Julia de Trécoeur. Feuillet Octave
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Название: Julia de Trécoeur

Автор: Feuillet Octave

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ devant M. de Lucan la joie dont elle était oppressée. Quelque désir qu'elle éprouvât de serrer immédiatement sur son coeur ce gendre idéal, elle ajourna cette satisfaction et se contenta de lui exprimer ses sympathies personnelles. S'associant, d'ailleurs, à la juste impatience de M. de Lucan, elle lui conseilla de se présenter le soir même chez madame de Trécoeur, dont elle ignorait les sentiments particuliers, mais qui accueillerait tout au moins sa démarche avec l'estime et la considération dues à un homme de son mérite. Demeurée seule, la baronne s'épancha dans un monologue mêlé de larmes: elle se fit, d'ailleurs, une exquise petite fête maternelle de ne pas prévenir Clodilde et de lui laisser tout entière la saveur de cette surprise.

      Le coeur des femmes est un organe indéfiniment plus délicat que le nôtre. L'exercice incessant qu'elles lui donnent y développe des facultés d'une finesse et d'une subtilité auxquelles la sèche intelligence n'atteint jamais; c'est ce qui explique leurs pressentiments, moins rares et plus sûrs que les nôtres. Il semble que leur sensibilité, toujours tendue et vibrante, soit avertie par des courants mystérieux, et qu'elle devine avant de comprendre. Clodilde, lorsqu'on lui annonça M. de Lucan, fut comme traversée par une de ces électricités secrètes, et, malgré toutes les objections contraires dont son esprit était obsédé, elle sentit qu'elle était aimée et qu'on allait le lui dire. Elle s'assit dans son grand fauteuil, en ramenant des deux mains la soie de sa robe, avec un geste d'oiseau qui bat des ailes.

      Le trouble visible de Lucan acheva de l'instruire et de la ravir. Chez de tels hommes, armés de passions puissantes, mais sévèrement contenues, habituées à se maîtriser, intrépides et calmes, le trouble est effrayant ou charmant.

      Après l'avoir informée, ce qui était inutile, que sa démarche auprès d'elle était une démarche extraordinaire:

      – Madame, ajouta-t-il, la demande que je vais vous adresser exige, je le sais, une réponse réfléchie… Aussi vous supplierai-je de ne pas me faire cette réponse aujourd'hui, d'autant plus qu'il me serait véritablement trop pénible de l'entendre de votre bouche, si elle n'était pas favorable.

      – Mon Dieu, monsieur… dit Clodilde à demi-voix.

      – Madame votre mère, madame que j'ai eu l'honneur de voir dans la journée, a bien voulu m'encourager – dans une certaine mesure – à espérer que vous m'accordiez quelque estime… que vous n'aviez du moins contre moi aucune prévention… Quant à moi, madame, je… Mon Dieu, je vous aime, en un mot, et je n'imagine pas de plus grand bonheur au monde que celui que je tiendrais de vous. Vous me connaissez depuis longtemps. Je n'ai rien à vous dire de moi… Et maintenant, j'attendrai.

      Elle se retint d'un signe, et elle essaya de parler; mais ses yeux se voilèrent de larmes. Elle cacha sa tête dans ses mains, et murmura:

      – Pardon! j'ai été si peu heureuse!.. Je ne sais pas ce que c'est!

      Lucan se mit doucement à genoux devant elle, et, quand leurs regards se rencontrèrent, leurs deux coeurs s'emplirent soudain comme deux coupes.

      – Parlez, mon ami, reprit-elle. Dites-moi encore que vous m'aimez… J'étais si loin de le croire! Et pourquoi?.. Et depuis quand?

      Il lui expliqua sa méprise, sa lutte douloureuse entre son amour pour elle et son amitié pour Pierre.

      – Pauvre Pierre! dit Clodilde, quel brave homme!.. Mais vraiment non!

      Puis il la fit sourire en lui contant la terreur et la défiance mortelles qui l'avaient envahi au moment où il lui demandait l'arrêt de sa destinée; elle lui avait semblé plus que jamais, en cet instant-là, une créature charmante et sainte, et tellement au-dessus de lui, que sa prétention d'être aimé d'elle, d'être son mari, lui était apparue tout à coup comme une sorte de folie sacrilége.

