Le Peuple de la mer. Elder Marc
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Название: Le Peuple de la mer

Автор: Elder Marc

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ repousser contre lui ses friches meurtrières.

      L’autre gardait en lui le temps perdu des aventures, où l’Océan, route des mondes merveilleux, charriait de l’or. Le même intérêt, qui fit au premier marin risquer la tempête, soutenait son courage. Il savait les gains faciles de la vie de mer, l’existence assurée près de la grande nourrice, et la certitude d’une retraite biffait l’avenir de son imagination, en même temps que l’air du large l’entretenait de santé et de belle humeur.

      Le vieux avait hoché la tête et s’était tu. Désintéressé de la construction, il se tourna vers l’enclos et jaugea le cerisier:

      – C’est du beau fruit, dit-il, et net comme l’œil!

      Mais la vue du potager inculte l’écœura, et faisant une grosse moue des babines, il revint à son gendre et demanda:

      – Quand c’est-il qu’tu la mets à l’eau c’te barque?

      – J’pense ben dans une quinzaine.

      Et soudain, avisant le nom cloué sur l’étrave, il épella lentement:

      – Le Dépit des Envieux… et ajouta entre les dents:

      – Ça se dit comme ça, avant d’commencer.

      Puis il partit, comme il était venu, sans embrasser personne.

      Urbain le vit s’éloigner avec joie et réclama son frère. Heureuse de la diversion, la Marie-Jeanne descendit vers la cale en frottant ses aiguilles sous sa coiffe. On entendit un rire frais dans le calme, des claquements de petits sabots, et Léon parut, le sang au visage.

      – Tu cours après c’te garce! gronda Urbain.

      Mais le jeune homme qui devait retrouver la Louise ce soir, dans les dunes, reçut sans écouter la remontrance et ne répondit pas.

      Les belles nuits de printemps et d’été, les filles et les gars se rejoignent dans les falaises de la Corbière, sitôt passé les dernières maisons du village. Les filles qui poussent en plein vent sur ce coin d’île ont les joues tannées, les mains rudes, les muscles forts, le sang chaud. A partir de la puberté, elles portent le désir éclatant dans leurs yeux et le remuent autour des reins parmi les jupes. La mer ne prend pas toute la force aux jeunes hommes et les couples sont nombreux le soir à l’orée du marais ou aux plis des dunes. A la manière vendéenne, ils échangent des caresses satisfaisantes mais point dangereuses, encore qu’il arrive bien, une fois de temps en temps, à quelque jeunesse d’être enceinte. Ses compagnes s’en amusent, sa mère tape dessus, le curé la marie: ça n’empêche pas d’être honnête, et d’avoir du cœur à l’ouvrage!

      Quinze jours passèrent. La barque s’acheva et les formes, nettement accusées par la peinture, révélèrent toute sa force qui remplissait l’étroit chantier. Au-dessous de la flottaison, du black frais glaçait les fonds; les hauts s’enlevaient en bleu très pâle, traversé d’une bande d’outre-mer à hauteur du pont.

      Le père Goustan ne travaillait plus et admirait son œuvre, les mains dans la ceinture de son pantalon, d’où débordait sa chemise, en ballonnant. Il demeurait là, bouche bée, ne remuant ses vieilles lèvres violettes que pour vanter les tonnes de mâchefer cimentées au fond de la coque:

      – N’y a tel que ça pour lester un bateau!

      Et le jour du lancement vint avec le gros de l’eau.

      Un matin Théodore attacha sur l’étrave un bouquet de passeroses et fixa au tableau le drapeau tricolore. A trois heures la marée baignerait le chantier et les Goustan s’affairaient. On fut quérir Malchaussé, avec son cric, pour soulever l’avant de la barque. Alors, débarrassée des épontilles, elle monta au-dessus des hommes, géante, haussée jusqu’au toit. Et Urbain effaçait une à une les écorchures, d’un pinceau soigneux.

      Le temps se plombait et le vent d’ouest déchirait à la course le manteau des nuages, au travers duquel tombaient des raies de soleil sur le marais où tournait la mouette criarde. Les arbres ployaient de l’échine; la toiture du chantier frémissait par secousses; l’eau du port, limoneuse, ressaquait en clapotis.

      Des curieux arrivèrent, se tassèrent près des cloisons. Des gens s’amassèrent en groupe, sur le quai, autour du douanier important et phraseur. François guettait la marée, tandis que, sous l’œil économe de grand-père, Théodore distribuait, avec parcimonie, le suif lubrifiant au long de la glissière.

      – La mer est pleine, allons-y les enfants!

      A cet ordre, Urbain trépigna sur la berge en appelant, à force de moulinets, une coiffe blanche qui se hâtait sur le sentier du côté de l’écluse.

      – Mais dépêche-té donc!

      La Marie-Jeanne fonçait contre le vent, le jupon collé aux cuisses, remorquant à bout de brasson petit Jean qui sautillait dans des galoches. Elle s’excusa: elle avait dû attendre la Viel pour lui confier les autres gars. Mais, sans gronder, Coët lui prit la main, l’entraîna en haut du chantier et se croisa les bras auprès d’elle.

      Léon venait de monter à bord avec le jeune Goustan. Les accores s’abattirent. La barque fut libre, d’aplomb sur sa quille; on entendit grincer l’outil de François qui sciait la savate. Immobile et redressé, avec de la joie sur la face, le père Goustan tendait l’œil à pleines bésicles.

      Un craquement sec, François jeta:

      – Envoyez!

      La barque bouge à peine, glisse, prend de la vitesse, touche la mer.

      Les poutres ronflent sous la masse, l’eau s’ouvre, gargouille, s’enfle, contre l’arrière, et, refoulée, monte brusquement sur les berges. D’un coup, la barque inclinée se redresse, flotte et court sur son aire. Les aussières raidissent en geignant; les chaînes raguent dans les écubiers; et arrêté dans son mouvement au ras du quai, le bateau revient mollement sur lui-même.

      Le chantier vide paraissait immense. Les hommes clamaient d’enthousiasme et l’on répondait de l’autre côté du port.

      A bord Léon et Théodore agitaient leur béret; le drapeau claquait dans le grand vent d’ouest; et personne ne vit Urbain qui soulevait son enfant vers le bateau comme un bouquet d’espoir.

      La Marie-Jeanne avait envie de pleurer sans savoir pourquoi. Elle pensait au jour de ses noces où elle avait manqué pâmer à l’église. Elle s’approcha de son homme jusqu’à sentir sa chaleur. Le petit Jean cria. Urbain songea:

      – Ah! si le père était là!

      Car il sentait confusément en lui, à la fois, l’effort reculé de la race et son nouvel élan. Il revit le vieux qui avait tant trimé pour amasser, sou à sou, l’argent d’une barque, et que la mort avait culbuté tout d’un coup au foyer avant qu’il ait pu voir son rêve, ce bateau bleu qui se tenait là-bas, cambré au vent sur ses amarres.

      Les Goustan avaient entonné des chœurs orgueilleux parmi les hommes qui réclamaient à boire. C’était l’heure de la libation rituelle qui consacre les affaires humaines et exalte les victoires. Déjà chacun tirait vers la buvette quand la Marie-Jeanne poussa un léger cri.

      La botte de passeroses, nouée à l’étrave, venait de tomber à l’eau dans un coup de vent. Elle la regarda, le cœur serré, dériver СКАЧАТЬ