Nos femmes de lettres. Flat Paul
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Название: Nos femmes de lettres

Автор: Flat Paul

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ dans la fortune d'un auteur qui fait jouer une pièce dont l'effet immédiat est de «provoquer un élan d'amour dans sa ville» – nous savons trop par expérience que les choses ne se passent pas ainsi – et pour qui «tous les soirs les planches poudreuses de la scène furent comme un profond divan où il posséda le cœur blessé, le cœur traîné des nerveuses spectatrices». Reportons-nous aux documents romantiques… Quel abîme entre le rêve et la réalité! Pourtant, c'est la réalité qu'entend nous dépeindre l'auteur. Qui donc hésiterait à en contester l'artifice?

      Mais nous avons mieux encore, aveu plus catégorique du disciple qui met ses pas dans les pas de ses maîtres, et, s'il se peut dire, proclame son acte de foi. Plus encore que dans la préconception d'Antoine Arnault, sa position dans la vie, son absence complète de lien avec la réalité, ce qu'il y a d'abstrait en lui et qui tient au grossissement des faits par où l'auteur le caractérise, nous avons la marque romantique dans cette exaspération de la sensation qui crée l'amertume dans la volupté. Lorsque, à la suite d'une longue séparation, Donna Marie revoit Antoine et s'attache à lui «avec les grands mouvements de l'être,» écoutez ses accents: «Vous êtes mon jardin refleuri, ma maison retrouvée, ma volupté vivante; vous êtes ma tristesse et ma bouche. Je vous ai! Ah! je vous ai! Non pour ma vie, non pour toujours, mais pour une heure, mais pour une nuit! Cela suffit. Une nuit pour que je saccage mon rêve! Une nuit pour me gorger, pour me lasser de vous! pour que meure en moi jusqu'à la racine de ce désir. Une nuit pour te voir comme tu es, faible, pâli, vieilli, ô mon amour, ô dieu terrible de mon souvenir! Ah! reviens pour que je te goûte encore, et que, délivrée enfin, je puisse dire: J'ai revu Antoine Arnault, il n'est plus comme autrefois. Sainte-Marie, je vous adore et je vous loue: il n'est plus comme autrefois.»

      Brièveté de la sensation amoureuse… Fugacité du bonheur… amertume dans la volupté… Cœur qui se brise et se complaît aux pointes où il vient se meurtrir… Joignez-y l'ardeur de destruction, la rage d'anéantissement qui toujours accompagne les extrêmes de la volupté sensuelle… vous les reconnaissez ces thèmes fameux, dont les variations firent la renommée littéraire des Romantiques, depuis Chateaubriand jusqu'à notre moderne Barrès. Merveilleuse élève en vérité, disciple fidèle, cette étrangère, cette cosmopolite devenue Française par adoption et par adaptation! Elle n'a qu'un tort: c'est de ne pas disposer assez de mystère autour de ses emprunts. Mais serait-elle femme, s'il en était autrement? Mme de Noailles ignore le grand art du clair-obscur et ses magiques effets. Tout cela est trop en lumière, trop évident, trop manifeste pour des yeux non prévenus. Une des premières fois qu'il fut donné, cet accent d'amertume, ce cri de meurtrissure dans la volupté, ce fut par le père de René, et l'on sait la fortune que depuis lors il fit par le monde. Mais ce n'est pas user, c'est abuser, c'est pousser jusqu'à l'indiscrétion, que nous offrir une paraphrase aussi transparente du célèbre morceau où Atala mourante s'écrie: «Tantôt j'aurais voulu être avec toi la seule créature vivante sur la terre. Tantôt, sentant une divinité qui m'arrêtait dans nos horribles transports, j'aurais désiré que cette Divinité se fût anéantie, pourvu que, serrée dans tes bras, j'eusse roulé d'abîme en abîme, avec les débris de Dieu et du monde!»

