La Vie en Famille: Comment Vivre à Deux?. Gausseron Bernard Henri
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СКАЧАТЬ mieux. Puis, pour combattre cette déplorable habitude qu'ont les domestiques de changer à chaque instant de place, n'acceptez jamais un nouveau serviteur s'il ne vous apporte pas la preuve qu'il est resté au minimum deux ans dans la maison d'où il sort. Ah! si chacun de nous prenait cet engagement, quelle rapide amélioration dans notre mal! Et puis, songez quelquefois à l'axiome de Beaumarchais: «Aux qualités qu'on exige d'un domestique, connaissez-vous beaucoup de maîtres qui fussent dignes d'être valets?..»

      »En finissant, il est de toute justice de dire qu'il y a souvent de nobles cœurs dans la livrée. Que d'exemples ne pourrait-on citer: je n'en connais pas de plus touchant que celui-ci:

      «Un ancien négociant avait tout perdu: sa femme, ses enfants, sa fortune; il ne lui restait qu'une vieille domestique. Cette pauvre femme s'attacha à lui avec un admirable dévouement. Il était atteint d'une affreuse maladie de la peau; elle le soigna nuit et jour. Ce n'est pas tout; elle allait voir les vieux amis de son maître à son insu, et obtenait quelques secours. Un matin elle rentrait harassée; elle entend des éclats de voix et des rires, elle s'arrête et écoute: on se moquait d'elle, son vieux maître contrefaisait sa voix.

      » – Ah! dit-elle, mon premier mouvement fut de m'en aller en courant, puis je songeai qu'il était vieux, malade, qu'il avait besoin de moi; je retins mes larmes et remuai bruyamment la clef dans la serrure avant d'entrer.»

      «Un honneste serviteur, dit le vieux gentilhomme français de La Hoguette, dans son Testament, est le surveillant de son maître, et un bon maître l'exemplaire de son serviteur. C'est pourquoi il n'y a point de combinaison entre les hommes, après celle du mari et de la femme, qui ait plus besoin d'estre bien faite que celle-ci.»

      J'ai rarement vu la moralité du contrat entre maître et serviteur dégagée avec plus de netteté, d'élévation et d'éloquence que dans ces lignes, que je suis heureux d'exhumer:

      «Que penses-tu que fasse pour moi celui que tu crois un serviteur? Il me sert; tu te trompes, il se sert: le même travail qu'il feroit en sa maison pour vivre, il le fait en la mienne; s'il m'engage sa volonté pour me rendre quelque service, la mienne lui demeure en ôtage pour son salaire; si je trouve mon compte en ce qu'il fait pour moi, il y trouve le sien aussi; s'il se mêle de mes affaires, on s'aperçoit qu'il ne néglige pas les siennes; s'il fait valoir ma terre, il en partage les fruits à l'aise avec moi; s'il m'appreste à manger, il en taste le premier, il y contribuë de sa peine, et moi de toute la dépense. Notre communauté se découvre en tant de choses, que tout bien considéré, je trouve que l'assemblage du serviteur avec le maître n'est autre chose qu'une société qui se fait entre le pauvre et le riche pour leur utilité commune, en laquelle il n'y a aucune différence que le nom.»

      Un peu plus loin, de La Hoguette dit encore: «Tout service fait sans affection est sans goût; si on me le rend à regret, quoi qu'il me soit dû, je le reçois encore plus à regret; il n'y a que la chaleur du cœur toute seule qui le puisse bien assaisonner. Cela étant, faisons-nous aimer de nos serviteurs; pour en estre aimé il les faut aimer: l'amitié ne reçoit que ce seul change.»

      Charron avait exprimé plus didactiquement la même pensée:

      «Traitter humainement ses serviteurs, et chercher plustost à se faire aimer que craindre est tesmoignage de bonne nature: les rudoyer par trop, monstre une ame cruelle, et que la volonté est toute pareille envers les autres hommes, mais que le defaut de puissance empesche l'execution. Aussi avoir soin de leur santé et instruction de ce qui est requis pour leur bien et salut.»

      Fénelon y revient souvent. Nous avons eu l'occasion, dans les livres qui ont précédé celui-ci, de toucher plus d'une fois à la question des domestiques, et d'en parler dans le même sens6.

