La Comédie humaine – Volume 03. Honore de Balzac
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Название: La Comédie humaine – Volume 03

Автор: Honore de Balzac

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ cœur?

      Ces paroles, empreintes d'une horrible coquetterie, étaient le dernier effort de la sagesse. – S'il se décourage, eh! bien, je resterai seule et fidèle. Cette pensée vint au cœur de cette femme, et fut pour elle ce qu'est la branche de saule trop faible que saisit un nageur avant d'être emporté par le courant. En entendant cet arrêt, Vandenesse laissa échapper un tressaillement involontaire qui fut plus puissant sur le cœur de la marquise que ne l'avaient été toutes ses assiduités passées. Ce qui touche le plus les femmes, n'est-ce pas de rencontrer en nous des délicatesses gracieuses, des sentiments exquis autant que le sont les leurs; car chez elles la grâce et la délicatesse sont les indices du vrai. Le geste de Charles révélait un véritable amour. Madame d'Aiglemont connut la force de l'affection de Vandenesse à la force de sa douleur. Le jeune homme dit froidement: – Vous avez peut-être raison. Nouvel amour, chagrin nouveau. Puis, il changea de conversation, et s'entretint de choses indifférentes, mais il était visiblement ému, regardait madame d'Aiglemont avec une attention concentrée, comme s'il l'eût vue pour la dernière fois. Enfin, il la quitta, en lui disant avec émotion: – Adieu, madame.

      – Au revoir, dit-elle avec cette coquetterie fine dont le secret n'appartient qu'aux femmes d'élite. Il ne répondit pas, et sortit.

      Quand Charles ne fut plus là, que sa chaise vide parla pour lui, elle eut mille regrets, et se trouva des torts. La passion fait un progrès énorme chez une femme au moment où elle croit avoir agi peu généreusement, ou avoir blessé quelque âme noble. Jamais il ne faut se défier des sentiments mauvais en amour, ils sont très salutaires; les femmes ne succombent que sous le coup d'une vertu. L'enfer est pavé de bonnes intentions, n'est pas un paradoxe de prédicateur. Vandenesse resta pendant quelques jours sans venir. Pendant chaque soirée, à l'heure du rendez-vous habituel, la marquise l'attendit avec une impatience pleine de remords. Écrire était un aveu; d'ailleurs, son instinct lui disait qu'il reviendrait. Le sixième jour, son valet de chambre le lui annonça. Jamais elle n'entendit ce nom avec plus de plaisir. Sa joie l'effraya.

      – Vous m'avez bien punie! lui dit-elle.

      Vandenesse la regarda d'un air hébété.

      – Punie! répéta-t-il. Et de quoi?

      Charles comprenait bien la marquise; mais il voulait se venger des souffrances auxquelles il avait été en proie, du moment où elle les soupçonnait.

      – Pourquoi n'êtes-vous pas venu me voir? demanda-t-elle en souriant.

      – Vous n'avez donc vu personne? dit-il pour ne pas faire une réponse directe.

      – Monsieur de Ronquerolles et monsieur de Marsay, le petit d'Esgrignon, sont restés ici, l'un hier, l'autre ce matin, près de deux heures. J'ai vu, je crois, aussi madame Firmiani et votre sœur, madame de Listomère.

      Autre souffrance! Douleur incompréhensible pour ceux qui n'aiment pas avec ce despotisme envahisseur et féroce dont le moindre effet est une jalousie monstrueuse, un perpétuel désir de dérober l'être aimé à toute influence étrangère à l'amour.

      – Quoi! se dit en lui-même Vandenesse, elle a reçu, elle a vu des êtres contents, elle leur a parlé, tandis que je restais solitaire, malheureux!

      Il ensevelit son chagrin et jeta son amour au fond de son cœur, comme un cercueil à la mer. Ses pensées étaient de celles que l'on n'exprime pas; elles ont la rapidité de ces acides qui tuent en s'évaporant. Cependant son front se couvrit de nuages, et madame d'Aiglemont obéit à l'instinct de la femme en partageant cette tristesse sans la concevoir. Elle n'était pas complice du mal qu'elle faisait, et Vandenesse s'en aperçut. Il parla de sa situation et de sa jalousie, comme si c'eût été l'une de ces hypothèses que les amants se plaisent à discuter. La marquise comprit tout, et fut alors si vivement touchée qu'elle ne put retenir ses larmes. Dès ce moment, ils entrèrent dans les cieux de l'amour. Le ciel et l'enfer sont deux grands poèmes qui formulent les deux seuls points sur lesquels tourne notre existence: la joie ou la douleur. Le ciel n'est-il pas, ne sera-t-il pas toujours une image de l'infini de nos sentiments qui ne sera jamais peint que dans ses détails, parce que le bonheur est un; et l'enfer ne représente-t-il pas les tortures infinies de nos douleurs dont nous pouvons faire œuvre de poésie, parce qu'elles sont toutes dissemblables?