      – Oh! mon Dieu, dit-elle, quelle idée vous faites-vous donc de moi?.. C'est effrayant!.. au contraire, je me croyais trop simple, trop terre-à-terre pour vous; je me disais que vous deviez aimer les passions romanesques, les grandes aventures… vous en avez un peu la mine, et même la réputation… et je suis si peu une femme comme cela!

      Sur cette légère invite, il lui dit deux mots de sa vie passée, banalement orageuse, et qui ne lui avait laissé que désenchantements et dégoûts. Cependant jamais, avant de l'avoir rencontrée, la pensée de se marier ne lui était venue; en fait d'amour comme en fait d'amitié, il avait toujours eu l'imagination éprise d'un certain idéal, un peu romanesque en effet, et il avait craint de ne pas le trouver dans le mariage. Il avait pu le chercher ailleurs, dans les grandes aventures, comme elle disait; mais il aimait l'ordre et la dignité de la vie, et il avait le malheur de ne pouvoir vivre en guerre avec sa conscience. Telle avait été sa jeunesse troublée.

      – Vous me demandez, poursuivit-il avec effusion, pourquoi je vous aime… Je vous aime parce que vous seule avez mis d'accord dans mon coeur deux sentiments qui se l'étaient toujours disputé avec de cruels déchirements, la passion et l'honnêteté… Jamais, avant de vous connaître, je n'avais cédé à l'un de ces sentiments sans être horriblement misérable par l'autre… Ils m'avaient toujours paru inconciliables… Jamais je n'avais cédé à la passion sans remords; jamais je ne lui résistais sans regret… Fort ou faible, j'ai toujours été malheureux et torturé… Vous seule m'avez fait comprendre qu'on pouvait aimer à la fois avec toute l'ardeur et toute la dignité de son âme, et je vous ai choisie, parce que vous êtes aimante et que vous êtes vraie, parce que vous êtes belle et que vous êtes pure, parce que vous êtes le devoir et le charme… l'amour et le respect… l'ivresse et la paix… Voilà pourquoi je vous aime… Voilà quelle femme, quel ange vous êtes pour moi Clodilde!

      Elle l'écoutait, à demi penchée, aspirant ses paroles, et montrant dans ses yeux une sorte d'étonnement céleste.

      Mais il semble – qui ne l'a éprouvé? – que le bonheur humain ne puisse toucher certains sommets sans appeler la foudre. – Clodilde, au milieu de son extase, frémit tout à coup et se dressa. Elle venait d'entendre un cri étouffé, qui fut suivi du bruit sourd d'une chute. Elle courut, ouvrit la porte, et vit à deux pas dans le salon voisin Julia étendue sur le parquet.

      Elle comprit que l'enfant, au moment d'entrer, avait saisi quelques-unes de leurs paroles, et que la pensée de voir la place de son père occupée par un autre, la frappant ainsi sans préparation, avait bouleversé jusqu'au fond cette jeune âme passionnée. Clodilde la suivit dans la chambre, où on la porta, et voulut rester seule avec elle. Tout en lui prodiguant les soins, les caresses, les baisers, elle n'attendait pas sans une affreuse angoisse le premier regard de sa fille. Ce regard se fixa sur elle d'abord avec égarement, puis avec une sorte de stupeur farouche; l'enfant la repoussa doucement; elle se recueillait, et, à mesure que la pensée s'affermissait dans ses yeux, sa mère y pouvait lire une lutte violente de sentiments contraires.

      – Je t'en prie, je t'en supplie, ma petite fille! murmurait Clodilde, dont les larmes tombaient goutte à goutte sur le beau visage pâle de l'enfant.

      Tout à coup Julia la saisit par le cou, l'attira sur elle, et, l'embrassant follement:

      – Tu me fais bien du mal, dit-elle, oh! bien du mal! plus que tu ne peux croire;… mais je t'aime bien… je t'aime bien! je veux t'aimer… je veux! je veux toujours;… je t'assure!

      Elle éclata en sanglots, et toutes deux pleurèrent longtemps, étroitement attachées l'une à l'autre.

      M. de Lucan avait cru devoir cependant envoyer chercher la baronne de Pers, à laquelle il tenait compagnie dans le salon. La baronne, en apprenant ce qui se passait, avait montré plus d'agitation que de surprise:

      – Mon Dieu, je m'y attendais, mon cher monsieur! Je ne vous l'avais pas СКАЧАТЬ