Mémoires d'un cambrioleur retiré des affaires. Galopin Arnould
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СКАЧАТЬ ce n'est pas si certain que cela. Voyons, vous supposez bien qu'un homme de mon acabit, un professionnel du cambriolage ne se serait pas risqué à tenter un coup comme celui-là, s'il n'avait su d'avance où placer le «produit de son travail». Je ne suis plus un novice et la discrétion que j'observe en toutes choses m'a valu la confiance, je dirai plus, l'amitié de certain négociant d'Amsterdam qui s'entend, comme pas un, à tailler le diamant.

      C'est à lui que je m'adresserai. Il partagera le Régent en plusieurs morceaux et le vendra ainsi au détail, en prélevant, comme il est juste, pour sa part, une sérieuse commission. Tout compte fait, il me reviendra de cette vente quelques petits millions que je saurai employer, je vous prie de le croire.

      Edith, d'ailleurs, m'aidera de son mieux, car pour gaspiller l'argent, elle n'a pas sa pareille.

      Puisque je viens de prononcer le nom d'Edith, je crois que je ne dois plus tarder à vous la présenter. Edith est ma maîtresse, une maîtresse ravissante, exquise, jolie, comme le sont les Anglaises quand elles se mettent à être jolies. Je l'ai connue à Ramsgate où j'étais allé me reposer un peu des fatigues du métier, il y a de cela un an, et j'avoue que, depuis notre première rencontre, elle a toujours fait preuve d'une fidélité vraiment exemplaire. De plus, et cela est aussi très appréciable, aucun nuage n'est venu ternir notre lune de miel.

      Bien entendu, je n'ai jamais révélé ma profession à Edith, car les femmes, si parfaites qu'elles soient, ont toujours une tendance à trop bavarder et, bien que je m'honore de pratiquer le cambriolage, j'ai craint qu'elle n'éprouvât quelque répugnance pour cette sorte d'art que réprouve une morale trop étroite. Elle me croit, sinon riche, du moins fort à l'aise et ignore, la pauvre chatte, que les deux billets de mille francs qui se trouvent dans mon secrétaire constituent pour l'instant toute ma fortune.

      C'est, vous le devinez, à Edith que je songeais en regagnant pédestrement mon domicile, là-haut, sur la butte Montmartre.

      La période de morte-saison que je venais de traverser ne m'avait pas permis de m'installer, comme je le souhaitais, dans un quartier aristocratique, mais bientôt ce désir se trouverait exaucé, grâce au Régent, et George-Edgar Pipe, au lieu d'habiter un petit logement meublé de deux cents francs par mois, aurait son hôtel à lui, ses domestiques, son auto.

      Alors, les gens qui aujourd'hui le regardaient avec mépris, ambitionneraient l'honneur de lui être présentés, car à Paris, comme à Londres, cela est un fait constant, on ne s'inquiète guère de savoir comment les gens se sont enrichis. Les moyens employés pour parvenir importent peu, c'est le résultat qui est tout.

      Or, le «résultat», je l'avais là, dans la poche de mon gilet, sous la forme d'un petit polyèdre que je palpais amoureusement, de temps à autre, entre le pouce et l'index.

      Au moment où j'arrivais devant ma porte, une crainte me saisit. Depuis que je vivais avec Edith, c'était la première fois que je découchais…

      Comment allait-elle prendre la chose?

      Bah! me dis-je, je trouverai bien un prétexte pour m'excuser… Et tout en montant l'escalier, je préparais ma défense, mais, chose curieuse, moi qui d'ordinaire ne manque pas d'imagination, j'avais beau me torturer la cervelle, je ne trouvais rien… mais là, absolument rien.

      En désespoir de cause, je me résolus à invoquer l'excuse de l'attaque nocturne… Cela réussit toujours et a l'avantage d'exciter terriblement les nerfs des femmes… C'est cela… Je dirais que l'on m'avait attaqué, que fort heureusement des agents étaient accourus à mon appel, que l'on avait arrêté mes agresseurs, et que j'avais dû aller au poste pour y décliner mes nom et qualité, subir la confrontation de rigueur et signer une plainte en bonne et due forme…

      Edith, à n'en pas douter, se laisserait facilement convaincre… Peut-être ferait-elle un peu la moue, mais j'ai un moyen infaillible pour dérider mon adorable maîtresse et la rendre plus aimante que jamais.

