Edouard. Duras Claire de Durfort
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Название: Edouard

Автор: Duras Claire de Durfort

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ et qui devait être suivie de tant d'autres, a laissé comme une trace lumineuse dans mon souvenir. Elle s'occupa de mon père avec la grâce qu'elle met à tout; elle voulait lui prouver qu'elle se souvenait de ce qu'il lui avait autrefois enseigné; elle répétait les graves leçons de mon père, et le choix de ses expressions semblait en faire des pensées nouvelles. Mon père le remarqua et parla du charme que les mots ajoutent aux idées. "Tout a été dit, assurait mon père; mais la manière de dire est inépuisable." Mme de Nevers se mêlait à cette conversation. Je me souviens qu'elle dit qu'elle était née défiante, et qu'elle ne croyait que l'accent et la physionomie de ceux qui lui parlaient. Elle me regarda en disant ces mots: je me sentis rougir, elle sourit; peut-être vit-elle en ce moment en moi la preuve de la vérité de sa remarque.

      Depuis ce jour, je retournai chaque jour à l'hôtel d'Olonne. Habituellement peu confiant, je n'eus pas à dissimuler: l'idée que je pusse aimer Mme de Nevers était si loin de mon père qu'il n'eut pas le moindre soupçon; il croyait que je me plaisais chez M. le maréchal d'Olonne, où se réunissait la société la plus spirituelle de Paris, et il s'en réjouissait. Mon père, assurément, ne manquait ni de sagacité ni de finesse d'observation; mais il avait passé l'âge des passions, il n'avait jamais eu d'imagination, et le respect des convenances régnait en lui à l'égal de la religion, de la morale et de l'honneur; je sentais aussi quel serait le ridicule de paraître occupé de Mme de Nevers, et je renfermais au fond de mon âme une passion qui prenait chaque jour de nouvelles forces.

      Je ne sais si d'autres femmes sont plus belles que Mme de Nevers, mais je n'ai vu qu'à elle cette réunion complète de tout ce qui plaît: la finesse de l'esprit et la simplicité du coeur, la dignité du maintien et la bienveillance des manières; Partout la première, elle n'inspirait point l'envie; elle avait cette supériorité que personne ne conteste, qui semble servir d'appui et exclut la rivalité. Les fées semblaient l'avoir douée de tous les talents et de tous les charmes. Sa voix venait jusqu'au fond de mon âme y porter je ne sais quelles délices qui m'étaient inconnues. Ah! mon ami! qu'importe la vie quand on a senti ce qu'elle m'a fait éprouver! Quelle longue carrière pourrait me rendre le bonheur d'un tel amour?

      Il convenait à ma position dans le monde de me mêler peu de la conversation. M. le maréchal d'Olonne, par bonté pour mon père, me reprochait quelquefois le silence que je préférais garder, et je ne résistais pas toujours à montrer devant Mme de Nevers que j'avais une âme et que j'étais peut-être digne de comprendre la sienne; mais habituellement c'est elle que j'aimais à entendre: je l'écoutais avec délices, je devinais ce qu'elle allait dire, ma pensée achevait la sienne, je voyais se réfléchir sur son front l'impression que je recevais moi-même, et cependant elle m'était toujours nouvelle, quoique je la devinasse toujours.

      Un des rapports les plus doux que la société puisse créer, c'est la certitude qu'on est ainsi deviné. Je ne tardai pas à m'apercevoir que Mme de Nevers sentait que rien n'était perdu pour moi de tout ce qu'elle disait. Elle m'adressait rarement la parole, mais elle m'adressait presque toujours la conversation. Je voyais qu'elle évitait de la laisser tomber sur des sujets qui m'étaient étrangers, sur un monde que je ne connaissais pas; elle parlait littérature; elle parlait quelquefois de la France, de Lyon, de l'Auvergne; elle me questionnait sur nos montagnes et sur la vérité des descriptions de d'Urfé. Je ne sais pourquoi il m'était pénible qu'elle s'occupât ainsi de moi. Les jeunes gens qui l'entouraient étaient aussi d'une extrême politesse, et j'en étais involontairement blessé; j'aurais voulu qu'ils fussent moins polis, ou qu'il me fût permis de l'être davantage. Une espèce de souffrance sans nom s'emparait de moi dès que je me voyais l'objet de l'attention. J'aurais voulu qu'on me laissât seul, dans mon silence, entendre et admirer Mme de Nevers.

