensemble. La richesse de cette balustrade est motivée par l'extrême délicatesse des parties d'architecture qu'elle accompagne et couronne.

<p>70</p>

Le choeur de la cathédrale de Troyes fut construit de 1240 à 1250, mais tous les couronnements extérieurs furent refaits au XIVe siècle.