La petite comtesse. Feuillet Octave
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Читать онлайн книгу La petite comtesse - Feuillet Octave страница 4

Название: La petite comtesse

Автор: Feuillet Octave

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ légion implacable des chasseurs et des chasseresses n'a pas manqué de s'élancer sur mes traces avec un redoublement d'ardeur et de stupide gaieté. Je distinguais toujours à leur tête la jeune femme au panache bleu, qui se faisait remarquer par un acharnement particulier, et que je vouais de bon coeur aux accidents les plus sérieux de l'équitation. C'était elle qui encourageait ses odieux complices, quand j'étais parvenu un instant à leur dérober ma piste; elle me découvrait avec une clairvoyance infernale, me montrait du bout de sa cravache, et poussait un éclat de rire barbare, quand elle me voyait reprendre ma course à travers les halliers, soufflant, haletant, éperdu, absurde. J'ai couru ainsi pendant un temps que je ne saurais apprécier, accomplissant des prouesses de gymnastique inouïes, perçant les taillis épineux, m'embourbant dans les fondrières, sautant les fossés, rebondissant sur mes jarrets avec l'élasticité d'un tigre, galopant à la diable, sans raison, sans but, et sans autre espérance que de voir la terre s'entr'ouvrir sous mes pas.

      Enfin, et par un simple effet du hasard, car depuis longtemps j'avais perdu toutes notions topographiques, j'ai aperçu les ruines devant moi; j'ai franchi par un dernier élan l'espace libre qui les sépare de la forêt, j'ai traversé l'église comme un excommunié, et je suis arrivé tout flambant devant la porte du moulin. Le meunier et sa femme étaient sur le seuil, attirés par le bruit de la cavalcade, qui me suivait de près; ils m'ont regardé avec une expression de stupeur; j'ai vainement cherché quelques paroles d'explication à leur jeter en passant, et, après d'incroyables efforts d'intelligence, je n'ai pu que leur murmurer niaisement: "Si l'on me demande… dites que je n'y suis pas!.." Puis j'ai gravi d'un saut l'escalier de ma cellule, et je suis venu tomber sur mon lit dans un état de complet épuisement.

      Cependant, Paul, la chasse se précipitait tumultueusement dans la cour de l'abbaye; j'entendais le piétinement des chevaux, la voix des cavaliers, et même le son de leurs bottes sur les dalles du seuil, ce qui me prouvait qu'une partie d'entre eux avait mis pied à terre et me menaçait d'un dernier assaut: je me suis relevé avec un mouvement de rage et j'ai regardé mes pistolets. Heureusement, après quelques minutes de conversation avec le meunier, les chasseurs se sont retirés, non sans me laisser clairement entendre que, s'ils avaient pris meilleure opinion de ma moralité, ils emportaient une idée fort réjouissante de l'originalité de mon caractère.

      Tel est, mon ami, l'historique fidèle de cette journée malheureuse, où je me suis couvert franchement, et des pieds à la tête, d'une espèce d'illustration à laquelle tout Français préférera celle du crime. J'ai, à cette heure, la satisfaction de savoir que je suis, dans un château voisin, au milieu d'une société de brillants cavaliers et de belles jeunes femmes, un texte de plaisanteries inépuisable. Je sens de plus, depuis mon mouvement de flanc (comme on a coutume d'appeler à la guerre les retraites précipitées), que j'ai perdu à mes propres yeux quelque chose de ma dignité, et je ne puis me dissimuler, en outre, que je suis loin de jouir auprès de mes hôtes rustiques de la même considération.

      En présence d'une situation si gravement compromise, j'ai dû tenir conseil: après une courte délibération, j'ai rejeté bien loin, comme puéril et pusillanime, le projet que me suggérait mon amour-propre aux abois, celui de quitter ma résidence, et même d'abandonner le pays. J'ai pris le parti de poursuivre philosophiquement le cours de mes travaux et de mes plaisirs, de montrer une âme supérieure aux circonstances, et de donner enfin aux amazones, aux centaures et aux meuniers le beau spectacle du sage dans l'adversité.

      III

20 septembre.

      Je reçois ta lettre. Tu es de la vraie race des amis du Monomotapa. Mais quel enfantillage! Voilà la cause de ton brusque retour! Un rien, un méchant cauchemar, qui, deux nuits de suite, te fait entendre ma voix t'appelant à mon secours. Ah! fruits amers de la détestable cuisine allemande! – Vraiment, Paul, tu es bête. Tu me dis portant des choses qui me touchent jusqu'aux larmes. Je ne saurais te répondre à mon gré. J'ai le coeur tendre et le verbe sec. Je n'ai jamais pu dire à personne: "Je vous aime." Il y a un démon jaloux qui altère sur mes lèvres toute parole de tendresse et lui donne une inflexion d'ironie. – Mais, Dieu merci, tu me connais.