      Il résume tout, pour ainsi dire, dans ce passage:

      «Tâchez de vous faire aimer de vos gens sans aucune basse familiarité: n'entrez pas en conversation avec eux; mais aussi ne craignez pas de leur parler assez souvent avec affection et sans hauteur sur leurs besoins. Qu'ils soient assurés de trouver du conseil et de la compassion: ne les reprenez point aigrement de leurs défauts; n'en paraissez ni surpris ni rebuté, tant que vous espérez qu'ils ne seront pas incorrigibles; faites-leur entendre doucement raison, et souffrez d'eux souvent pour le service, afin d'être en état de les convaincre de sang-froid que c'est sans chagrin et sans impatience que vous leur parlez, bien moins pour votre service que pour leur intérêt.»

      On comprend que la conduite des domestiques et notre conduite vis à vis d'eux soient une difficulté de chaque instant dans le ménage. Cela introduit une complication extrême et de très désagréable nature dans la vie à deux; et si nous ne tenions, pour de délicates raisons de discrétion que l'on appréciera sans doute, à rester dans les généralités, il nous serait facile de mettre le doigt sur bien des plaies, ouvertes et entretenues dans le cœur des époux par les domestiques ou à leur occasion. Nous nous contenterons de citer ce qu'Horace Raisson dit de la femme de chambre:

      «La femme de chambre a une grande influence sur la fidélité conjugale. Confidente née des secrets du ménage, adroite et fière, elle sera toujours disposée à en abuser; sotte, elle commettra à tous propos des inconséquences ou des balourdises. C'est un art difficile et rare, que celui de bien styler une femme de chambre.»

      Bien stylée ou non, la femme de chambre est souvent un instrument de désunion entre les époux. Son service, plus personnel, qui la met à chaque instant en contact avec les maîtres, la rend plus dangereuse en lui donnant plus de moyens pour faire du mal. Mais ses collègues des deux sexes, à la cuisine, à l'écurie, dans l'antichambre, à la loge, ne lui cèdent en rien lorsque l'occasion se présente ou qu'elle peut se faire naître. Le nombre de ménages ébranlés, chagrinés, disloqués, détruits par les jalousies que ces gens suscitent, par leurs faux rapports, leurs insinuations perfides, leurs lettres anonymes, leurs complaisances insinuantes, leurs manœuvres de toutes sortes, à la fois basses et audacieuses, est littéralement inimaginable.

      Certes ce n'est pas nous qui trouverons mauvais que les maîtres rendent aux serviteurs la vie plus douce, en s'intéressant à eux et en leur accordant une affectueuse attention. Mais qu'ils prennent garde? La pente de la familiarité est facile, et s'ils s'y laissent une fois glisser, ils ne pourront plus retenir ni leurs domestiques ni eux:

      «Dès que vous oubliez votre place vis-à-vis d'un domestique, vous l'autorisez à oublier la sienne vis-à-vis de vous», dit Ferrand, et il dit vrai.

      C'est ainsi que le bonheur conjugal, comme toutes les choses précieuses et délicates, est entouré, assiégé par une foule d'ennemis avides. On croirait voir des guêpes attaquant un beau fruit, au moment où sa maturité parfaite le rend le plus délicieux.

      Mais que de fois, sans compter les guêpes et autres insectes de l'extérieur, le fruit ne porte-t-il pas en lui son ver rongeur! «Le plus dangereux ennemi du bonheur des jeunes femmes, et par contre-coup du repos des maris, dit le Code conjugal, c'est l'imagination. Le jour où elles se croient opprimées, il n'est rien qu'elles ne soient capables d'entreprendre pour s'affranchir, ou du moins se venger; leur refuser une chose juste, c'est allumer en elles la volonté de l'obtenir et le désir d'en abuser.»

      Rien n'est plus désolant que de voir des jeunes femmes, entourées de tout ce qui donne et assure le bonheur, devenir ainsi les victimes d'elles-mêmes, et empoisonner ceux qu'elles aiment le mieux du chagrin de leurs imaginaires griefs. Dans tous les cas, si la passion n'est pas portée au point que tout ce qui n'est pas elle soit indifférent, si l'on a encore quelque souci de l'opinion du monde, quelque respect de soi, quelque espoir ou quelque désir que les maux dont on souffre se guérissent un jour, ayons toujours présent à l'esprit ce conseil dont on sent de plus en plus la justesse à mesure que l'expérience nous instruit: «On agit sagement en cachant avec un soin СКАЧАТЬ



<p>6</p>

Doit-on se marier? p. 169 et suiv. —Comment élever nos enfants? p. 213 et suiv. —Que faire de nos filles? pp. 231 et suiv., 297, 308.