      J'introduisis doucement ma clef dans la serrure, ouvris la porte et la refermai sans bruit, puis, après m'être débarrassé dans le vestibule de mon chapeau et de mon pardessus, je me dirigeai vers la chambre d'Edith – la nôtre par conséquent, car vous supposez bien que nous ne faisions pas lit à part. D'ordinaire, une petite lampe d'albâtre brûlait, toute la nuit, sur la cheminée, aussi fus-je assez surpris de trouver la pièce obscure… J'avançai de quelques pas, cherchai en tâtonnant le commutateur. Une clarté brusque jaillit et je constatai, avec une émotion que l'on s'imagine sans peine, que le lit était vide.

      Edith, elle aussi, avait découché!

      Je ne pus croire, tout d'abord, à une telle audace de sa part. Edith était plutôt d'une nature timide et il me semblait impossible qu'elle eût pris, en ne me voyant pas rentrer, une si brutale décision. Sans doute était-elle allée à ma rencontre… et je la verrais bientôt reparaître… Peut-être aussi, comme elle était très peureuse, s'était-elle réfugiée chez une voisine qui habitait sur le même palier et nous rendait, de temps à autre, quelques menus services.

      J'errais dans la chambre, comme une âme en peine, inquiet et furieux tout à la fois, quand un billet placé sur la table de nuit frappa mes regards. Je m'approchai vivement, m'emparai de ce papier et ne pus retenir un cri de rage.

      Edith était partie… elle avait, c'est le cas de le dire, filé à l'anglaise!

      «Mon cher Edgar, m'expliquait-elle, l'air de Paris ne me vaut rien et je sens bien que je ne m'habituerai jamais à la vie française… Excusez-moi de vous quitter si brusquement, mais je ne pouvais plus y tenir… J'ai ce que nous appelons là-bas le homesickness1 et j'ai besoin de me retremper un peu dans l'atmosphère du Strand et de Piccadilly. J'ose espérer que vous vous consolerez vite, et que vous m'excuserez aussi de vous avoir «emprunté» quelque argent pour couvrir mes frais de voyage et me permettre de vivre tranquille, en attendant que je trouve une situation. J'ai pris les deux mille francs qui étaient dans le secrétaire et je vous les renverrai peut-être un jour. Dans le cas où vous déménageriez, prévenez-moi poste restante, bureau de Charing Cross. Je ne vous dis pas adieu, Edgar, car j'espère bien vous revoir. Je vous aime encore, croyez-le, mais décidément, je m'ennuyais trop à Paris…»

      Bien que je sois, depuis longtemps, cuirassé contre les coups du sort, j'avoue que celui-là me sembla plutôt dur et que, dans ma rage, je prodiguai à Edith tous les noms que le slang de Whitechapel réserve d'ordinaire aux affreuses créatures d'Aldgate ou de Drury-Lane… Il y avait sur la cheminée un portrait de ma maîtresse, je le jetai sur le parquet, le piétinai avec frénésie et lacérai furieusement le kimono de soie bleue qu'elle avait oublié sur un fauteuil.

      Ainsi, elle avait fui, la petite hypocrite, fui en emportant toutes mes économies: ces deux mille francs sur lesquels je comptais pour passer en Hollande!.. Elle avait, au moyen d'une pince, forcé la serrure de mon secrétaire…

      Moi, Edgar Pipe, le «roi des cambrioleurs», j'avais été refait par une femme! et cela, au moment où je venais d'accomplir une expédition qui m'assurait la fortune.

      J'explorai quand même les tiroirs de mon secrétaire, espérant qu'Edith, prise de remords au moment de partir, m'aurait au moins laissé un ou deux billets… Mais non… elle avait tout pris, la misérable, et je me trouvais maintenant avec quarante francs en poche!!

      Je me jetai tout habillé sur mon lit et ne tardai pas à m'endormir profondément, car les émotions, chose bizarre, exercent sur moi une singulière influence. Au lieu de m'énerver et de m'horripiler jusqu'à l'exaspération, elles finissent par m'anéantir et je goûte alors un sommeil de brute.

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<p>1</p>

Mal du pays.