      Ce n'est point assez pourtant d'avoir fait sa soumission aux demi-dieux du Romantisme: Que, par les soins attentifs de l'auteur, Antoine Arnault, ce moderne homme de lettres parisien, soit revêtu de la défroque illustre des Manfred et des René, que la passionnée Donna Marie pousse son invocation aux puissances destructrices qu'enferme l'instinct d'amour, tel que l'imaginait le père d'Atala, c'est seulement hommage aux grands ancêtres qui inventèrent une forme nouvelle de sensibilité littéraire. Mais comme on est toujours le fils de quelqu'un, on a toujours aussi ses héritiers. Chateaubriand, comme Byron, en eut d'illustres, et Mme de Noailles, après s'être agenouillée dans la partie centrale du temple, continue son action de grâces dans les chapelles latérales. Connaissant ses auteurs autant et mieux qu'écrivain de France, elle se souvient à propos qu'en un morceau de critique fameux: l'École Païenne, poussé par cet instinct de mystification qui se trouvait à la racine de son génie, Baudelaire jeta l'anathème au dieu Pan. Elle lui fera donc, elle, son invocation, car de même que la haine est encore une forme de l'amour, la contradiction peut aussi bien être une forme de l'imitation, et n'est-ce pas brillante attitude pour une jeune romancière, belle et nerveuse cambrure de reins, qui impressionnera la galerie, d'exalter une puissance que Baudelaire, le satanique Baudelaire, si énergiquement ravala aux régions inférieures: «Tous les poètes, et, mon cher Pan, il est beaucoup de poètes, t'attendent dans les jardins: ne les crois pas, lorsqu'ils se pensent mystiques et convertis aux religions de Judée. S'ils disent que leur âme est altérée de mystère, c'est parce qu'ils te cherchent et qu'ils ne t'ont point trouvé. Ah! qu'un matin de Pâques, quand sur les villes chrétiennes les cloches chanteront, vaines poupées de métal, la forêt enfin se ranime! Que l'aulne entende revenir sa nymphe aux jambes mouillées! Que les bergers s'élancent! Que le bouc et la biche resplendissent au soleil, et que, plus haut que les cloches d'argent sur la ville, tout le feuillage chante: Pan est ressuscité!»

      Pour avoir longuement médité l'œuvre de ses devanciers, Mme de Noailles sait la place qu'y tient cette conception particulière de l'amour fondée sur le culte de la sensation exclusive, absorbante et asservissante. Comment ignorerait-elle qu'une telle conception fît le succès d'un d'Annunzio, condensant pour des effets identiques cette sécheresse d'âme et ce cruélisme donjuanesque qui circulent, comme des thèmes animateurs, à travers l'ensemble de ses romans? Les mauvaises langues pourront affirmer que, de tous les traits où s'accuse la plasticité de notre auteur, celui-là fut le plus spontané, et que Donna Marie, c'est le miroir fidèle où vient se réfléchir l'image de la romancière elle-même. Nous n'en voulons rien savoir, ou plutôt nous nous interdisons d'en rien rechercher. Mais quelle surprise tout d'abord, à laquelle il faudra bien nous accoutumer, de voir une femme, de riche et intense culture, faire tenir l'amour dans ce culte de la sensation exclusive, dans cette sorte de fatalité qui réduit tout au geste de l'instinct et n'hésite pas à généraliser avec cette rigueur. «Les femmes, toutes les femmes n'ont-elles point de tendres corps qui se penchent et avancent, tendues vers les mains des hommes? Les doigts se touchent, les genoux se touchent: tout un être attire l'autre être, et dans la saison chaude, les femmes tristes ou légères ne tombent-elles point, comme les fruits las sur la prairie?»

      Il y a là, on le voit, plus qu'un cas individuel… une véritable profession de foi en amour. Telle Donna Marie qui, la première, glissa aux bras d'Antoine Arnault, excuse et doit excuser sa suivante Émilie de s'abandonner à ses étreintes. Sont-elles pas commandées toutes deux par la rigueur de l'instinct? Nous avons parlé du cruélisme d'annunzien: le voici qui se fait jour à travers les complications sentimentales dont il faut bien rehausser ces détentes instinctives. Quand la bacchante Émilie alterne, avec Donna Marie sa maîtresse, dans les bras d'Antoine Arnault, à l'heure de l'abandon, ses yeux «ont le luisant du scarabée», ses cils «le velu de la bête des champs»; elle a «la lueur de l'insecte que l'instinct enflamme et signale au mâle dans la sombre forêt». Sentez-vous pas la plume descriptive qui poursuit avec amour la réalisation voluptueuse et l'image qui donnera satisfaction à sa veine? On s'explique, sans plus abondants commentaires, que le poète, le romancier, le dramaturge Antoine Arnault se dégoûte assez vite de cette bacchante, qui se précipite au-devant de son désir, car les hommes les plus exigeants ont quelque répugnance à constater chez la femme des servitudes correspondantes. On conçoit qu'Antoine Arnault n'espère plus de plaisir, pas même de réelle distraction de sa Sultane-servante. Pourtant il la gardera, car… «Donna Marie le saura-t-elle? Donna Marie souffrira-t-elle?»… tel est le point important. C'est la seule complication sentimentale, le seul conflit à dégager de la situation: le raffinement dans l'amour qui torture, qui s'ingénie à torturer celle qu'il aime. Mme de Noailles développe une fois de plus un thème où s'exerça avec surabondance le cruélisme d'annunzien. En vérité, n'avais-je pas raison de l'écrire?.. si l'on écarte la préconception romantique d'Antoine Arnault et les traits essentiels du héros qui furent empruntés à Manfred, à René, c'est du Sperelli, c'est de l'Effrena de d'Annunzio qu'il tire cette sécheresse d'âme, ce cruélisme, ce culte de la sensation exclusive qui va jusqu'au sadisme imaginatif, aboutissement logique, СКАЧАТЬ