      Il paraît que je te fais rire quand tu me fais pleurer? Allons, tant mieux. Oui, ma noble aventure de la forêt a une suite, une suite dont je me passerais bien. Tous les malheurs dont tu me sentais menacé sont arrivés: sois donc tranquille.

      Le lendemain de ce jour néfaste, je débutai par reconquérir l'estime de mes hôtes du moulin, en leur racontant de bonne grâce les plus piquants épisodes de ma course. Je les vis s'épanouir à ce récit; la femme, en particulier, se pâmait avec des convulsions atroces et des ouvertures de mâchoires formidables. Je n'ai rien vu de si hideux en ma vie que cette grosse joie de vachère.

      En témoignage d'un retour de sympathie complet, le meunier me demanda si j'étais chasseur, ôta du croc de sa cheminée un long tube rouillé qui me fit penser à la carabine de Bas-de-Cuir, et me le mit entre les mains en me vantant les qualités meurtrières de cet instrument. J'acceptai sa politesse avec une apparence de vive satisfaction, n'ayant jamais eu le coeur de détromper les gens qui croient m'être agréables, et je me dirigeai vers les bois-taillis qui couvrent les collines, portant comme une lance cette arme vénérable, qui me paraissait en effet des plus dangereuses. J'allai m'asseoir dans les bruyères et je déposai le long fusil près de moi, puis je m'amusai à écarter à coups de pierre les jeunes lapins qui venaient jouer imprudemment dans le voisinage d'une machine de guerre dont je ne pouvais répondre. Grâce à ces précautions, pendant plus d'une heure que dura ma chasse, il n'arriva d'accident ni au gibier ni à moi.

      A te dire vrai, j'étais bien aise de laisser passer le moment où les chasseurs du château avaient coutume de se mettre en campagne, ne me souciant pas, par un reste de vaine gloire, de me trouver sur leur passage ce jour-là. Vers deux heures de l'après-midi, je quittai mon lit de menthe et de serpolet, convaincu que je n'avais à redouter désormais aucune rencontre importune. Je remis la canardière au meunier, qui sembla un peu étonné, peut-être de me revoir les mains vides, et plus probablement de me revoir en vie. J'allai m'installer en face du portail, et j'entrepris d'achever une vue générale de la ruine, aquarelle magnifique qui doit enlever les suffrages du ministre.

      J'étais profondément absorbé dans mon travail, quand je crus tout à coup entendre plus distinctement qu'à l'ordinaire ce bruit de cavalerie qui, depuis ma mésaventure, chagrinait sans cesse mes oreilles. Je me retournai avec vivacité, et j'aperçus l'ennemi à deux cents pas de moi. Il était cette fois en tenue de ville, paraissant équipé pour une simple promenade; il avait fait depuis la veille quelques recrues des deux sexes, et offrait véritablement une masse imposante. Quoique préparé de longue main à cette occurrence, je ne pus me défendre d'un certain malaise et je pestai fort contre ces désoeuvrés infatigables. Toutefois, je n'eus pas même la pensée de faire retraite; j'avais perdu le goût de la fuite pour le reste de mes jours.

      A mesure que la cavalcade approchait, j'entendais des rires étouffés et des chuchotements dont le secret ne m'échappait point: je dois t'avouer qu'un grain de colère commençait à fermenter dans mon coeur, et, tout en continuant ma besogne avec l'apparence du plus vif intérêt et des poses de tête admiratives devant mon aquarelle, je prêtais à la scène qui se passait derrière moi une attention sombre et vigilante. Au surplus, l'intention définitive des promeneurs parut être de ménager mon infortune: au lieu de suivre le sentier au bord duquel j'étais établi, et qui était le chemin le plus court pour gagner les ruines, ils s'écartèrent un peu sur la droite et défilèrent en silence. Un seul d'entre eux, quittant le groupe principal, fit brusquement une pointe de côté, et vint s'arrêter à dix pas de mon atelier: quoique j'eusse le front penché sur mon dessin, je sentis, par cette étrange intuition que chacun connaît, un regard humain se fixer sur moi. Je levai les yeux d'un air d'indifférence, les rabaissant presque aussitôt: ce rapide mouvement m'avait suffi pour reconnaître dans cet observateur indiscret la jeune dame au panache bleu, cause première de mes disgrâces. Elle était là, СКАЧАТЬ