Название: De l'origine des espèces
Автор: Darwin Charles
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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L'isolement joue aussi un rôle important dans la modification des espèces par la sélection naturelle. Dans une région fermée, isolée et peu étendue, les conditions organiques et inorganiques de l'existence sont presque toujours uniformes, de telle sorte que la sélection naturelle tend à modifier de la même manière tous les individus variables de la même espèce. En outre, le croisement avec les habitants des districts voisins se trouve empêché. Moritz Wagner a dernièrement publié, à ce sujet, un mémoire très intéressant; il a démontré que l'isolement, en empêchant les croisements entre les variétés nouvellement formées, a probablement un effet plus considérable que je ne le supposais moi-même. Mais, pour des raisons que j'ai déjà indiquées, je ne puis, en aucune façon, adopter l'opinion de ce naturaliste, quand il soutient que la migration et l'isolement sont les éléments nécessaires à la formation de nouvelles espèces. L'isolement joue aussi un rôle très important après un changement physique des conditions d'existence, tel, par exemple, que modifications de climat, soulèvement du sol, etc., car il empêche l'immigration d'organismes mieux adaptés à ces nouvelles conditions d'existence; il se trouve ainsi, dans l'économie naturelle de la région, de nouvelles places vacantes, qui seront remplies au moyen des modifications des anciens habitants. Enfin, l'isolement assure à une variété nouvelle tout le temps qui lui est nécessaire pour se perfectionner lentement, et c'est là parfois un point important. Cependant, si la région isolée est très petite, soit parce qu'elle est entourée de barrières, soit parce que les conditions physiques y sont toutes particulières, le nombre total de ses habitants sera aussi très peu considérable, ce qui retarde l'action de la sélection naturelle, au point de vue de la sélection de nouvelles espèces, car les chances de l'apparition de variation avantageuses se trouvent diminuées.
La seule durée du temps ne peut rien par elle-même, ni pour ni contre la sélection naturelle. J'énonce cette règle parce qu'on a soutenu à tort que j'accordais à l'élément du temps un rôle prépondérant dans la transformation des espèces, comme si toutes les formes de la vie devaient nécessairement subir des modifications en vertu de quelques lois innées. La durée du temps est seulement importante – et sous ce rapport on ne saurait exagérer cette importance – en ce qu'elle présente plus de chance pour l'apparition de variations avantageuses et en ce qu'elle leur permet, après qu'elles ont fait l'objet de la sélection, de s'accumuler et de se fixer. La durée du temps contribue aussi à augmenter l'action directe des conditions physiques de la vie dans leur rapport avec la constitution de chaque organisme.
Si nous interrogeons la nature pour lui demander la preuve des règles que nous venons de formuler, et que nous considérions une petite région isolée, quelle qu'elle soit, une île océanique, par exemple, bien que le nombre des espèces qui l'habitent soit peu considérable, – comme nous le verrons dans notre chapitre sur la distribution géographique, – cependant la plus grande partie de ces espèces sont endémiques, c'est-à-dire qu'elles ont été produites en cet endroit, et nulle part ailleurs dans le monde. Il semblerait donc, à première vue, qu'une île océanique soit très favorable à la production de nouvelles espèces. Mais nous sommes très exposés à nous tromper, car, pour déterminer si une petite région isolée a été plus favorable qu'une grande région ouverte comme un continent, ou réciproquement, à la production de nouvelles formes organiques, il faudrait pouvoir établir une comparaison entre des temps égaux, ce qu'il nous est impossible de faire.
L'isolement contribue puissamment, sans contredit, à la production de nouvelles espèces; toutefois, je suis disposé à croire qu'une vaste contrée ouverte est plus favorable encore, quand il s'agit de la production des espèces capables de se perpétuer pendant de longues périodes et d'acquérir une grande extension. Une grande contrée ouverte offre non seulement plus de chances pour que des variations avantageuses fassent leur apparition en raison du grand nombre des individus de la même espèce qui l'habitent, mais aussi en raison de ce que les conditions d'existence sont beaucoup plus complexes à cause de la multiplicité des espèces déjà existantes. Or, si quelqu'une de ces nombreuses espèces se modifie et se perfectionne, d'autres doivent se perfectionner aussi dans la même proportion, sinon elles disparaîtraient fatalement. En outre, chaque forme nouvelle, dès qu'elle s'est beaucoup perfectionnée, peut se répandre dans une région ouverte et continue, et se trouve ainsi en concurrence avec beaucoup d'autres formes. Les grandes régions, bien qu'aujourd'hui continues, ont dû souvent, grâce à d'anciennes oscillations de niveau, exister antérieurement à un état fractionné, de telle sorte que les bons effets de l'isolement ont pu se produire aussi dans une certaine mesure. En résumé, je conclus que, bien que les petites régions isolées soient, sous quelques rapports, très favorables à la production de nouvelles espèces, les grandes régions doivent cependant favoriser des modifications plus rapides, et qu'en outre, ce qui est plus important, les nouvelles formes produites dans de grandes régions, ayant déjà remporté la victoire sur de nombreux concurrents, sont celles qui prennent l'extension la plus rapide et qui engendrent un plus grand nombre de variétés et d'espèces nouvelles Ce sont donc celles qui jouent le rôle le plus important dans l'histoire constamment changeante du monde organisé.
Ce principe nous aide, peut-être, à comprendre quelques faits sur lesquels nous aurons à revenir dans notre chapitre sur la distribution géographique; par exemple, le fait que les productions du petit continent australien disparaissent actuellement devant celles du grand continent européo-asiatique. C'est pourquoi aussi les productions continentales se sont acclimatées partout et en si grand nombre dans les îles. Dans une petite île, la lutte pour l'existence a dû être moins ardente, et, par conséquent, les modifications et les extinctions moins importantes. Ceci nous explique pourquoi la flore de Madère, ainsi que le fait remarquer Oswald Heer, ressemble, dans une certaine mesure, à la flore éteinte de l'époque tertiaire en Europe. La totalité de la superficie de tous les bassins d'eau douce ne forme qu'une petite étendue en comparaison de celle des terres et des mers. En conséquence, la concurrence, chez les productions d'eau douce, a dû être moins vive que partout ailleurs; les nouvelles formes ont dû se produire plus lentement, les anciennes formes s'éteindre plus lentement aussi. Or, c'est dans l'eau douce que nous trouvons sept genres de poissons ganoïdes, restes d'un ordre autrefois prépondérant; c'est également dans l'eau douce que nous trouvons quelques-unes des formes les plus anormales que l'on connaisse dans le monde, l'Ornithorhynque et le Lépidosirène, par exemple, qui, comme certains animaux fossiles, constituent jusqu'à un certain point une transition entre des ordres aujourd'hui profondément séparés dans l'échelle de la nature. On pourrait appeler ces formes anormales de véritables fossiles vivants; si elles se sont conservées jusqu'à notre époque, c'est qu'elles ont habité une région isolée, et qu'elles ont été exposées à une concurrence moins variée et, par conséquent, moins vive.
S'il me fallait résumer en quelques mots les conditions avantageuses ou non à la production de nouvelles espèces par la sélection naturelle, autant toutefois СКАЧАТЬ