      Un soir, les deux amants étaient seuls, assis l'un près de l'autre, en silence, et occupés à contempler une des plus belles phases du firmament, un de ces ciels purs dans lesquels les derniers rayons du soleil jettent de faibles teintes d'or et de pourpre. En ce moment de la journée, les lentes dégradations de la lumière semblent réveiller les sentiments doux; nos passions vibrent mollement, et nous savourons les troubles de je ne sais quelle violence au milieu du calme. En nous montrant le bonheur par de vagues images, la nature nous invite à en jouir quand il est près de nous, ou nous le fait regretter quand il a fui. Dans ces instants fertiles en enchantements, sous le dais de cette lueur dont les tendres harmonies s'unissent à des séductions intimes, il est difficile de résister aux vœux du cœur qui ont alors tant de magie! alors le chagrin s'émousse, la joie enivre, et la douleur accable. Les pompes du soir sont le signal des aveux et les encouragent. Le silence devient plus dangereux que la parole, en communiquant aux yeux toute la puissance de l'infini des cieux qu'ils reflètent. Si l'on parle, le moindre mot possède une irrésistible puissance. N'y a-t-il pas alors de la lumière dans la voix, de la pourpre dans le regard? Le ciel n'est-il pas comme en nous, ou ne nous semble-t-il pas être dans le ciel? Cependant Vandenesse et Juliette, car depuis quelques jours elle se laissait appeler ainsi familièrement par celui qu'elle se plaisait à nommer Charles; donc tous deux parlaient, mais le sujet primitif de leur conversation était bien loin d'eux; et, s'ils ne savaient plus le sens de leurs paroles, ils écoutaient avec délices les pensées secrètes qu'elles couvraient. La main de la marquise était dans celle de Vandenesse, et elle la lui abandonnait sans croire que ce fût une faveur.

      Ils se penchèrent ensemble pour voir un de ces majestueux paysages pleins de neige, de glaciers, d'ombres grises qui teignent les flancs de montagnes fantastiques; un de ces tableaux remplis de brusques oppositions entre les flammes rouges et les tons noirs qui décorent les cieux avec une inimitable et fugace poésie; magnifiques langes dans lesquels renaît le soleil, beau linceul où il expire. En ce moment, les cheveux de Juliette effleurèrent les joues de Vandenesse; elle sentit ce contact léger, elle en frissonna violemment, et lui plus encore; car tous deux étaient graduellement arrivés à une de ces inexplicables crises où le calme communique aux sens une perception si fine, que le plus faible choc fait verser des larmes et déborder la tristesse si le cœur est perdu dans ces mélancolies, ou lui donne d'ineffables plaisirs s'il est perdu dans les vertiges de l'amour. Juliette pressa presque involontairement la main de son ami. Cette pression persuasive donna du courage à la timidité de l'amant. Les joies de ce moment et les espérances de l'avenir, tout se fondit dans une émotion, celle d'une première caresse, du chaste et modeste baiser que madame d'Aiglemont laissa prendre sur sa joue. Plus faible était la faveur, plus puissante, plus dangereuse elle fut. Pour leur malheur à tous deux, il n'y avait ni semblant ni fausseté. Ce fut l'entente de deux belles âmes, séparées par tout ce qui est loi, réunies par tout ce qui est séduction dans la nature. En ce moment le général d'Aiglemont entra.

      – Le ministère est changé, dit-il. Votre oncle fait partie du nouveau cabinet. Ainsi, vous avez de bien belles chances pour être ambassadeur, Vandenesse.

      Charles et Julie se regardèrent en rougissant. Cette pudeur mutuelle fut encore un lien. Tous deux, ils eurent la même pensée, le même remords; lien terrible et tout aussi fort entre deux brigands qui viennent d'assassiner un homme qu'entre deux amants coupables d'un baiser. Il fallait une réponse au marquis.

      – Je ne veux plus quitter Paris, dit Charles Vandenesse.

      – Nous savons pourquoi, répliqua le général en affectant СКАЧАТЬ