      Parmi les jeunes gens qui lui rendaient des soins et qui venaient assidûment à l'hôtel d'Olonne, il y en avait deux qui fixaient plus particulièrement mon attention: le duc de L… et le prince d'Enrichemont. Ce dernier était de la maison de Béthune et descendait du grand Sully; il possédait une fortune immense, une bonne réputation, et je savais que M. le maréchal d'Olonne désirait qu'il épousât sa fille. Je ne sais ce qu'on pouvait reprendre dans le prince d'Enrichemont, mais je ne vois pas non plus qu'il y eût rien à admirer. J'avais appris un mot nouveau depuis que j'étais dans le monde, et je vais m'en servir pour lui: ses formes étaient parfaites. Jamais il ne disait rien qui ne fût convenable et agréablement tourné; mais aussi jamais rien d'involontaire ne trahissait qu'il eût dans l'âme autre chose que ce que l'éducation et l'usage du monde y avaient mis. Cet acquis était fort étendu et comprenait tout ce qu'on ne croirait pas de son ressort. Le prince d'Enrichemont ne se serait jamais trompé sur le jugement qu'il fallait porter d'une belle action ou d'une grande faute; mais, jusqu'à son admiration, tout était factice: il savait les sentiments, il ne les éprouvait pas, et l'on restait froid devant sa passion et sérieux devant sa plaisanterie, parce que la vérité seule touche, et que le coeur méconnaît tout pouvoir qui n'émane pas de lui.

      Je préférais le duc de L… quoiqu'il eût mille défauts. Inconsidéré, moqueur, léger dans ses propos, imprudent dans ses plaisanteries, il aimait pourtant ce qui était bien, et sa physionomie exprimait avec fidélité les impressions qu'il recevait. Mobiles à l'excès, elles n'étaient pas de longue durée; mais enfin il avait une âme, et c'était assez pour comprendre celle des autres. On aurait cru qu'il prenait la vie pour un jour de fête, tant il se livrait à ses plaisirs; toujours en mouvement, il mettait autant de prix à la rapidité de ses courses que s'il eût eu les affaires les plus importantes. Il arrivait toujours trop tard, et cependant il n'avait jamais mis que cinquante minutes pour venir de Versailles; il entrait sa montre à la main, en racontant une histoire ridicule ou je ne sais quelle folie qui faisait rire tout le monde. Généreux, magnifique, le duc de L… méprisait l'argent et la vie; et, quoiqu'il prodiguât l'un et l'autre d'une manière souvent indigne du prix du sacrifice, j'avoue à ma honte que j'étais séduit par cette sorte de dédain de ce que les hommes prisent le plus. Il y a de la grâce dans un homme à ne reconnaître aucun obstacle, et, quand on expose gaiement sa vie dans une course de chevaux ou qu'on risque sa fortune sur une carte, il est difficile de croire qu'on n'exposerait pas l'une et l'autre avec encore plus de plaisir dans une occasion sérieuse. L'élégance du duc de L… me convenait donc beaucoup plus que les manières un peu compassées du prince d'Enrichemont; mais je n'avais qu'à me louer de tous deux. Les bontés de M. le maréchal d'Olonne m'avaient établi dans sa société de la manière qui pouvait le moins me faire sentir l'infériorité de la place que j'y occupais. Je n'avais presque pas senti cette infériorité dans les premiers jours; maintenant elle commençait à peser sur moi. Je me défendais par le raisonnement, mais le souvenir de Mme de Nevers était encore un meilleur préservatif: il m'était bien facile de m'oublier quand je pensais à elle, et j'y pensais à chaque instant.

      Un jour, on avait parlé longtemps dans le salon du dévouement de Mme de B… qui s'était enfermée avec son amie intime, Mme d'Anville, malade et mourante de la petite vérole. Tout le monde avait loué cette action, et l'on avait cité plusieurs amitiés de jeunes femmes dignes d'être comparées à celle-là. J'étais debout devant la cheminée et près du fauteuil de Mme de Nevers. "Je ne vous vois point d'amie intime, lui dis-je. – J'en ai une qui m'est bien chère, me répondit-elle: c'est la soeur du duc de L… Nous sommes liées depuis l'enfance, mais je crains que nous ne soyons séparées pour bien longtemps: le marquis de C… son mari, est ministre en Hollande, et elle est à La Haye depuis six mois. – Ressemble-t-elle à son frère? demandai-je. – Pas du tout, reprit Mme de Nevers; elle est aussi calme qu'il est étourdi. C'est un grand chagrin pour moi que son absence, dit Mme de Nevers. Personne ne m'est nécessaire que Madame de C…: elle est ma raison; je ne me suis jamais mise en peine d'en avoir d'autre, et à présent que je suis seule je ne sais plus me décider à rien. – Je ne vous aurais jamais cru cette indécision dans le caractère, lui dis-je. – Ah! reprit-elle, il est si facile de cacher ses défauts dans le monde! Chacun met à peu près le même habit, et ceux qui passent n'ont pas le temps de voir que les visages sont différents. – Je rends grâces au Ciel d'avoir été élevé comme un sauvage, repris-je: cela me préserve de voir le monde dans cette ennuyeuse uniformité; je suis СКАЧАТЬ